de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Ann Veronica Janssens: et la lumière fut!

Ann Veronica Janssens: et la lumière fut!

Il y a peu d’œuvres dans l’exposition d’Ann Veronica Janssens à la Collection Lambert d’Avignon, on met peu de temps à la parcourir, mais quand on la quitte, on a le sentiment qu’il s’est passé quelque chose, qu’on a vécu quelque chose de singulier. Comme une expérience, un ressenti plutôt que le fruit d’une réflexion intellectuelle. Est-ce la force des œuvres présentées ? La manière dont elles sont disposées dans l’espace ? On met du temps à comprendre que ce qui nous a d’abord troublé, c’est la lumière, qui entre de part et d’autre du premier étage de l’Hôtel de Montfaucon, où l’exposition est présentée. Car Ann Veronica Janssens a choisi d’ouvrir les 26 fenêtres qui jalonnent le parcours et de faire ainsi en sorte que le spectateur soit immergé par la lumière et qu’il soit sensible à ses variations, selon la météo, les différentes heures du jour, l’endroit où l’on se place.

La lumière est au centre du travail de cette très subtile artiste née en 1956 au Royaume-Uni, mais qui vit depuis longtemps à Bruxelles. Comme il est écrit dans le petit livret qui accompagne l’exposition de la Fondation CAB de Saint-Paul-de-Vence, exposition qui est réalisée par le même commissaire que celle d’Avignon, Stéphane Ibars, et qui fait écho à celle-ci, elle « vient de son désir de montrer le réel sous un autre jour. Au lieu d’essayer de saisir l’impalpable, elle cherche à jouer avec ses multiples formes et apparitions. Pour elle l’art n’est pas un objet mais une expérience en soi, la sculpture devenant un lieu de perception. Pour cette raison, les mediums et la palette de couleurs de ses œuvres sont changeants : ils dépendent de la sensation, de l’expérience et de la singularité de chaque regardeur. »

Les œuvres qui sont présentées ne sont donc pas tant des œuvres en soi que des moyens de capturer cette lumière. Et celle-ci apparait dans tous ses états, diffusée, réfléchie, absorbée, capturée, projetée et transformée. Les matériaux utilisés à cet effet sont soigneusement choisis pour les propriétés spécifiques et d’une simplicité qui appartient à l’esthétique minimale : le verre, le miroir, l’aluminium, la brume artificielle, etc.). . « Son déploiement de la lumière comme outil, matière, science et symbole de l’espace que nous partageons nous sort de notre rapport routinier avec celui-ci », dit aussi Mieke Bal. Entrer dans l’univers d’Ann Veronica Janssens, c’est aussi accepter de nouvelles expériences, un trouble de la perception, une manière différente d’envisager les choses qui nous entourent.

A Avignon, l’exposition, qui est pensée comme une grande installation, s’intitule entre le crépuscule et le ciel. Elle fait référence à un vers de Réné Char (« Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? »), extrait du recueil La Postérité du soleil, illustré par des photos d’Henriette Grindat et coécrit avec Albert Camus sur les routes du Lubéron. Elle renvoie aussi à une exposition de Dan Flavin, qui se trouve à l’étage inférieur du musée. On y voit tout autant ces stores vénitiens dorés à la feuille qui modifient complètement notre regard sur l’extérieur, que ces barres en métal posées au sol qui réfléchissent la lumière ou ces pièces en verre très dense qui au contraire l’emprisonnent. Et toute une aile est consacrée à une poudre de paillettes bleues (Untitled, Blue Glitter), qui a été éparpillée au sol d’un énergique coup de pied et dont le dessin sinueux s’est formé de manière aléatoire.

A la Fondation CAB, l’exposition, qui s’apparente davantage à une présentation traditionnelle, porte le nom de l’adresse où se trouve la fondation ( 5766 Chemin des Trious). C’est un clin d’œil conceptuel, un peu à la manière d’On Kawara, et qui entre en résonnance avec les œuvres que montre habituellement cette fondation belge. Là, une pièce entière abrite des projections murales qui reproduisent, selon l’angle d’incidence, des variations sur le spectre lumineux ; on trouve ces fameux aquariums qui génèrent des phénomènes de diffraction de la lumière en associant, dans des cubes en verre, de l’eau et de l’huile de paraffine colorée ; on lit un texte dont les lettres des mots sont écrites dans le désordre, mais que l’on parvient néanmoins à déchiffrer, parce que, par obligation, le visiteur accomplit un acte de perception et rétablit lui-même le bon ordre (métaphore du travail de l’artiste, pour qui l’acte perceptif est essentiel, c’est lui qui crée la sculpture).

Dans les deux cas, une expérience sensible, poétique, qui réenchante le monde et nous fait voir les choses à côté desquelles on passe, trop souvent, sans y porter d’attention.

-Ann Veronica Janssens, entre le crépuscule et le ciel, jusqu’au 9 octobre à la Collection Lambert, 5 rue Violette 84000 Avignon (www.collectionlambert.com) et 5766 Chemin des Trious, jusqu’au 11 septembre à la Fondation CAB, 5766 Chemin des Trious, 06570 Saint-Paul-de-Vence (www.fondationcab.com)

Images : 1 et 2, Vues de l’exposition d’Ann Veronica Janssens entre le crépuscule et le ciel à la Collection Lambert © Blaise Adilon, 2022 ; vue de l’exposition 5766 Chemin des Trious à la Fondation CAB

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

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commentaire

Une Réponse pour Ann Veronica Janssens: et la lumière fut!

MC dit :

On pourrait, on devrait, sortir peut-être de l’Art Conceptuel agonisant, tel qu’il massacre l’Hotel ce.Montfaucon, réduit à une chambre d’enregistrement de mignardises Chariennes.. « Avec du je ne sais quoi, et du presque rien, on fait du pas grand chose » disait Jankelevitch….

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