de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Un week-end au salon

Un week-end au salon


Le printemps est là, même si, depuis quelques jours, il pleut sans discontinuer sur Paris. Et avec lui les salons, qui éclosent, comme les premiers boutons de fleurs, et semblent répondre au désir des amateurs de voir – et éventuellement d’acheter – de l’art, après des mois d’hiver passés dans leur tanière. Cette semaine, plusieurs salons ont ouvert leurs portes dans la capitale, dont Art Paris Art Fair au Grand Palais et Drawing Now au Carreau du Temple. Mais curieusement, alors que ces deux salons sont complémentaires puisqu’ils sont tous deux axés sur l’art moderne et contemporain et que le second est entièrement consacré à un seul médium (le dessin), il semblerait qu’ils ne s’aiment guère et qu’ils feraient même tout pour se concurrencer. Dans la brochure VIP d’Art Paris Art Fair, par exemple, il est à peine fait mention, en petit et à la fin, de Drawing Now et les deux salons ne trouvent pas mieux que de vernir à la même date, obligeant le visiteur à faire un choix, car on voit mal qui peut avoir la force de faire attentivement les deux dans la même journée. C’est dommage parce que ce n’est pas ainsi qu’on fera venir les collectionneurs de province et de l’étranger et qu’on créera la synergie nécessaire pour remettre Paris au premier plan des places d’art. Mais il s’agit d’un mal bien français, que l’on observe, hélas, dans bien d’autres secteurs, et qui privilégie les querelles de clochers ou les batailles d’ego sur l’intérêt général.

S’il fallait privilégier un des deux salons, en tous cas, ce serait Drawing Now. Car Art Paris Art Fair, malgré des efforts, et en dépit de sa localisation au Grand Palais, ne réussit pas à redresser la barre. Trop d’œuvres clinquantes, trop de galeries de second rang, pas assez d’exigence pour que cette foire puisse rivaliser avec les autres grandes foires mondiales ou même trouver une place légitime par rapport à la Fiac (programme différent, coût des œuvres moindre, etc). On trouve certes quelques bonnes enseignes, comme la galerie Jean Brolly, qui présente une mini-rétrospective Bernard Aubertin, à côté de belles pièces des deux Mathieu (Cherkit et Bonardet), la galerie Nathalie Obadia, Magnin-A, qui présente des artistes africains, ou certaines galeries faisant partie du secteur « Promesses » (Under Construction Gallery, par exemple), mais l’ensemble est trop disparate, inégal et ne parvient pas à justifier un prix d’entrée (25 euros), qui, pour être moins élevé qu’à la Fiac, n’en est quand même pas négligeable. Chaque année, un pays est mis à l’honneur et, cette année, c’est la Corée qui a été choisie. Mais là-encore, en dehors de quelques galeries qui présentent des œuvres relativement ambitieuses (comme 313 Art Project), ce n’est pas le meilleur de l’art coréen qui est montré. Et quand, qui plus est, un vent glacial s’engouffre entre les allées du Grand Palais, comme c’était encore le cas hier, on ne peut pas dire que l’ambiance soit des plus chaleureuses…

Grégory Forstner, Le Majordome, 2016, Fusain sur papier, 127 x 97 cm © Courtesy Gregory ForstnerUn artiste fait le pont entre Art Paris Art Fair et Drawing Now : Emmanuel Régent. Au Grand Palais, cet artiste, dont il a déjà été question dans ces colonnes (cf http://larepubliquedelart.com/lart-de-la-reserve/) montre, sur un des quatre murs dédiés à des réalisations particulières, une très puissante série de dessins de bateaux qui coulent  (galerie Caroline Smulders) et au Carreau du Temple, c’est une autre et magistrale ruine, en plein cœur de l’actualité, qui a les honneurs des cimaises : Palmyre. Virtuosité, poésie, délicatesse, maîtrise technique, mais aussi ouverture sur le rêve et l’imaginaire sont toujours les qualités de cet artiste convaincu et sincère.

Ce grand et exceptionnel dessin a été sélectionné par Philippe Piguet, directeur artistique du salon, dans le cadre de l’exposition, Now is our future, qui fête les dix ans de la manifestation et qui a proposé à une quinzaine de personnalités du monde de l’art de présenter un des artistes qu’ils jugent le plus représentatif du dessin contemporain. Car il y a maintenant dix ans qu’existe ce salon unique son genre, puisqu’entièrement consacré au dessin de notre temps, un médium jugé encore comme négligeable il n’y a pas si longtemps que cela (au même moment se tient aussi à Paris, au Palais Brongniard, le Salon du dessin ancien). Et en dix ans, la qualité du salon n’a fait que s’améliorer, les meilleures galeries françaises qui avaient des artistes spécialisés dans ce médium s’y sont donné rendez-vous (mais uniquement lorsqu’elles avaient un projet intéressant à proposer) et les bonnes galeries internationales, qui font si cruellement défaut à Art Paris Art Fair, ont accepté d’y venir. Cela donne une excellente manifestation, à taille humaine (74 galeries, soit la moitié de la manifestation du Grand Palais), qui présente aussi bien des artistes historiques que de jeunes artistes (et donc les prix qui vont avec) et qui propose aussi toute une série de rencontres, colloques et entretiens autour du sujet évoqué.

Tinus Vermeersch 9.16,ink on paper,11,8x17cm,©Fotorama, courtesy Hopstreet Gallery BrusselsIl faudrait beaucoup de temps et d’espace pour décrire toutes les propositions qui retiennent l’attention dans ce salon. Nous nous bornerons à quelques-unes : dès l’entrée, le stand de Thaddaeus Ropac consacré au père du minimalisme allemand, Imi Knoebel, frappe par sa rigueur et son élégance ; un peu plus loin, chez Aline Vidal, le regard est ravi par une très belle série de dessins réalisés avec la terre par Herman de Vries ; plus loin encore, Laurent Godin consacre un grand mur à ses artistes dessinateurs (Claude Closky, Alain Séchas, Marlène Mocquet, etc) ; dans les allées, Valérie Bach donne à Agnès Thurnauer l’occasion de montrer intelligemment et avec une participation active du spectateur ses dessins, dont une intéressante nouvelle série consacrée à la main et intitulée, selon le goût de l’artiste pour les glissements sémantiques : « Main-Tenant » ; Mathias Coullaud, dans le prolongement de son exposition à la galerie, montre les dessins puissants et expressifs  de Gregory Forstner, en lien avec ceux de Valérie Sonnier ; chez Maïa Muller, on peut voir de belles œuvres sur papier (préférables aux peintures) d’Alberola ; Loevenbruck consacre son stand à une belle rétrospective du regretté Gilles Aillaud ; enfin au sous-sol, dans les jeunes galeries, on peut découvrir les remarquables dessins à l’encre, tout à fait dans la tradition symboliste et surréaliste belge, de Tinus Vermeersch (le frère de Pieter), à la Hopstreet Gallery de Bruxelles ou les dessins réalisés eux-aussi en résonnance avec le siècle dernier par Michael Ryan, un artiste américain, chez Anna Marra Contemporeana.

BennequinDeux propositions, toutefois, m’ont particulièrement séduit, qui ont Proust pour point commun : celles de Jérémie Bennequin et Sépànd Danesh. Le premier, représenté par la galerie C de Neuchâtel, s‘est fait connaître en gommant des pages entières de la Recherche du temps perdu de Proust, dans un geste qui relève autant de la destruction que de la vénération et de la caresse (l’artiste garde aussi dans de petits flacons, la poussière de gomme qui a servi à effacer le texte). A Drawing Now, outre quelques pages gommées de Proust (comme dans une ultime tentative pour saisir l’ineffable, à l’instar du projet global de la « Recherche »), il montre des poèmes de Baudelaire sur lesquels il a, au contraire, rajouté des mots ou réécrits certaines tournures, dans un geste qui, lui aussi relève de l’admiration et du vandalisme (ils sont accompagnés de portraits au crayon du poète à différentes époques de sa vie). Quand on sait que Jérémie Bennequin a aussi publié récemment un livre qui permet de lire dans l’autre sens Un coup de dés n’abolira jamais le hasard de Mallarmé, on mesure l’importance que la poésie et la littérature occupent dans son travail.

SepandComme elles occupent celui de Sépànd Danesh, ce jeune artiste d’origine iranienne qui, pour apprendre le français, a recopié les textes entre les lignes des livres, et en particulier entre celles de la Recherche du temps perdu, qu’il montre ici (à la galerie Backslash). Mais l’ensemble du stand est surtout occupé par L’Encyclopédie de l’imagination, un étonnant ensemble de dessins qu’il a commencé en 2004 (il y en a plus de 500 aujourd’hui) et qui sont tous réalisés sur le même modèle : des dessins d’environs trois centimètres, en couleur ou en noir et blanc, alignés et organisés en colonnes  sur des feuilles A4. Chacun correspond à un moment, à une rencontre ou à une idée qui lui a traversé l’esprit. En fait, il s’agit d’une forme de journal intime, mais qui veut aller au-delà du langage parlé en inventant une sorte de langage universel, qui n’est pas sans rappeler les hiéroglyphes, mais dont le sens n’est jamais sûr. Sépànd Danesh a commencé ce travail avant même de savoir qu’il allait devenir artiste et c’est en le montrant qu’il est parvenu à entrer aux Beaux-Arts de Paris. Depuis, il a appris le métier, sa carrière s’est précisée et il est passé à la peinture (il présente à la galerie Backslash une exposition de peintures, Des ruines pour origine, qui se termine demain samedi). Mais cette série de dessins, toujours en cours, semble constituer l’essence de son travail, sa colonne vertébrale, le lieu privilégié où il puise à la source.

-Art Paris Art Fair, jusqu’au 3 avril au Grand Palais (www.artparis.com)

-Drawing Now, jusqu’au 3 avril au Carreau du Temple (www.drawingnowparis.com)

Pour être tout à fait complet, il faudrait mentionner une foire off DDessin, qui se tient jusqu’au 3 avril aussi à l’Atelier Richelieu, 60 rue de Richelieu 75002 Paris et qui présente une vingtaine de galeries françaises et étrangères soutenant la jeune scène émergente.

Images : Emmanuel Régent, Pendant qu’il fait encore jour (Palmyre), 2016, encre de Chine sur papier, 110 x 220 cm, photo Nicolas Giraud, courtesy Caroline Smulders ; Grégory Forstner, Le Majordome, 2016, fusain sur papier, 127 x 97 cm, courtesy Mathias Coullaud/Grégory Forstner ; Tinus Vermeersch 9.16, encre sur papier, 11,8 x 17 cm, © Fotorama, courtesy Hopstreet Gallery Bruxelles ; Jérémie Bennequin, A deux dames créoles, 2015, poème imprimé et encre de chine sur papier, 21 x 30 cm © Galerie C ; Sépànd Danesh#355 (série L’Encyclopédie de l’imagination), technique mixte sur papier, 29,7 x 21 cm, courtesy the artist and Backslash Gallery, Paris.

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