de Patrick Scemama

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La République de l'Art
L’art à l’heure de la COP 21

L’art à l’heure de la COP 21

L’art et l’écologie : vaste sujet, qui a été souvent traité (entre autres dans la belle exposition organisée par le Frac-Lorraine l’an passé, cf https://larepubliquedelart.com/soleil-genereux-sur-le-frac-lorraine/), et auquel la COP 21 donne aujourd’hui une actualité brûlante. Un des artistes dont le travail renvoie le plus aux questions environnementales, Olafur Eliasson, en a d’ailleurs profité pour installer sur la place du Panthéon des morceaux d’iceberg qui fondent à vue d’oeil, cherchant ainsi à alerter sur les dangers du réchauffement climatique sur la fonte des glaciers. Mais son initiative a été vivement critiquée car il a fait venir de Norvège les morceaux d’iceberg en camions et a ainsi dû faire face à une facture énergétique plutôt lourde. Enfin, si plus personne ne conteste aujourd’hui que l’écologie est un enjeu majeur et sans doute le principal défi à relever dans les années à venir, de nombreux artistes profitent de cet état de fait pour produire des œuvres mièvres, bien-pensantes et qui les mettent à l’abri, pensent-ils, de toute critique, compte tenu du message qu’elles véhiculent. Mais les meilleures intentions ne font pas les meilleures œuvres et ce n’est pas parce qu’un artiste défend une cause, si juste soit-elle, que son travail est forcément de qualité.

De tels artistes ne sont pas présents (ou en tous cas en nombre infime) dans l’exposition qui se tient actuellement dans l’espace de la rue Récamier, géré par la Fondation EDF, et qui a pour titre : Climats artificiels. Car la sélection opérée par Camille Morineau, une des anciennes conservatrices des collections contemporaines du Centre Pompidou, a été drastique et elle n’a fait appel qu’à des créateurs dont le point de vue sur les variations climatiques ou la protection de la planète est vraiment pertinent. Elle se divise en trois parties, qui correspondent aux trois niveaux de l’espace. Au rez-de-chaussée, les œuvres rassemblées témoignent des Equilibres précaires, c’est-à-dire de l’état transitoire et changeant de l’environnement, où tout peut évoluer, passer d’un état à un autre ou se maintenir dans un équilibre instable. A l’étage,  L’Etat du ciel « présente plusieurs démarches d’artistes qui cherchent, par la prise de vue photographique ou la reproduction à capter le climat ». Au sous-sol, enfin, Catastrophes ordinaires « propose une rêverie cauchemardesque autour de phénomènes dont l’origine naturelle ou artificielle est indistincte ».

CharrièreAu rez-de chaussée, les deux pièces qui ouvrent l’exposition se répondent et ont valeur de symbole pour l’ensemble de celle-ci. La première est un petit cube en verre de Hans Haacke, Condensation Cube, dans laquelle on assiste simplement à un phénomène de condensation d’eau. La deuxième, beaucoup plus spectaculaire, est la création, par l’architecte japonais Tetsuo Kondo, à l’intérieur d’un grand espace vitré, d’un véritable nuage obtenu par la gestion des paramètres de température et d’humidité : Cloudscapes. Le spectateur peut pénétrer à l’intérieur de cet espace et un escalier lui permet même de traverser le nuage, sentant ainsi la vapeur d’eau et éprouvant la sensation que l’on a en avion, lorsqu’on passe de l’autre côté du ciel gris, là où le soleil brille. Autour de lui, d’autres œuvres tentent de reproduire ou de documenter ces phénomènes naturels : la très belle et très connue vidéo d’Ange Leccia, La Mer, qui enregistre le mouvement de l’écume, le bruit des vagues ou le mouvement de l’eau traduit par Charlotte Charbonnel (Kyklos, Wave), les aquariums d’Hicham Berrada qui produisent un écosystème qui évolue pendant plusieurs mois sans jamais se stabiliser, etc.

Parmi elles, une se distingue plus particulièrement : il s’agit de Panorama, une photo de Julian Charrière, ce jeune artiste franco-suisse, dont on a pu voir une très belle exposition, il y a quelques mois, dans sa galerie parisienne Bugada-Cargnel. A première vue, il s’agit d’une image très romantique de montagnes enneigées. Mais une petite vidéo, située à côté de la photo, révèle la supercherie : ce que nous prenons pour un céleste paysage alpin n’est en fait qu’un chantier situé près de son atelier à Berlin, sur lequel il a projeté de la farine et de la mousse d’extincteur pour donner l’impression de brouillard et de neige et sur lequel il a opéré un changement d’échelle. On voit ainsi comment notre perception peut être trompée, comment l’idée de « sublime » et de « nature » peut être trafiquée et comment ce qu’on croit considérer comme le dernier environnement préservé n’est, en fait, qu’un tas de gravats au milieu d’une ville…

A l’étage et au sous-sol, d’autres œuvres retiennent notre attention et notre admiration : l’enregistrement d’ondes sismiques par Cécile Beau et Nicolas Montgermont (Sillage), le cratère en feu filmé par Adrien Missika (Darzava), l’étonnant dispositif Champs d’Ozone par le collectif HeHe, qui exploite les données sur la qualité de l’air fournies en « quasi temps-réel » par Airparif et les transpose dans le ciel de la capitale ou la vidéo que Yoko Ono réalisa en 1966, Sky TV, à une époque où elle vivait dans un studio à New York qui n’avait pas de fenêtre avec vue sur le ciel et qui n’est autre que l’enregistrement en direct de celui-ci, à l’aide d’une caméra, et sa retranscription sur un petit moniteur placé au plafond (la preuve d’ailleurs que les artistes de Fluxus, comme bien d’autres avant eux, s’intéressaient à ces questions climatiques).

BerradaMais la force de l’exposition est, d’une manière générale, d’aborder de manière poétique cet enjeu essentiel, de ne pas y répondre sous la forme de tract ou de catalogue de bonnes intentions. Comme disait Hölderlin, « c’est poétiquement que l’homme habite la terre » et c’est bien ainsi que lui font écho les artistes réunis ici. On pourra reprocher à sa commissaire de n’avoir pas fait appel à certaines signatures qui jouent aujourd’hui un rôle important dans la cause écologique (comme le belge Maarten Vanden Eynde dont une grande partie du travail est basé sur les ravages du plastique dans les océans) ou de ne pas avoir assez mis en avant les artistes historiques du Land Art qui sont un peu les précurseurs de la prise de conscience écologique, mais on ne pourra nier que, dans l’espace qui lui est imparti, l’exposition est riche, intelligente et qu’elle donne une idée assez juste des rapports que l’art entretient avec la nature aujourd’hui. De plus, son entrée est gratuite, ce qui loin d’être toujours le cas dans les fondations parisiennes…

 

Climats artificiels, jusqu’au 28 février à l’Espace Fondation EDF, 6 rue Récamier 75007 Paris (www.fondation.edf.com). Un catalogue a été édité par Paris-Musées (84 pages, 20€) avec des nouvelles inédites, entre autres, de Belinda Cannone et de l’artiste Pavel Pepperstein.

Dans le cadre de la COP 21, on me signale une autre exposition, que je n’ai pas encore vue, mais qui semble intéressante. Il s’agit d’un travail que l’artiste écossais Michael Pinsky a réalisé en repêchant dans le Canal de  l’Ourcq des objets que les gens y avaient jetés et en faisant une sorte de sculpture flottante. L’idée étant à la fois de redonner une vie esthétique à ces objets, de nettoyer le canal et d’attirer l’attention du public sur les dégâts que peut causer le fait de jeter des détritus dans un écosystème sensible.

L’Eau qui dort de Michael Pinsky, jusqu’au 3 janvier à La Villette-Canal de l’Ourcq, face à la Géode (entrée gratuite).

 

 

Images : Tetsuo Kondo en partenariat avec TRANSSOLAR, Cloudscapes, 2012 Collection de l’artiste ; Julien Charrière, Panorama, 2009-2013 Courtesy galerie Bugada & Cargnel ; Hicham Berrada, Céleste, 2014 Courtesy galerie Kamel Mennour

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