de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Calzolari l’alchimiste

Calzolari l’alchimiste

Est-ce parce qu’ils baignent dans un environnement où le passé se rappelle à chaque coin de rue et où l’art a laissé d’innombrables traces que les artistes italiens contemporains sont à ce point sensibles à la mémoire et à l’esthétique ? Toujours est-il que même les plus radicaux d’entre eux n’ont jamais complètement évacué la question du beau et de la forme. Au point d’ailleurs que cela a pu paraitre handicapant, que cela a pu sembler un obstacle au franchissement de certaines règles et de certains codes. Mais beaucoup ont aussi réussi à l’intégrer, à le détourner et à en faire le socle de leur travail.

C’est ce qui frappe en voyant l’exposition de Pier Paolo Calzolari à la Villa Paloma de Monaco. De nombreuses œuvres ont recours au texte et à la poésie, que ce soit sous forme de néons ou à l’intérieur des œuvres, compréhensible ou pas, à l’endroit ou à l’envers. L’exposition s’ouvre d’ailleurs sur un manifeste : le texte que Calzolari a publié dans le catalogue de l’exposition « Op Losse Schroeven » au Stedelijk Museum d’Amsterdam en 1969 – qui est généralement tenue pour une des manifestations fondatrices de l’art contemporain -, sous le titre Casa ideale (c’est aussi le titre de la présente exposition). Dans ce titre, qui est resté fameux, il s’exclame : « je voudrais faire savoir que je veux l’expansion la démocratie la folie l’alchimie la démence la rythmie l’horizontalité. Je veux faire savoir que je veux être aussi vivant qu’on peut l’être et aussi déployé qu’on peut l’être ». Bref, c’est un hymne à la liberté, au plaisir, à hédonisme. Hédonisme que l’on trouve aussi dans une œuvre du premier étage sur laquelle on peut lire, comme un rappel de la musique des bords de la Méditerranée : « L’air vibre du bourdonnement des insectes ».

Il y a beaucoup de savoir, de connaissances, de références, d’influences dans l’œuvre de Calzolari (dont celle revendiquée d’Ezra Pound). Certaines qui nous échappent, mais dont on trouve un écho dans les titres, comme dans Tolomeo (Ptolémée) l’un des premiers grands astronomes d’Occident. Comme l’indique le petit guide qui accompagne l’exposition : « C’est un meuble de cuivre réfrigéré, de sorte que la condensation produit sur ses bords une couche de givre immaculée, qui fond doucement pour se résoudre en un petit lac intérieur : on est face à un paysage en réduction, d’apparence immobile, mais changeant avec le temps et qui, à la Villa Paloma, reflète un clair de lune peint sur un grand panneau de bois recouvert de papier. » Froid et chaud, glaciation et éclat de la lumière du Sud, l’artiste est passé maître du « en même temps », de la réunion des contraires.

Le givre est d’ailleurs une des matières que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres de Calzolari. Il vient de la peinture, du blanc, de la volonté de retrouver un pigment naturel et éphémère qui ne s’altère jamais, mais aussi du marbre. L’assemblage des matières est, au fond, l’essentiel de son travail. Matières naturelles comme les feuilles de tabac ou les pétales de roses, mais aussi sel calciné, plomb, bois brûlé, bref, toutes ces matières que chérissent les adeptes de l’Arte Povera, ce mouvement qui s’élevait contre l’aspect commercial du Pop Art et dont l’artiste est un des illustres représentants. De tout cela, il fait une œuvre poétique, une sorte de lexique dont le sens nous échappe quelque peu, mais qui fascine par sa grâce, sa fragilité, son mystère et sa pureté formelle (et la poésie n’est-elle pas souvent ésotérique). Enfin, l’humour n’en est pas complètement absent, comme en témoigne cette pièce réalisée avec un petit cochon rose en peluche acheté sur une aire d’autoroute et qui tente désespérément de franchir une lourde porte noire qui est moulée sur celle de la maison de Calzolari en Italie…

Calzolari a fêté ses 80 ans, il est représenté par de nombreuses galeries (dont Mennour) et a été exposé un peu partout dans le monde. Si ce sont plutôt les jeunes artistes non encore représentés en qui vous intéressent, il faut vous rendre le week-end prochain à la galerie Dix9 à Paris, où l’association Artaïs, qui s’est fixé pour mission de les soutenir, organise une vente d’œuvres originales en série limitée avec sculptures, sérigraphies, gravures et photographies. Les multiples ou séries de pièces uniques sont édités en 10 exemplaires au prix de 200 euros et les recettes des ventes sont versées intégralement aux artistes. Parmi eux, on relève les noms Geoffrey Badel, de Celia Coëtte, de Raphaël Maman ou de Zoé Tullen (ils sont quatorze au total). Ces éditions offrent aux collectionneurs l’opportunité d’acquérir une œuvre exclusive à petit prix et de bénéficier des conseils et des suggestions des artistes qui seront présents le soir du vernissage.

-Pier Paolo Calzolari, Casa ideale, jusqu’au 7 avril à la Villa Paloma, Nouveau Musée National de Monaco (www.nmnm.mc)

-Exposition-vente organisée par l’association Artaïs, du 12 au 14 janvier à la galerie Dix9, 19 rue des Filles du Calvaire 7500 Paris (vernissage le 12 à partirc de 18h)

Images : Pier Paolo Calzolari, Tolomeo, 1989 Cuivre, fer, plomb, structure givrante, moteur réfrigérant 93 x 500 x 200 cm Fondo Calzolari Crédit photo : White Cube (Ben Westoby) © Pier Paolo Calzolari / Adagp, Paris ; Natura morta B, 2005 Tempera au lait sur toile, fer, livres en plomb, plomb 231,5 x 154 x 54 cm Collection privée Crédit photo : Michele Alberto Sereni © Pier Paolo Calzolari / ADAGP, Paris 

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