de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Camille Henrot règne à la FIAC

Camille Henrot règne à la FIAC

Avant le beaujolais, la FIAC 2017 est arrivée ! Et par rapport à la précédente édition, pas de grand changement, si ce n’est le petit retour du design qui occupe désormais la place laissée vacante par le Prix Marcel Duchamp qui se tient à Beaubourg (cf http://larepubliquedelart.com/en-ce-moment-au-centre/). On retrouve donc des œuvres de plus grand format (mais toujours à la vente), au Petit Palais, On Site, avec des pièces, entre autres, de Johan Creten, Enrique Ramirez, Fabrice Samyn ou Hans Schabus. L’avenue Winston Churchill est à nouveau piétonnisée et, là, c’est un Projet pour un musée éphémère de Yona Friedman qui est installé et qui permet à tout le monde d’accrocher une photocopie de son œuvre préférée. Enfin, dans le Jardin des Tuileries, tout un parcours de sculptures est proposé (avec, sur la Place Vendôme, une belle intervention d’Oscar Tuazon) et un riche programme de performances et de débats ponctue les visites.

Quant à la Foire elle-même, elle a atteint sa vitesse de croisière et, de l’avis unanime, fait partie maintenant des meilleures au monde. La qualité règne partout, depuis les « modernes » (comme d’habitude, le stand de la galerie 1900-2000 est un petit musée ambulant), jusqu’aux plus jeunes (mention spéciale, à l’étage, pour la galerie Allen, qui propose, sur un papier peint assez pop de Maxime Rossi, les sérigraphies très « 70 » de Corita Kent, une religieuse devenue artiste), en passant par le Salon d’honneur où sont regroupées les galeries qualifiées de « prospectives »  et où l’on fait les découvertes les plus intéressantes et, bien sûr, les grandes galerie du rez-de-chaussée, qui présentent les figures essentielles de l’art contemporain. A tel point qu’on regretterait presque, ça et là, un petit scandale, un coup d’éclat qui viendrait secouer la foire et la sortir de ce cocon d’excellence dans laquelle elle se replie aujourd’hui. Mais les galeries préfèrent jouer la carte de la sagesse et de la sécurité et rares, d’ailleurs, sont celles qui prennent même le risque de ne présenter qu’un seul artiste (à l’exception des solo-show très remarqués de Jeppe Hein, à la galerie 303, et de Tomas Saraceno chez Esther Schipper).

0194453015f3558c9c97387757cdd5647c95a57648Sur la foire, plusieurs galeries (Kamel Mennour, Metro Pictures, Koenig Galerie) vendaient, comme des petits pains, des œuvres de Camille Henrot. Il faut dire que l’artiste française, qui vit désormais à New York, venait d’investir, deux jours plus tôt, l’intégralité des espaces du Palais de Tokyo et que son œuvre, protéiforme, se déploie dans tous les registres. Son exposition, cependant, Days are Dogs (qui vient de l’expression anglo-saxonne « dog day » utilisée pour qualifier une journée difficile) est très réussie et parvient avec beaucoup d’intelligence à dompter les différents plateaux de l’immense navire. Pour la concevoir, Camille Henrot, qui s’intéresse autant à l’art qu’à l’ethnologie, le cinéma, la littérature ou d’autres disciplines scientifiques, est partie du constat qu’à la différence des années et des mois qui correspondent réellement à la rotation de la Terre autour du Soleil, les jours de la semaine sont une pure invention de l’homme, dans le but tout à la fois de le contraindre (l’aspect social) et de le rassurer (de lui donner un cadre). Mais ils sont aussi liés à un astre ou à un héros de la mythologie (le lundi à la lune, le mardi à Mars, le jeudi à Jupiter, le samedi à Saturne, etc.) qui donne à chaque jour sa tonalité et sa spécificité dans l’organisation de la semaine.

(Photo supprimée)

Elle a donc découpé l’exposition en sept parties qui correspondent à ces sept jours de la semaine et a conçu pour elles des œuvres qui les représentent. Ainsi pour le samedi, qui est le jour qui ouvre le parcours (et non le dimanche ou le lundi comme le veulent certaines cultures), jour de l’entre-deux, où tout semble possible, elle a réalisé un film en 3D, Saturday, qui renvoie à l’espoir d’une vie meilleure comme à celui d’échapper au quotidien, aussi bien par des rituels de baptême par immersion que par des injections de Botox. Pour le dimanche, qui est le jour que l’on passe chez soi, elle a réactivé, entre autres, ses « ikebana », arrangements de fleurs selon la tradition japonaise, qu’elle associe à des chefs-d’œuvre de la littérature. Pour le lundi, jour qui correspond à la reprise du travail et qui est souvent lié à la mélancolie, elle a conçu toute une série des fresques et de sculptures qui expriment la volonté de ne rien faire ou de travailler depuis son lit. Pour le mardi, jour de la guerre, elle a filmé des combats de jiu-jitsu ou des objets qui peuvent évoquer la violence et une certaine soumission masochiste, etc., etc. Chaque jour trouve son illustration, que ce soit par des films (dont un, pornographique, qu’elle a produit au tout début de sa carrière et qu’elle a détourné en dessinant partiellement dessus), des dessins, des sculptures, des installations visuelles ou sonores.

(Photo supprimée)

Ce qui frappe surtout, dans cette exposition, c’est la multitude de pièces exposées, la diversité des médiums et l’énergie dont l’artiste a fait preuve. Ses prédécesseurs, à qui avait aussi été confiée l’intégralité des espaces du Palais (Philippe Parreno, Tino Sehgal), avaient eu des gestes amples et présenté des pièces qui occupaient des salles entières ou fait appel à de nombreuses collaborations. Camille Henrot s’entoure elle-aussi de quelques artistes qu’elle affectionne (Jacob Bromberg, Avery Singer et David Horvitz, entre autres), mais expose principalement son propre travail, en présentant de nombreuses œuvres nouvelles qui ont nécessité des mois de travail ou en recyclant des œuvres anciennes. Du coup, on a presque l’impression d’assister à une rétrospective et on ressort un peu rassasié de cette exposition-fleuve. Du coup, certaines œuvres anciennes semblent rentrer un peu aux forceps dans le contexte imaginé.

Mais l’ensemble témoigne d’une intelligence, d’une culture et d’une curiosité qui la met vraiment dans le peloton de tête des artistes de sa génération. Et Camille Henrot fait preuve d’une facilité et d’une fluidité déconcertantes dans les différents médiums. Son discours sur la dépendance, la soumission, la frustration, mais aussi le plaisir et la jouissance, et son renvoi explicite à certains écrivains, dont Joyce, ne rendent pas l’exposition facile, mais l’ouvrent sur des perspectives intellectuelles passionnantes.

-FIAC, au Grand, au Petit Palais et dans plein d’autres endroits de Paris, jusqu’au 22 octobre (www.fiac.com)

Days are Dogs de Camille Henrot au Palais de Tokyo, jusqu’au 7 janvier (www.palaisdetokyo.com)

 

Images : néon de Sylvie Fleury à la Fiac sur le stand de la galerie Karma International; grès émaillé de Johan Creten au Petit Palais présenté par la galerie Almine Rech ; Vues de l’exposition « Days are Dogs », Carte Blanche à Camille Henrot, Palais de Tokyo (18.10 – 07.01.2018) Courtesy de l’artiste et de Metro Picture (New York) ; kamel mennour (Paris/Londres) ; Galerie König (Berlin) © ADAGP, Paris 2017 Photo : Aurélien Mole

Cette entrée a été publiée dans Expositions, Marché.

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commentaire

Une Réponse pour Camille Henrot règne à la FIAC

Sergio dit :

« son œuvre, protéiforme, se déploie dans tous les registres. »

Excellent… Mais souvent on peut être critiqué pour cela ; si l’on voit « éclectique » (dans un article de presse), Achtung danger pour la suite de l’article…

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