A Monaco, Dali populaire, Spalletti secret
Chaque été, le Grimaldi Forum de Monaco présente une grande exposition destinée à satisfaire le plus large public. Les années précédentes, Warhol, Bacon ou encore un choix d’œuvres de la collection Pinault faisant référence à l’histoire de l’art, Art Lovers, furent à l’honneur. Et en alternance, des expositions consacrées à des pays et des civilisations (Les Reines d’Egypte, La Cité interdite) attirèrent les foules. Mais populaire ne veut pas dire vulgaire et la plupart de ces grandes manifestations, qui rassemblaient toujours des œuvres de première importance, firent preuve d’excellence, avec des scénographies souvent remarquables et des accrochages très élaborés.
C’est encore le cas de l’exposition présentée cet été, consacrée à Dali, à l’occasion du 30e anniversaire de sa mort. Pourtant, on pouvait craindre qu’avec un sujet pareil, on ne se laisse aller à des débordements ou à privilégier les œuvres -objets ou sculptures- les plus spectaculaires de l’artiste (et Dieu sait si elles sont nombreuses !). Or il n‘en est rien et les commissaires, Montse Aguer Teixidor, directeur du musée Dali, et Laura Bartolomé Roviras, ont été d’autant plus exigeants qu’ils ont privilégié un thème qui n’est pas le plus immédiat : celui de l’évolution de la peinture et du dessin. D’ailleurs, ils ont intitulé l’exposition « Une histoire de la peinture » et c’est bien pour montrer à quel point le maître des « montres molles » a traversé tous les courants de son époque et à quel point il était nourri aussi de références à l’histoire de l’art.
Ici, donc, pas de « Vénus de Milo à tiroirs » ou de « canapé en forme de lèvres » (évoqué toutefois dans une vidéo sur le Théâtre-musée de Figueras), mais un parcours dans le cheminement pictural de Dali évoqué avec des œuvres en nombre relativement restreint, mais particulièrement significatives. On commence avec les premiers pas de l’artiste, qui fut un peintre précoce, et qui commença avec des œuvres proches de l’impressionnisme. Puis ce sont les influences des avant-gardes de sa jeunesse : le cubisme et en particulier Juan Gris, la penture métaphysique, comme en témoigne un très beau portrait de Bunuel, qui fut un de ses camarades d’études. De nombreux mouvements y passent, jusqu’à l’abstraction totale, sous l’influence de Jean Arp et de Miro. C’est ce dernier qui va le présenter aux Surréalistes. Dès lors, Dali va élaborer sa fameuse méthode « paranoïaque-critique » (qui est une manière de projeter son inconscient dans les contours ou les structures des objets du monde) et trouver le style qui va le rendre célèbre.
C’est ce que montre l’exposition. Après, en vérité, Dali n’inventera plus grand-chose, mais il cherchera à se confronter aux grands maîtres (un peu comme Picasso à la fin de sa vie), se passionnera pour la science et les nouvelles techniques et apprendra l’art du happening et de la publicité auprès des artistes du Pop-Art américain, dont il est, à bien des égards, un précurseur. Mais elle (l’exposition) montre aussi bien d’autres choses comme l’atelier idéal que Dali voulut se faire construire, à son retour des Etats-Unis, en 1949, à Portlligat (inspiré par la géométrie sacrée des dessins de Léonard de Vinci, il s’agissait d’un grand icosaèdre de verre qui ne vit jamais le jour), sa tentative de faire une peinture tridimensionnelle, c’est-à-dire une peinture qui se rapproche de la sculpture avec le principe de l’image double, stéréoscopique, ou encore, permet de cliquer sur des reproductions de deux tableaux emblématiques de l’artiste (dont le fameux La Mémoire de la femme-enfant de 1929) pour avoir des explications précises sur les figures récurrentes de son travail. Enfin, une dernière salle permet de voir certaines toiles qui font directement référence aux peintres que Dali admirait : Picasso, Vermeer, Raphaël, Velasquez, etc.
Tout cela est clair, pédagogique au bon sens du terme, intelligent et permet de se souvenir à quel point celui qui, dans son livre de conseils à l’attention des jeunes artistes, 50 Secrets magiques, s’autoproclamait le « rédempteur de l’Art moderne », était avant tout un peintre et un dessinateur exceptionnel (il suffit, par exemple, de voir l’extraordinaire dessin Portrait de Gala au turban, dans la plus pure tradition ingresque, pour se le prouver).
Tandis que le Grimaldi Forum célèbre le maître catalan, le Nouveau Musée National de Monaco accueille, à la Villa Paloma, cet artiste si secret et si ineffable qu’est Ettore Spalletti. Spalletti, qui est né dans les Abruzzes, en 1940, s’est essentiellement intéressé aux deux couleurs qui constituent son environnement quotidien, le bleu du ciel et de la mer Adriatique et le rose des montagnes et des crépuscules. Deux couleurs qu’il a traitées de manière monochromatique et dans leur interaction avec l’espace. Sa méthode de travail est toujours identique : elle consiste à appliquer pendant des semaines des dizaines de couches de peintures sur des surfaces en bois. Une fois sec, le bois est poncé pour faire apparaître les pigments dans toute leur couleur et leur luminosité. C’est un processus très lent et méditatif, qui parvient à un résultat infiniment soigné et raffiné, qui fait vibrer d’infimes subtilités et qui touche à cette intemporalité propre aux paysages méditerranéens.
Pour la Villa Paloma, Ettore Spalletti a conçu un parcours original, composé d’œuvres historiques provenant de son atelier ou de collections privées, mais aussi de nouvelles productions importantes. Dans les salles, les volumes se succèdent, d’une manière que l’on pourrait d’abord croire uniforme, mais à y bien regarder, on remarque très vite que les éléments des diptyques ou des triptyques refusent de s’aligner, que des angles se détachent, que soudain un ruban d’or modifie la perspective. Et les pièces se répondent, pour investir l’espace et laisser la couleur respirer. « La couleur poudreuse des mélanges d’Ettore Spalletti, dit d’ailleurs Daniela Lancioni, dans le dépliant distribué à l’entrée, est de la même substance que l’air. Elle partage avec lui la capacité de pouvoir se mêler à d’autres éléments. Il s’agit non seulement d’une perception visuelle, apportée par l’opacité du pigment, mais aussi tactile : si nous pouvions toucher ses œuvres, nous en resterions marqués. » L’exposition est admirable.
–Dali, une histoire de la peinture, jusqu’au 8 septembre au Grimaldi Forum de Monaco (www.grimaldiforum.com). A l’occasion de l’exposition, un très beau catalogue a été publié, en collaboration avec les Editions Hazan, qui retrace l’ensemble de l’oeuvre de l’artiste avec des contributions passionnnantes, dont celles des commissaires (240 pages, 29,95€)
–Ettore Spalletti, Ombre d’azur, transparence, jusqu’au 3 novembre au Nouveau Musée National de Monaco, Villa Paloma (www.nmnm.mc)
Images : 1 et 2, vues de l’exposition Dali, une histoire de la peinture ©Grimaldi Forum 2019 JC Vinaj – copyright ; 3, vue de l’exposition Ettore Spalletti Ombre d’azur, transparence, Nouveau Musée National de Monaco – Villa Paloma, Photo : Werner Hannappel, VG-Bildkunst Bonn 2019
Une Réponse pour A Monaco, Dali populaire, Spalletti secret
D’accord avec vous. L’expo Dali est populaire sans être vulgaire
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