Latifa Echakhch, paysagiste romantique à Monaco
Pour l’exposition à l’espace 315 du Centre Pompidou qui faisait suite à l’obtention du Prix Duchamp 2013, Latifa Echakhch s’était déjà joué des codes du théâtre baroque : elle montrait des nuages peints, posés au sol et suspendus par des fils comme dans l’attente d’être « remontés » par une machinerie imaginaire et formant ainsi une sorte de paysage. Mais à la différence du théâtre baroque, qui fonctionne sur l’illusion, l’artiste avait choisi de révéler l’envers du décor, c’est-à-dire les châssis sur lesquels les nuages étaient peints, et même de faire en sorte que le spectateur les voit en premier, qu’il soit obligé d’aller jusqu’au fond de la salle d’exposition pour déceler le motif qu’ils représentaient. Près de ces châssis, elle avait aussi placé des objets, qui correspondaient à des souvenirs d’enfance qui l’avaient attirée vers l’art, et des livres en partie plongés dans l’encre noire, comme elle aime à le faire.
On retrouve un de ces modules « nuages/livres » dans l’exposition qu’elle présente actuellement à la Villa Sauber du Nouveau Musée National de Monaco. Mais l’installation qu’elle propose dans tous les autres espaces de la Villa, avant que celle-ci ne soit fermée pour travaux, renvoie plus à l’idée de jardin que de ciel. En fait, pour la concevoir, Latifa Echakhch s’est inspirée de plusieurs sources liées à l’histoire même de la Principauté : la création du jardin exotique, celle de l’Opéra Garnier (réplique en plus petit du théâtre parisien) et la collection d’automates qui a été longtemps présentée au sein de la Villa. Et elle les a mélangées pour construire une sorte de paysage romantique et luxuriant dans lequel on évolue librement. Les éléments de décor, eux aussi posés au sol et suspendus par des fils, ont été réalisés à partir des maquettes de papier d’Alphonse Visconti, qui fut chef décorateur de l’Opéra de Monte-Carlo entre 1903 et 1924 (à partir de productions telles que Moïse, Pompeï ou Masques et Bergamasques). Les automates ont donné lieu à des vidéos qui les montrent en gros plan ou sous des angles particuliers, renforçant ainsi l’impression d’étrangeté qui les caractérise. Quant au Jardin Exotique, il est à la base de dix peintures que l’artiste a rassemblées dans une même salle et qu’elle a accrochées à la manière d’une séquence cinématographique.
Ces peintures, qui ont été faites d’après de photographies anciennes du jardin, relèvent d’une technique particulière. Il s’agit de toiles enduites de béton sur lesquelles l’image a été projetée, puis peinte, avant que la couche d’enduit soit cassée par zones préalablement définies, laissant apparaître le support brut. Comme si la peinture s’était effritée ou qu’elle avait disparue avec le temps. Elles sont semblables en cela à celles présentées cette année lors de l’exposition de l’artiste à la galerie Kamel Mennour, Les Figures. Outre qu’elles renvoient directement à la création du Jardin Exotique dans les années 30 (un aménagement dans un décor rocailleux presque entièrement réalisé en béton), elles sont révélatrices de l’art de Latifa Echakhch, un art du fragment, du fantôme, de l’absence, du temps qui coule, un art de ce qui semble subsister après la catastrophe.
-Latifa Echakhch, Le Jardin mécanique, jusqu’au 28 octobre au Musée National de Monaco (Villa Sauber), 17 avenue de la Princesse Grace 98000 Monaco (www.nmnm.mc). A noter que pendant cette même période, le salon de lecture du musée a été transformé en espace de méditation et de convivialité inspiré des cartes géologiques et lithologiques du Maroc par l’artiste Yto Barrada.
Images : Latifa Echakhch, Clown aux masques, 2018. Vidéo couleur et son, 4:34 © Latifa Echakhch, Courtesy kamel mennour, Paris/Londres, kaufmann repetto, Milan/New York, Galerie Eva Presenhuber, Zürich/New York, Galerie Dvir, Bruxelles/Tel Aviv ; Paysage (Manon/Masques et Bergamasques), 2018, Panneaux de décors en bois, toile, peinture acrylique et fils d’acier, Vue d’exposition, NMNM – Villa Sauber 20.04-28.10.2018 Photo : NMNM /Andrea Rossetti, 2018; Sans titre (Le jardin exotique), 2018, Peinture acrylique et béton sur toile, châssis aluminium et cadre en bois © Latifa Echakhch, Courtesy kamel mennour, Paris/Londres, kaufmann repetto, Milan/New York, Galerie Eva Presenhuber, Zürich/New York, Galerie Dvir, Bruxelles/Tel Aviv
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