Du côté des galeries parisiennes (1)
C’est la rentrée et les galeries parisiennes viennent de rouvrir leurs portes. En quelques jours, la semaine dernière, les vernissages se sont bousculés dans les différents quartiers « arty » de la capitale. Premier tour d’horizon.
-Commençons par les galeries qui ont profité de l’été pour faire des travaux et modifier leur lieu d’exposition. Marcelle Alix, tout d’abord, qui s’est adjoint l’espace contigu de la galerie (autrefois occupé par la galerie Crévecoeur), en le faisant communiquer et en doublant ainsi sa surface. Elle ouvre avec une exposition de Gyan Panchal, cet artiste qui, avec un langage très souvent constitué d’éléments « pauvres » (au sens où l’employait l’Arte Povera), s’emploie à dépasser le clivage entre nature et culture en produisant des œuvres où objets fabriqués et éléments naturels trouvent leur place, mais dans un contexte repensé et reconsidéré. Ici, peu de pièces, mais significatives (sur le thème de la « coupure », de « l’apparentée », bien accrochée (une des marques de la galerie) et qui souligne avec intelligence et élégance la fluidité de ce nouvel espace.
Autre galerie qui a considérablement agrandi son espace d’exposition, mais en s’adjoignant, elle, une surface haute sous plafond qui se situait juste derrière elle : gb agency. Pour inaugurer ses nouveaux locaux qui en font une des galeries les spacieuses de Paris, elle a fait appel à Mark Geffriaud, un des artistes dont elle accompagne la carrière depuis bien longtemps. Sous le titre très tendre et très « saganesque » de Une certaine douceur en prime, celui-ci a conçu une exposition qui est surtout une longue phrase qui est imprimée sur tous les murs de la galerie (vitres et volets compris) et à l’issue de laquelle le spectateur peut actionner un interrupteur qui modifiera l’éclairage, et par là-même, la manière d’appréhender cette phrase et l’espace. Fait exprès ou hasard heureux ? En tous cas, le projet est une très belle manière d’inciter le spectateur à découvrir la nouvelle circulation proposée par la galerie.
-Poursuivons avec les galeries qui proposent la première exposition d’un nouvel artiste. C’est le cas de Matthew Lutz-Kinoy, ce jeune américain qui vit entre Paris et Los Angeles, et qui expose pour la première fois chez Kamel Mennour. L’artiste a pris pour point de départ la ville de Tanger et la figure de Paul Bowles, un de ses compatriotes, qui y a séjourné si longtemps. C’est la vie du couple que le célèbre écrivain formait avec sa femme Jane – couple avide de sexe et de substances illicites dans les rues de la ville qui fait la jonction avec l’Europe -, qui l’a inspiré pour créer tout un ensemble de peintures et de céramiques qui cherchent à recréer l’ambiance à la fois luxuriante et équivoque de cette cité mythique et qui font aussi référence aux grands maîtres de l’orientalisme, comme Delacroix. Intitulée Bowles, du nom de l’écrivain, l’exposition joue sur les homonymies, puisque les « bowls » en anglais, ce sont aussi grands bassins méditerranéens que Matthew Lutz-Kinoy a peint, dans la tradition de la faïence hispano-mauresque, tout autant que les « balls », c’est-à-dire les couilles dans la langue de Shakespeare. Et la question du désir, de la nature que l’on cherche à circonscrire dans des lieux intérieurs, des mémoires qui se superposent et se confondent est bien celle qui en constitue le fondement et lui donne ce charme et cette fraîcheur.
Autre première exposition : celle de la photographe américaine Leslie Hewitt chez Perrotin. L’artiste, dont le travail s’inscrit dans la lignée de la photographie conceptuelle américaine (Baldessari, Allan Sekula, Taryn Simon, etc.), tend à remettre en cause l’objectivité du médium et, par là-même, la manière dont il nourrit notre mémoire et notre histoire. Pour ce faire, elle utilise de photos trouvées dans ses albums de famille qu’elle place sur des documents de plus grand format qui ont trait aux luttes de la communauté noire au XXe siècle, qu’elle photographie en laissant apparaître les rainures ou les stries du parquet de l’endroit sur lequel elle les posées. Il y a donc un constant va-et-vient entre l’histoire personnelle, l’histoire universelle et le lieu de fabrication de l’image qu’elle fait dialoguer avec des monochromes colorés, infléchissant le travail vers l’abstraction, ou des sculptures minimales (puisque la sculpture est sa formation initiale). C’est intelligent, subtil, très abouti plastiquement et ça tranche singulièrement avec les deux autres expositions présentées au même moment da la galerie, à savoir l’exposition de Laurent Grasso, « OttO », qui continue son exploration de la SF avec des moyens de superproduction hollywoodienne et celle du japonais Madsaki, ami de Murakami, qui rend hommage, heureusement avec humour, à la culture française, en lui donnant pour titre French fries with mayo (tout est dit !).
Il est américain et noir aussi, mais lui, ce sont sur les clichés et les codes des WASP (White Anglo-Saxon Protestant) qu’il travaille. Pour sa première exposition chez Balice Hertling, Kajode Ojo s’appuie sur deux références cinématographiques : Trahisons (Betrayal), le film avec Jeremy Irons tiré de la pièce de Pinter, et By the sea, le film un peu kitsch d’Angelina Jolie avec son époux de l’époque, Brad Pitt. De ce dernier, il réalise une courte vidéo, qui sert de matrice à l’exposition. Il sélectionne en particulier tous les plans où l’on voit du marbre et le reproduit sur des toiles. Mais c’est aussi tout un ensemble d’objets liés à l’idée du luxe ou de sculptures faites à partir d’éléments populaires (des vêtements, du strass, des miroirs, des perruques) qui semblent sortir du film et le prolonger, un peu comme les sculptures de Matthew Barney semblaient issues de ses Cremaster. Il y a bien sûr un premier degré très camp, très soap opera, très « bitchy » dans ces assemblages hétéroclites, mais il y a aussi une vraie qualité plastique, une vraie manière conceptuelle et sculpturale d’évoquer la présence d’un corps absent. Et le regard à la fois fasciné, futile et désabusé que porte l’artiste sur les blancs – qu’à l’instar des autres artistes noirs on s’attend à voir défendre des causes liées à sa couleur de peau – est d’un politiquement incorrect qui dérange et réjouit.
Très vite, la suite, avec les artistes qui changent de galerie (Claire Tabouret chez Almine Rech ou Guillaume Mary à la galerie Ici) ou ceux qui confirment dans leur galerie-mère (Julien des Monstiers chez Christophe Gaillard, Mathieu Cherkit chez Jean Brolly, Stefan Nicolaev chez Michel Rein)…
-Gyan Panchal, La coupure, l’apparentée, jusqu’au 27 octobre chez Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020 (www.marcellealix.com)
-Mark Geffriaud, Une certaine douceur en prime, jusqu’au 6 octobre chez gb agency, 18 rue des 4 Fils 75003 (www.gbagency.fr)
-Matthew Lutz-Kinoy, Bowles, juqu’au 6 octobre chez Kamel Mennour, 47 rue Saint-André des Arts 75006 (www.kamelmennour.com)
-Leslie Hewitt, jusqu’au 22 septembre à la galerie Perrotin, 78 rue de Turenne 75003 (www.perrotin.com)
-Kayode Ojo, Betrayal, jusqu’au 6 octobre chez Balice Herling, 239 rue Saint-Martin 75003 (www.baliceherling.com)
Images : Matthew Lutz‑Kinoy, In the Red Room, 2018, Acrylique, tempera sur toile, 950 x 260 cm et Sans titre / Untitled, 2018, Céramique, Diamètre : 60 cm, Hauteur :20 cm (x22) Vue de l’exposition « Bowles », © Matthew Lutz‑Kinoy, Photo. archives kamel mennour Courtesy the artist and kamel mennour, Paris/London : vue de l’exposition Betrayal de Kayode Ojo chez Balice Hertling.
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