de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Suzanne Husky, quand l’activisme rime avec art

Suzanne Husky, quand l’activisme rime avec art

On avait remarqué le travail de Suzanne Husky il y a quelques années avec ses céramiques qui reproduisaient des bouteilles de détergent ou de produit vaisselle et ses vases recouverts de fleurs. Séduisants, remarquablement réalisés, ils n’en étaient pas moins porteurs de messages très revendicatifs sur la cause écologique et dénonçaient l’objet même, toxique à tout point de vue, dont ils donnaient une image faussement flatteuse. De même que des tapisseries inspirées du Moyen-Age pouvaient laisser penser que l’artiste s’inscrivait dans la tradition, alors que si l’on regardait attentivement, on se rendait compte qu’elles aussi racontaient une histoire très contemporaine où il était question de pelleteuses, de destruction de la nature et de répression policière. Car Suzanne Husky, qui vit entre la France et les Etats-Unis, est une activiste, qui milite activement contre le réchauffement climatique, l’exploitation des paysages, la déforestation, etc. Mais la force de son engagement (nourri de nombreuses collaborations avec des chercheurs et des scientifiques) ne l’empêche d’être toujours attentive à l’esthétique de ses œuvres, de faire en sorte qu’elles plaisent, amusent ou suscitent l’’attention et c’est en cela qu’il s’agit d’un véritable travail artistique, pas simplement d’un manifeste.

C’est également le cas de l’exposition qu’elle présente actuellement à Drawing Lab, sous le titre Le Temps profond des rivières (c’est le fait d’avoir obtenu le Prix du salon du dessin Drawing Now, l’an passé, qui lui donne cette opportunité) et qui est consacrée à cette discipline. Depuis quelques années, elle se penche sur le rôle du castor, cet animal qui est le plus grand transformateur de son environnement après l’homme. A une certaine époque, il y en avait dans toutes les rivières de l’hémisphère nord. Avec ses nombreux barrages, comme le dit Lorrane Germond, commissaire de l’exposition, « il produisit des paysages aquatiques, des zones humides foisonnantes de biodiversité et fut vénéré, parfois déifié, pour cela. On le retrouve aux fondements de nombreuses mythologies, contes et légendes. (…) Mais, progressivement, la géographie humaine a pris la place de la géographie des castors, entraînant sa quasi-disparition, de nos rivières, de nos cultures et de nos imaginaires, et, avec elle, l’effondrement de tout un écosystème. Pourtant, le castor (ré)apparait aujourd’hui comme une des premières solutions fondées sur la nature pour réparer nos milieux à l’agonie. Le rapport du GIEC de 2022 considère la collaboration avec les castors comme incontournable pour faire face au réchauffement climatique, tant du point de vue scientifique qu’économique. »

C’est pour faire comprendre l’importance du castor et le rôle qu’il a encore à jouer aujourd’hui que Suzanne Husky a réalisé cette exposition (elle a aussi illustré un livre du philosophe Baptiste Morizot sur ce sujet qui paraitra en septembre). Car elle cherche à expliquer et à montrer, mais aussi à convaincre, puisque seuls les services des eaux et forêts sont autorisés à intervenir dans les rivières. Au-delà, c’est toute la sphère du vivant et de la nature qui l’intéresse et pour laquelle elle utilise l’art comme moteur de sensibilisation. Elle le fait à travers toute une série de dessins et d’aquarelles, dont une, spectaculaire, de près de huit mètres de long, qui se réfère explicitement à la tapisserie de Bayeux et raconte l’Histoire géopolitique des rapports entre humais et castors à travers les âges (elle servira de matrice, d’ailleurs, pour une grande tapisserie destinée aux Monuments historiques). Et à travers une sculpture et une vidéo qui montre de rares cours d’eaux de montagne où les castors sont intervenus pour redonner aux rivières leur aspect optimal. Mais encore une fois, elle le fait avec légèreté, sans appuyer et on peut aussi voir l’exposition comme un grand récit dans lequel on se plonge, où le merveilleux et le mythologique trouvent leur place et où l’humour et l’ironie ne sont pas absents. On peut d’ailleurs parfaitement y emmener ses enfants qui y trouveront autant de plaisir que dans un musée d’histoire naturelle. Que rêver de mieux qu’un art qui combine savoir, divertissement et engagement à la fois !

On retrouve Suzanne Husky dans l’exposition Le Présent, organisée par Bruno Serralongue à la galerie Air de Paris. Elle y est présente avec ses ZAC (zone d’activité commerciale), c’est-à-dire de reproductions en céramique miniatures d’entrepôts de grandes enseignes comme Gémo ou Auchan, que l’on pourrait prendre à première vue pour des coffrets à bijoux. Mais tout autour d’elle, ce sont des photos de Serralongue lui-même qui sont accrochées aux cimaises : photos de Sainte-Soline, de la lutte des jardiniers des Jardins des Vertus à Aubervilliers contre la construction d’une piscine d’entrainement pour les Jeux Olympiques sur le même terrain, d’un groupe de néoruraux en pleine discussion, bref, d’autant de luttes et de résistance de ces dernières années. Car l’exposition, très cohérente et pertinente, pourrait avoir pour sous-titre « la malbouffe ». On y voit aussi des tableaux de perles de Mégane Brauer réalisés à partir d’images publicitaires pour des produit de grande consommation discount et des sculptures de François Curlet qui détournent certains logos de grandes marques de la distribution pour en faire, non sans humour, des symboles de l’altermondialisme (comme ce logo McDonald renversé et transformé en lyre…). Enfin, au centre de l’exposition, la maison d’édition militante Burn-Août, initiée par Laurent Abecassis et Théo Pall, qui figure dans la dernière édition des Félicités des Beaux-Arts, est invitée à montrer et à vendre ses ouvrages. Ici, le monde est montré de manière frontale, sans détours ni ambages.

Suzanne Husky enfin, mais dans sa propre galerie, la galerie Alain Gutharc, qui la représente depuis plusieurs années et qui montre là une tapisserie et une céramique. Dans une exposition, Origines/Diversités, dont le thème est, cette fois, les origines et les migrations et qui trouve sa place dans l’actuel débat sur l’immigration. Dans le texte qui l’accompagne, l’auteur, Avelino Abarca, pose d’ailleurs la question : « Alors que la politique fait ses choux gras populistes et simplistes de l’afflux des étrangers, ne serait-il pas juste de se plonger sur nos origines et de prendre en compte le fait que nous venons tous d’un ailleurs, que nous sommes tous des migrants ? » Pour y répondre, la galerie propose, outre celles de Suzanne Husky, des œuvres d’Estefania Peñafiel Loaiza, de Pierre Buraglio, de Romuald Jandolo, d’Andres Payan et de Joris Valenzuela, dont on avait pu voir le travail au Salon de Montrouge. A noter deux nouvelles recrues dans l’écurie de la galerie : Nelson Bourrec Carter, que l’on avait remarqué au Prix Utopie et qui présente, sur un miroir, une photographie du premier baiser interracial de l’histoire du cinéma, et Makiko Furuichi, une artiste japonaise qui vient en France et qui montre de poétiques et oniriques aquarelles. Parce qu’elles sont le fruit de différentes cultures ?

-Suzanne Husky, Le Temps profond des rivières, jusqu’au 7 avril à Drawing Lab, 17 rue de Richelieu 75001 Paris (www.drawinglab.com )

Le Présent, Bruno Serralongue feat, jusqu’au 3 mars à la galerie Air de Paris, 43 rue de la Commune de Paris 93230 Romainville (www.airdeparis.com)

Origines/Diversités, jusqu’au 2 mars à la galerie Alain Gutharc, 7 rue Saint-Claude 75003 Paris (www.alaingutharc.com)

Images : (1 et 2) Suzanne Husky, co-pensé avec Baptiste Morizot, L’effet castor, 2023, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc ; Grandfather beaver and the tree of life, 2021, aquarelle sur papier, 114,5 x 94,5 cm © Courtesy Galerie Alain Gutharc ; vue de l’exposition Le Présent à la galerie Air de Paris (photo Marc Domage) ; vue de l’exposition Origines/Diversités à la galerie Alain Gutharc

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*