Hervé Priou, libre avant tout
Pendant cette curieuse semaine avant que la France ne se reconfine et au cours de laquelle le milieu artistique parisien a voulu maintenir une effervescence, alors que la Fiac n’avait pas lieu, une manifestation a trouvé son public : Private Choice de Nadia Candet, une sorte de mini-salon qui se tient dans un appartement privé et qui rassemble une sélection d’œuvres d’artistes contemporains, mais aussi du design, des bijoux et même des luminaires (www.privatechoice.fr). Au milieu, entre autres, de tout un ensemble de pièces facétieuses de Marlène Mocquet, de toiles et de céramiques délicates de Pauline Bazignan et de mannequins-sculptures de Daniel Firman que l’on prenait pour de vraies personnes, se détachait une série de petits tableaux, disséminés ça et là et qui auraient pu être noyés dans la masse s’ils ne s’étaient imposés par leur singularité. L’un représentait un paysage aux couleurs denses, mais brouillé, à la manière des peintures de Philippe Cognée, l’autre au contraire un avion dans des tons doux et pastels, projetant au sol une ombre minuscule, un troisième une plante de pied à l’intérieur de laquelle apparaissait un œil et ils semblaient si différents – n’était le format, qui les rapprochait-, qu’on avait du mal à croire qu’ils puissent provenir de la même main.
Ces tableaux portent pourtant bien la même signature : celle d’Hervé Priou, un jeune artiste de trente ans, diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2018, après être passé par la Cambre de Bruxelles et avoir fait un an aux Beaux-Arts de Marseille. Et s’ils sont de ce format, « ce n’est pas, dit-il, pour un quelconque goût de la miniature, mais plutôt parce que, pour l’instant, cela me permet de me concentrer, de mieux maîtriser l’espace et d’en faire des objets intimes, près desquels il faut s’approcher pour bien les distinguer ». Ils ont d’ailleurs une autre particularité, qui est d’être peint sur une toile qui est elle-même contrecollée sur du bois : « techniquement, cela me permet de gratter pour aller chercher la lumière sans risquer de percer la toile, précise-t-il, mais aussi parce que mes tableaux ont un peu à voir avec des icônes, chacun a une forme particulière, qui s’impose d’elle-même ».
Elle s’impose souvent en fonction du sujet, qui vient lui-aussi d’horizons très distincts. Il peint aussi bien des paysages (ceux qu’il voit près du lieu où il habite, en Corrèze, ou ailleurs), que des légumes, des plantes, mais toujours avec un détail qui étonne, qui arrache l’image à la banalité. Des songes, nocturnes ou éveillés. En fait, il ne s’interdit rien, travaille à l’intuition, à l’envie. Ses carnets sont plein de petits dessins qu’il réalise en se disant qu’ils feront peut-être bientôt l’objet d’une peinture. Sa pratique s’apparente à celle du « journal », qui est la forme littéraire qu’il préfère, parce qu’on peut y faire aussi bien figurer de grandes idées que des anecdotes ou des choses futiles. Et c’est encore l’image qui dicte le style : si, dans un paysage, c’est moins le sujet qui est intéressant que la manière dont il est peint, dans d’autres cas, il convient de mettre moins d’effet et d’être plus précis. Là encore, pas d’a priori, mais la liberté de s’adapter à chaque cas de figure.
A l’intérieur de cette image apparait parfois un cadre, une ligne qui structure la composition : « ce sont à la fois des éléments qui construisent l’espace (profondeur et plans) et à la fois des déclencheurs de sensations – exactement comme l’architecture a une incidence sur nos sens – (tension, détente, oppression, douceur…). Et j’aime l’économie de moyen, me rendre compte, dans les croquis pour construire l’image, qu’un simple trait, qu’il soit ici ou là, peut changer totalement l’équilibre général, et donc, la sensation dans laquelle elle met le regardeur », précise-t-il encore.
On s’arrête devant un petit tableau au bord supérieur arrondi qui a pour titre : Plaisir fou. Il représente un jeune homme nu, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, perché dans une position assez inconfortable sur deux radars automatiques. Comme le fond du tableau est jaune, on peut y voir une allusion au mouvement des Gilets jaunes qui les ont pris pour cible. Mais pour Hervé Priou, il n’en est rien : « en fait, explique-t-il, j’ai toujours eu une réaction épidermique en voyant des radars automatiques et je me suis toujours dit qu’il fallait que je les peigne. J’y vois des objets signes, qui symbolisent le pouvoir, la domination. Et il m’a semblé amusant de renverser la situation en faisant en sorte que ce soit le personnage qui les domine, qui les asservisse, même dans une position inconfortable, et qu’il y prenne un « plaisir fou ». S’il est nu –et s’il y a beaucoup de corps nus dans mon travail-, ce n’est pas pour des raisons érotiques, mais pour qu’il n’y ait pas de marqueurs sociaux, qu’on revienne à une forme primitive, intemporelle, avec laquelle on est libre de jouer. La notion de jeu est pour moi essentielle. »
La liberté, l’humour, l’ironie sont, au fond, les qualificatifs qui résument le mieux le travail de l’artiste. Lui-même reconnaît d’ailleurs appartenir à une famille d’esprit un peu « décalée » qui réunit, par exemple, Philippe Katerine et Brigitte Fontaine en musique ou Gombrowicz en littérature. Curieusement, et même s’il reconnait avoir beaucoup étudié les classiques, ce n’est pas la peinture qu’il regarde le plus, sauf pour des raisons techniques. Et si on insiste quand même pour lui demander quels sont les artistes qui l’ont le plus influencé, ce n’est pas le nom de Philippe Mayaux –à qui son travail peut à première vue faire penser- qui lui vient aux lèvres, mais plutôt ceux de Chris Burden ou de Roman Signer, des artistes qui sont plutôt connus pour leurs performances, mais qui ont su convoquer le tragique avec des formes très légères et une grande simplicité de moyens.
C’est aussi ce sentiment d’inadaptation, d’être étranger au monde qui l’entoure qui l’ont rendu instable géographiquement (« seule la peinture, que je pratique depuis l’adolescence, constitue mon véritable point d’attache, confie-t-il »). Aujourd’hui, il vit à la campagne, à un rythme et dans un environnement qui lui conviennent et lui font du bien. Un choix pas très facile pour un jeune artiste qui doit se faire sa place dans le milieu essentiellement parisien. Mais un choix qu’il assume entièrement : « ici j’ai trouvé l’espace et la disponibilité dont j’avais besoin. C’est affaire de tempérament, sans doute, mais la peintures et ses exigences passent avant celles d’une carrière. Et puis je n’avais pas prévu de vivre de mon art, et je saurait me débrouiller si ce cela venait à cesser. »
Qu’il se rassure ! Pour le moment ses toiles à Private Choice ont remporté un beau succès et une fée veille sur lui : Agnès B. qui lui a acheté plusieurs œuvres alors qu’il était encore étudiant et qui l’a montré récemment dans sa nouvelle fondation du XIIIe arrondissement, La Fab, dans une exposition regroupant des artistes de moins de trente ans. On imagine donc qu’il est promis à un bel avenir et que ses saynètes à la fois incongrues, drôles, tragiques ou mélancoliques n’ont pas fini de venir nous surprendre.
-Le site d’Hervé Priou est encore en construction. On peut suivre son travail sur son compte Instagram : hervepriouhervepriou.
I’m alive. 2020. Collection particulière ; Ecosse. 2018. Collection particulière ; Plaisir fou. 2020. Collection particulière ; Filet. 2019. Collection agnès b.; Jeune homme et plante grasse. 2017. Collection agnès b.
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