de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art

Redécouvrir l’Ecole de Nice

Il est des choses que l’on croit bien connaître, parce qu’on les a souvent vues ou qu’il en a souvent été question. C’est le cas de ce que l’on a appelé « l’Ecole de Nice », ce mouvement artistique qui, dans les années 60, a vu le jour sur la Côte d’Azur et a été à la pointe de l’avant-garde en France. On la voyait dans les collections permanentes du Mamac de Nice ou dans celles du Musée national d’art moderne et les récentes rétrospectives de Martial Raysse dans ce même musée ou de Ben au musée Maillol, par exemple, nous avait rappelé sa radicalité et son audace. L’affaire paraissait donc entendue, on n’avait plus le sentiment d’avoir encore à apprendre grand-chose et cette « Ecole de Nice » semblait avoir trouvé sa place définitive, à la fois annonciatrice de l’art Pop et ultime tentative de renouveler la peinture, dans l’histoire de l’art de la seconde partie du XXe siècle.

Or l’exposition que présente cet été le Mamac de Nice, dans le cadre de la saison 20171 conçue par la Jean-Jacques Aillagon et sous la houlette d’Hélène Guenin, directrice du musée, et de Rebecca François, conservatrice, nous fait voir les choses sous un angle tout à fait différent. Non, qu’elle nous fasse découvrir véritablement de nouvelles œuvres ou qu’elles mettent en avant de nouveaux artistes, mais elle envisage les pièces, les regroupe, de manière à laisser percevoir des perspectives insoupçonnées qui donne une toute autre envergure à ce mouvement qui ne fut pas toujours exempt d’humour potache ou de volonté délibérée de provocation.  C’est le résultat d’un commissariat intelligent, sérieux, rigoureux : ici, les œuvres ne sont pas seulement mises les unes à la suite des autres dans un souci chronologique, mais replacées dans leur contexte, regroupées selon les thématiques qu’elles mettent en jeu et c’est toute une relecture de cette scène expérimentale qui s’impose.

Ecole de Nice 1bL’exposition s’intitule : A propos de Nice : 1947-1977. Elle prend son titre au film célèbre de Jean Vigo, qui est projeté à l’entrée. Pourquoi 1947-1977 ? 1947, parce qu’en 1947, sans qu’on sache exactement si l’histoire est réelle ou si elle tient de la légende, trois jeunes hommes, sur une plage de Nice, se partagent le monde : Yves Klein s’approprie le bleu du ciel, le poète Claude Pascal s’empare de l’air et Arman prend la terre et ses richesses. Et 1977, parce qu’en 1977, le Centre Pompidou, qui vient d’ouvrir, célèbre cette effervescence avec l’exposition « A propos de Nice », organisée par un de ses  principaux acteurs : Ben. La boucle est bouclée. Entre les deux, peut-être pas une école, mais un certain nombre de circonstances qui font qu’à un moment donné, des artistes se sont retrouvés dans la Baie des Anges et ont trouvé des échos dans leurs travaux respectifs. Et ces « affinités électives », qui ont révolutionné le monde de l’art de l’époque, ont donné jour aux derniers mouvements d’avant-garde français : le Nouveau réalisme, Fluxus, Supports/Surfaces, etc.

(Photo supprimée)

C’est ce que montre brillamment l’exposition. Au premier niveau, on voit les pièces de Klein, de Martial Raysse, d’Arman, de Claude Gill, de Chubac ou de Bernar Venet réunies selon des thèmes comme le « merveilleux moderne », l’évocation pop et ironique de la « french riviera » ou la « quête d’absolu » et l’on est surpris de voir à quel point certaines œuvres se répondent et se confondent presque, comment les « Allures d’objet » d’Arman annoncent ou complètent Klein, comment les « découpes sur bois » de Gilli font écho aux pin-up ou aux scènes de plage de Raysse. Au second, ce sont sur trois périodes phares de cette glorieuse époque qu’est mis l’accent : Ben avec son célèbre magasin et ses actions de rue qui ont donné lieu à des festivals ; le mouvement Supports/Surfaces, qui voulait sortir la peinture de son cadre traditionnel (salle d’une grande légèreté et d’une grande élégance, grâce à un accrochage subtil, qui joue beaucoup des notions d’échelles et des volumes) ; « La cédille qui sourit », cette « non-galerie » ouverte en 1965, à Villefranche-sur-Mer, par Robert Filliou et George Brecht et qui était surtout un esprit, une manière de d’être au monde, de réconcilier l’art et la vie et qui est devenue mythique aujourd’hui.

Mais la force de l’exposition, au-delà de la réussite de son accrochage et de son aspect documentaire, c’est de faire comprendre à quel point les thèmes développés par les artistes dans ces années-là sont encore opérationnels aujourd’hui. Comment ne pas voir, en effet, dans les performances de Ben, beaucoup plus pertinentes et intéressantes que ce qu’il a pu faire par la suite, une préfiguration des performances qui occupent tellement l’esprit et la pratique des artistes actuels ? Comment ne pas sentir dans les « colères » ou les « destructions » d’Arman, un artiste qui fut décidément bien en avance sur son temps, une sorte « d’archéologie du futur » dont se réclament, sans en connaître sans doute la filiation, tant de jeunes pousses aventureuses du moment ? L’influence des artistes de cette « Ecole de Nice » sur la jeune génération – consciente ou non – est d’ailleurs tellement évidente qu’au 109, un nouveau lieu pluridisciplinaire ouvert récemment dans les anciens abattoirs niçois, une exposition est présentée, The Surface of the East Coast. From Nice to New York, qui met en relation des artistes de Supports/Surfaces avec les jeunes peintres de la scène newyorkaise : là, ce sont des pièces historiques de Louis Cane, Patrick Saytour ou Claude Viallat qui dialoguent avec des œuvres de Jacob Kassay, Erik Lindman ou Gedy Sibony. Et la preuve que l’histoire de l’art ne fait jamais que recommencer qui est donnée.

Ecole de Nice 3bEnfin, à la Galerie des Ponchettes, Noël Dolla, qui était le plus jeune des artistes de Supports/Surfaces présente ses Restructurations spatiales, c’est-à-dire des témoignages photographiques des très poétiques et éphémères interventions qu’il faisait sur la Promenade des Anglais ou dans l’arrière-pays niçois et qui l’associaient au Land Art. Et il métamorphose avec grâce la galerie grâce à une intervention in situ qui mêle peinture et cercles dorés au sol. Pour lui, comme pour l’ensemble des expositions présentées, le bleu du ciel ou la température de la mer, il n’y a aucune excuse pour ne pas se rendre à Nice cet été.

 

1Une autre exposition, Nice à l’école de l’histoire, est présentée au Musée Masséna. Elle propose d’explorer où l’histoire de Nice a été au rendez-vous de l’histoire du monde.

 

A propos de Nice : 1947-1977 au Mamac, The Surface of the East Coast. From Nice to New York au 109, Restructurations spatiales de Noël Dolla à la Galerie des Ponchettes de Nice, jusqu’au 15 octobre (www.mamac@ville-nice.fr)

 

 

Images : Martial RAYSSE, Soudain l’été dernier, 1963, 126 x 227 x 58 cm, Oeuvre en 3 dimensions, Assemblage Peinture acrylique sur toile, photographie, chapeau de paille, serviette éponge Achat de l’Etat 1968, attribution 1976 Centre Pompidou, Paris Musée national d’art moderne/centre de création industrielle Inv. : AM 1976-1010 ©   Centre   Pompidou,   MNAMCCI/Philippe   Migeat/Dist. RMN-GP / © ADAGP, Paris, 2017 ; Louis Cane, Toile tamponnée, 1967, Encre sur toile, 180x120cm, Courtesy Galerie Bernard Ceysson, ©Aurélien Mole. ; BEN, Signer la ligne d’horizon, Promenade des Anglais, Nice, 1962 (filmé en 1971), Photographie du geste Archives de l’artiste © ADAGP, Paris, 2017 – Photo Droits réservés ; Jacob Kassay, Sans titre, 2015, peuplier, 146 x 20,3 cm, courtesy Galerie Art Concept.

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

10

commentaires

10 Réponses pour Redécouvrir l’Ecole de Nice

David houessou dit :

De tout coeur pour cette manifestation artistique à nice …faites moi part des images…

Udnie dit :

NICE CULTURE
Moi je perds la mémoire
je ne m’en souviens plus
Mais l’école de Nice était une suite
de querelles,
d’égos surdimensionnés d’exclusions etc
un peu comme les Surréalistes
Je ne me plains pas en ce qui concerne
ma présence
Mais il manque pour la faire vivre
les anecdotes
en voilà quatre

Journal de ben.

Udnie dit :

Ben, le vrai!

Udnie dit :

NICE CULTURE
Je me souviens que
lors de l’exposition aux Ponchettes 1969 ?
Annie et moi nous avions ouvert
le Hall des remises en questions
Et que j’avais invité Louis Cane
à y mettre une pièce et il était arrivé
sur sa moto
avec une toile avec le tampon
« Louis Cane artiste
peintre » partout. Je lui ai dit :
je veux bien la mettre
mais c’est du sous Arman (accumulation)
et du sous
Ben (ego). Furieux il est parti
avec sur sa moto

Journal de Ben

Udnie dit :

NICE CULTURE
Je me souviens
Quand Arman revenait de NY il nous disait :
vous n’êtes pas dans le coup.
Maintenant il y a le happening par exemple
il y a un artiste qui accroche une chèvre
à son tableau. J’étais ébahi.
En réalité c’était Rauchenberg avec une chèvre
empaillée
Je croyais que c’était une vraie chèvre

Journal de BEN

Jean dit :

222

Udnie dit :

NICE CULTURE EXPO ÉCOLE DE NICE

L’école de Nice

est comme les branches d’un arbre

qui renait au printemps

mais c’est un arbre hybride

dont les branches

donneraient des fruits différents

support surface fluxus nouveau réalisme etc

Journal de Ben (aujourd’hui)

JAZZI dit :

Nice est une ville de haute tradition picturale. Le plus ancien peintre niçois est sans conteste Louis Bréa (1475-1522), auquel on doit, entre autres chef-d’œuvres, La Pietà de l’église de Cimiez et le saint Nicolas de la cathédrale de Monaco. Ses retables ornent de nombreuses églises de la région, telle celle de Lucéram, mais aussi de Ligurie (Gênes, Savone ou Taggia) où la renommée de ce primitif niçois l’avait précédé. Plus près de nous, « l’Ecole de Nice », dont on peut admirer quelques productions au musée d’Art moderne et d’Art contemporain de la ville, est encore dans toutes les mémoires. Apparue vers la fin des années soixante, elle regroupait des artistes locaux de premier plan comme Yves Klein, Arman, Ben ou encore le marseillais César, pour ne citer que ceux dont la notoriété est désormais mondiale et dont les œuvres ont atteint des cotes vertigineuses ! Sait-on que c’est le ciel et la mer de Nice, où est né Yves Klein, en 1928, dans la maison de ses grands-parents maternels, rue Verdi, qui lui inspirèrent son fameux bleu ! Un bleu outremer (ou bleu ultramarin) qu’il breveta, en 1960, et baptisa IKB « International Klein Blue ». Entre 1960 et 1961, Yves Klein peignit 15 monochromes en bleu IKB. Mort d’une crise cardiaque à Paris, en 1962, à l’âge de 34 ans, il repose désormais dans le petit cimetière de La Colle-Sur-Loup, proche de Nice, au côté de sa mère, le peintre abstrait Marie Raymond.

Udnie dit :

BEN SUR BEN

C’est décidé, je ne vais pas me laisser faire

Je vais traverser la Promenade des Anglais nus

et si je n’ai rien à dire

je vais quand même le montrer

pas le détruire.

Cela s’appelle

rester de plus possible à côté de la plaque,

dite : art contemporain

Joyce notre chien

pour ceux qui ne le savent pas

m’a déchiré et mâché

2 kilos de mes notes et listes diverses

Lion l’autre chien a mangé

deux Iphones j’ai très peur pour le mien

Important

il me faut acheter

deux paires de salopettes

avec bretelles

sinon, je perd mes pantalons

Il est clair aussi

que j’ai trop d’œuvres

je ne sais plus où les mettre

et dire qu’il y a des artistes

qui ne gardent presque rien

Ceci dit

Je continue à trouver et collectionner

les trous

j’aime les trous

(Dernier journal courriel de BEN du 6 septembre 2017)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*