Définir le Beau
« Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. -Et je l’ai trouvée amère. Et je l’ai injuriée. », écrivait Rimbaud dans Une saison en enfer…La Beauté, un thème qui a toujours hanté l’histoire de l’art et autour duquel se sont focalisés de nombreux discours. Pendant longtemps, elle a été le but de l’art, au sens de l’harmonie, de l’équilibre, de l’idéal platonicien qui tend vers l’élévation de l’esprit. Puis, au XXe siècle, elle a été remise en question, d’abord avec les cubistes, puis avec tous ces mouvements qui préféraient l’expressif au Beau, même si les deux ne sont pas forcément antinomiques. Dans les années 80, la « Bad painting » et le Punk ont même fait du laid la valeur de référence, qui s’opposait à l’aspect bourgeois du Beau. Et les artistes californiens comme Mike Kelley ou Paul McCarthy ont eu recours au trash et à la vulgarité pour dénoncer les travers de la société du spectacle américaine. Mais depuis quelques années, la notion du Beau a fait son retour chez les artistes et nombre d’entre eux y tendent, sans se sentir obligés de se justifier et sans craindre de paraître réactionnaires. Pour autant, qu’est-ce qu’on entend par Beauté et comment définir ce qui est beau et ce qui ne l’est pas ? La question reste ouverte et personne ne semble vraiment en mesure d’y répondre.
Et ce n’est pas non plus Beauté(s) le livre qui vit de paraitre à L’Atelier contemporain, justement dans la collection « Beautés », qui y parviendra. Car plus que d’un essai qui interroge cette notion de Beauté et qui mesure sa place ou son absence dans l’histoire, c’est un ensemble de textes de différents auteurs qui ont chacun un point de vue différent sur la question, parfois même de manière très indirecte. Et parmi ces auteurs, il y a aussi bien des philosophes et des historiens comme Yves Michaud ou Philippe Descola, que des artistes comme Estéla Aillaud, Claire Chesnier ou Vincent Dulom. Cela va de Camille Saint-Jacques, par ailleurs co-directeur de cette collection, qui part du « sense of beauty » dont parlait Darwin à propos du comportement sexuel de certaines espèces, à Yves Le Fur qui évoque les « Statues d’Afrique et la beauté, en passant par Fabrice Lauterjung, pour qui la beauté se fait par « agrégation », c’est-à-dire en superposant plusieurs niveaux de significations. Et les artistes ont leur propre approche, sensible, personnelle, parfois précieuse. Chacun peut y trouver son compte.
En ce qui me concerne, l’esquisse de réponse qui m’a le plus touché est celle apportée par Jean-Charles Vergne, le directeur du Frac Auvergne où se tient en ce moment justement une exposition sur le même thème. Dans son texte, qui est une reprise partielle de celui qu’il a écrit pour le catalogue qui l’accompagne, il fait allusion à un geste accompli par Pierre Boulez à la fin d’un concert et qui consistait à garder la main droite levée pour maintenir l’attention du public et la tension du son qui se meurt, geste qui décidera le jeune Philippe Fénelon à devenir compositeur. « C’est par un geste, écrit-il, non par un son, qu’advient une expérience inouïe de la musique. » Et plus loin : « C’est peut-être cela le lieu de la beauté : créée en dehors de nous, malgré nous, sans nous, elle est adressée à l’aveugle, comme lancée par-dessus l’épaule et reçue par surprise, pour peu que nous soyons en mesure de la recevoir, pour peu que nous puissions être touchés par cette « noce qui disparaît dans le lointain ». La beauté est analogue à l’apparition inflationniste de l’univers : née d’une fulgurance (et d’une rencontre car la beauté ne vient jamais seule), elle s’épanche dans une dissémination lente et expansive, essaime en créant ses galaxies dissipées et ses astres de sensations. » Belle définition et qui s’applique à bien des expériences esthétiques que l’on a pu ressentir.
–Beauté(s), Editions L’Atelier contemporain, 136 pages, 20€.
–Beautés, jusqu’au 5 novembre au Frac Auvergne, avec de nombreux artistes, parmi lesquels Nathanaëlle Herbelin, Christine Safa et Marina Rheingantz (www.frac-auvergne.fr)
Image : Claire Chesnier, 030921
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