de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Ouverture, réouverture et prix

Ouverture, réouverture et prix

Avec la FIAC, la semaine dernière a été marquée par deux évènements très importants pour la scène artistique parisienne : l’ouverture de la Fondation Vuitton dans le Bois de Boulogne et la réouverture du Musée Picasso. En travaux depuis 2009, le Musée Picasso aurait dû rouvrir depuis plusieurs mois. Mais le chantier a été plus long que prévu et Anne Baldassari, l’ancienne directrice, a été évincée suite à un conflit assez violent avec une partie du personnel. Elle a été remplacée par Laurent Le Bon, qui a eu la lourde charge de finaliser la réouverture en quelques mois. Mais Anne Baldassari, qui est une grande spécialiste de l’œuvre de Picasso, s’est quand même occupé de l’accrochage initial. Elle a ainsi permis de clore une affaire délicate et qui était remontée jusqu’au sommet de l’Etat (les héritiers du peintre s’en étaient émus auprès du Premier Ministre lui-même).

MP55© RMN-GP René-Gabriel Ojéda (1)Le résultat est, en tous cas, remarquable. Car, sous la houlette de Jean-François Bodin, les travaux ont permis de tripler les surfaces d’expositions. Des bureaux ont été récupérés, un vaste hall d’accueil a été créé, des salles souterraines ont été dessinées par excavation des sous-sols, dans l’esprit du projet original et en créant un univers moderniste et minimaliste très élégant (les luminaires en bronze patiné de Diego Giacometti, en particulier, ont été conservés). Comme est remarquable l’accrochage original, chronologique, qui permet de suivre l’évolution de Picasso à travers ses différentes périodes (monochromies, primitivisme, cubisme, polymorphisme, etc) et en présentant quelques-unes de ses œuvres les plus représentatives (La Célestine, La Femme qui pleure, Massacre en Corée, La Chèvre, entre autres). A cette sélection très généraliste et pédagogique, suivront d’autres, plus thématiques et qui permettront d’aborder l’œuvre du peintre sous un angle particulier (le Musée est riche de plus de 5000 peintures et sculptures). Mais pour une réouverture, un choix de ce type et s’imposait et, cerise sur le gâteau, dans les combles est présentée la collection personnelle de Picasso qui, outre les Matisse et Cézanne que l’on savait, comprenait un Chardin, un Corot, un Vuillard et plusieurs Renoir. Une preuve de plus, s’il en fallait, que son œuvre a été un constant dialogue avec l’histoire de l’art !

Autre évènement très important pour la France et Paris en particulier : l’ouverture, au Jardin d’Acclimatation du Bois de Boulogne, de la Fondation Vuitton. Il y avait plusieurs années qu’on l’attendait ce bâtiment construit par le génial architecte Frank Gehry et dont la construction avait été retardée par quelques irréductibles réfractaires à toute modernité dans le paysage parisien (les mêmes qui, quelques années plus tôt, avaient fait capoter le projet de fondation de François Pinault sur l’Ile Séguin). Enfin, le vaisseau a ouvert ses portes et on ne peut être qu’ébloui par la beauté de cet édifice déstructuré, qui semble gonfler ses voiles comme s’il s’apprêtait à prendre le large. Espaces amples et lumineux, beauté des matériaux qui jouent sur le reflet et la transparence, va-et-vient permanent et troublant entre l’intérieur et l’extérieur, tout semble réussi dans ce magnifique navire qui offre aussi un point de vue remarquable sur le jardin d’Acclimatation et les gratte-ciels de la Défense au loin. C’est juste si l’on peut y déplorer une circulation interne un peu complexe, mais à laquelle on s’habituera sans doute, dès qu’on l’aura mieux appréhendé.

L’exposition inaugurale a surtout pour objectif de faire découvrir le bâtiment et la genèse et l’évolution du projet sont d’ailleurs présentées dans une salle consacrée à Frank Gehry. Il faudra attendre encore quelques mois pour découvrir de quoi est véritablement constituée la collection de Bernard Arnault (le maître de céans). En attendant, on peut voir un certain nombre d’œuvres qui ont été commandées pour le lieu comme les colonnes en miroir et lumière qu’Olafur Eliasson a conçues pour qu’elles se reflètent dans l’eau du bassin (Grotto), les toiles de couleur pure qu’Ellsworth Kelly a pensées pour rentrer en résonnance avec la structure de l’auditorium ou l’écosystème qu’Adrien Villar Rojas a placé sur une terrasse pour qu’il évolue avec le temps. Et des pièces qui font déjà partie de la collection : une série de somptueuses peintures de Gerhard Richter, une sculpture gigantesque de Thomas Schütte, la vidéo A Journey That Wasn’t de Pierre Huyghe, etc. Lors de l’ouverture, une polémique a eu lieu pour dénoncer la collusion du luxe et de l’art et l’utilisation par Bernard Arnault du vernis culturel à des fins purement mercantiles. Elle ne me semble pas défendable. Certes, l’homme n’a rien d’un pur philanthrope et c’est bien le sigle du malletier Louis Vuitton qui trône à l’entrée de la Fondation, mais de tous temps, les artistes ont dépendu de leurs mécènes et de tous temps ils ont travaillé pour leur gloire (rassurez-vous, au bout du compte, seul reste le nom de l’artiste, celui du mécène étant généralement oublié). Une autre polémique me semble plus justifiée : celle concernant le peu de générosité de cette Fondation qui, pourtant, bénéficie d’avantages fiscaux conséquents. Le prix d’entrée en est élevé (14 €) et les enfants paient à partir de… 3 ans, ce qui est à peu près l’inverse de ce qui se passe dans les fondations américaines, par exemple, où l’entrée est souvent gratuite. Avec cette politique tarifaire, la Fondation signale bien  qu’elle s’adresse à un certain public et qu’elle n’a pas l’intention d’en changer !

Olafur Eliasson - Inside the horizon  © 2014 Olafur Eliasson © Iwan Baan.jpeg (2)Pour en finir avec cette semaine de FIAC et de fête de l’art contemporain, il faut dire un mot des prix qui ont été décernés et qui constituent les plus grandes récompenses du milieu de l’art. Le Prix Ricard, qui récompense un jeune artiste, a été attribué à Camille Blatrix, comme on pouvait s’y attendre et comme je l’avais moi-même laissé entendre dans mon article sur l’exposition assez radicale organisée par le collectif castillo/corrales (cf http://larepubliquedelart.com/le-prix-ricard-le-pouls-de-lepoque/). Le Prix Marcel Duchamp, lui, supposé récompenser un artiste plus avancé dans la carrière, est revenu à Julien Prévieux, qui présentait sur la foire une vidéo, What Shall We Do Next ?, une « succession de gestes de la main, tous liés à des brevets déposés entre 2006 et 2011 auprès de l’USPTO, le Bureau Américain des brevets et des marques de commerces ». C’était sans doute le meilleur choix que cet artiste, dont l’œuvre est très en prise avec le monde du travail et qui s’était aussi connaître pour ses fameuses « lettres de non-motivation ». Mais la sélection de cette année était faible et faisait l’impasse sur de nombreux autres artistes (comme Benoît Maire, pour n’en citer qu’un) qui auraient davantage mérité d’y figurer.

-Musée Picasso, 5 rue de Thorigny 75003 Paris (www.museepicasso.fr)

-Fondation Vuitton, 8, avenue du Mahatma Gandhi Bois de Boulogne 75116 Paris (www.fondationlouivuitton.fr)

Images : vue d’une salle du musée Picasso © Musée national Picasso-Paris/Béatrice Hatala ; Pablo Picasso, Portrait de Dora Maar, 1937, huile sur toile, 92 x 65cm, Inv : MP158 ©RMN-Grand Palais/ Jean-Gilles Berizzi © Succession Picasso 2014 ; Fondation Vuitton : Olafur Eliasson, Inside the horizon © Iwan Baan.

 

 

 

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commentaires

2 Réponses pour Ouverture, réouverture et prix

pado dit :

Niki, Duchamp, Durand-Ruel, la FIAC, Inside, Vuitton, Picasso, …………
Vous êtes toujours en avance sur nous (moi)
C’est sûrement un bien (quoique) mais comment nous exprimer quand nous voyons une expo trois ou quatre semaines après le billet (au mieux)
Revenir en arrière (quel intérêt?)
Commenter a priori !!!!!
Donc, rien.
Dommage, vos billets demandent dialogues.

Bonjour,

Il me semble de mon devoir de journaliste-bloggeur de vous informer des expositions qui commencent et d’en faire un commentaire. Mais cela n’exclut en rien un commentaire de votre part, même s’il vient plusieurs jours, voire plusieurs semaines après la parution de l’article. Au contraire, j’aimerais beaucoup que ce blog soit aussi un lieu de discussions.

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