de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Marina Abramovic est présente

Marina Abramovic est présente

On ne présente plus Marina Abramovic. Depuis près de quarante ans, l’artiste d’origine serbe est devenue la grande prêtresse de la performance, repoussant les limites de la résistance corporelle et n’hésitant pas parfois à mettre sa vie en danger pour exprimer le libre arbitre de l’individu et obliger le public à réagir. Car pour elle, comme pour Joseph Beuys, l’artiste a une mission sacrée, presque chamanique, qui est de purifier le monde, de lui faire retrouver ses émotions primaires et essentielles par des actions violentes et souvent choquantes. Et dans son cas, son enfance en ex-Yougoslavie, avec des parents entièrement dévoués à la cause de Tito et n’accordant que peu d’affection à leur fille, donne une clef supplémentaire à la compréhension de son travail.

Le film de Matthew Akers, The Artist Is Present, a été réalisé à l’occasion de la grande rétrospective que le MoMA de New York lui a consacrée il y a deux ans. Une rétrospective qui a marqué le sommet de la carrière de Marina Abramovic. « Il y a quarante ans, on disait que j’étais folle ; aujourd’hui, on me dresse un piédestal ! » dit-elle en substance et non sans malice au détour d’une conversation. On la voit donc organiser l’exposition, choisir les jeunes gens qui vont réactiver certaines de ses performances historiques, décider de la couverture du catalogue, etc. Mais surtout on assiste à la préparation de la nouvelle performance qu’elle a imaginée pour cet évènement et qui lui donne son titre (ainsi que celui du film) : The Artist Is Present. Il s’agit en effet de rester assise sur une chaise tous les jours d’ouverture du musée, pendant toute la durée de l’exposition (soit trois mois) et de soutenir sans ciller le regard des gens qui voudront bien lui faire face. Certains jugent le pari impossible, mais elle veut leur prouver le contraire, et on la voit s’entraîner comme une athlète, choisir la chaise, trouver sa place exacte dans la salle du musée, imaginer même un système qui lui permette de faire ses besoins sans avoir à se déplacer si l’envie devenait trop pressante… Et on voit la performance, les gens qui s’assoient face à elle et qu’elle ne découvre qu’une fois qu’ils sont installés (elle baisse les yeux entre chaque « visiteur »), l’intensité du regard, le silence qui règne pendant l’échange.Marina_Abramovic_photo2

Marina Abramovic a gagné ce pari et elle a tenu sans faillir pendant les trois mois, jusqu’à la limite de l’épuisement. L’exposition a connu un succès tel que les gens ont attendu pendant des heures pour pouvoir s’assoir en face d’elle ; il a même fallu mettre au point un système de numéro pour éviter la resquille. Et pendant tout ce temps, il y a eu des larmes, des sourires gênés, de la tendresse, de l’empathie, du vide parfois, bref, tout ce que les gens projetaient dans ce miroir qu’elle leur tendait. Et des larmes, il y en a eu particulièrement lorsqu’elle a retrouvé Ulay, l’artiste avec lequel elle a commencé sa carrière de performeuse, dont elle a partagé la vie nomade pendant plus de dix ans et qu’elle n’avait jamais revu depuis.

C’est tout cela que montre ce film, cette rencontre bouleversante entre une artiste d’exception et des gens à qui elle accorde la même attention, une expérience partagée qui, pour beaucoup, restera inoubliable. Il y a certes une théâtralisation du geste, une mise en scène que l’on pourrait regretter (l’artiste est une diva), mais la présence de Marina Abramovic est telle qu’elle va bien au-delà des artifices.

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