de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Le Pop, versant féminin

Le Pop, versant féminin

On connait la place qu’occupe la femme chez les artistes hommes du Pop : figures iconiques chez Warhol (Marylin Monroe, Liz Taylor, entre autres), purs objets de désir chez Wesselmann, héroïnes de bandes dessinées chez Lichtenstein, etc. Et on sait aussi à quel point le Pop, en valorisant le quotidien, les biens de consommation, la vie ménagère, a puisé aux sources d’un monde qui appartient plutôt au registre dit « féminin ». Ce que l’on sait moins, c’est que de nombreuses femmes ont participé elles-mêmes à ce mouvement. Mais comme elles étaient femmes et que le monde de l’art était puissamment machiste (il l’est d’ailleurs toujours en partie), elles sont tombées un peu dans l’oubli et leurs œuvres ont partiellement disparu, alors que les hommes ont eu droit à la reconnaissance et que leurs œuvres atteignent souvent des prix exorbitants. C’est cette injustice qu’entend réparer Les Amazones du Pop, la très réjouissante exposition du Mamac de Nice, qui aurait dû ouvrir cet été, mais qui a été repoussée à cause de la Covid, et qui, si les conditions sanitaires le permettent, devrait, comme tous les autres musées de France, rouvrir le 15 décembre. Elle revisite l’histoire du Pop, mais vue d’un autre versant.

Elle le fait à partir de Niki Saint Phalle, une des figures clés de la collection du Mamac, et c’est toute l’intelligence et l’habileté de sa directrice, Hélène Guenin, co-commissaire avec Géraldine Gourbe de l’exposition, de toujours articuler les projets à partir d’éléments qui font écho aux collections. Pourtant, Niki de Saint Phalle n’est pas une artiste qui manque de reconnaissance (encore qu’une approche superficielle de son travail l’associe uniquement aux « Nanas »), mais elle est l’exception qui confirme la règle, les autres étant pour beaucoup des redécouvertes. Qui plus est, elle a cette particularité de se situer entre les Nouveaux Réalistes, mouvement auquel elle a appartenu, et le Pop, qui a été un prolongement et une réponse à ce mouvement. Et un des mérites de l’exposition est aussi d’aborder cette question de l’antagonisme entre les Nouveaux Réalistes français et le Pop américain et la manière dont le second a pris l’ascendance sur le premier.

Mais plus qu’une succession d’œuvres, c’est l’esprit d’une époque que souhaite restituer l’exposition (la fin des années 60 et les années 70), une époque de liberté, de revendication sexuelle, où les femmes voulaient s’affranchir, parfois en utilisant l’imaginaire masculin, mais toujours avec beaucoup d’audace et de couleurs. Elle s’ouvre avec un extrait d’émission télévisée dans lequel on voit Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot interpréter Comic Strip, le tube du premier. « She-Bam Pow Pop Wizz ! » s’exclame la Star, cheveux au vent, short moulant et cuissardes provocantes (c’est aussi le sous-titre de l’exposition). Car comme Jane Fonda dans Barbarella ou d’autres héroïnes venues de bandes dessinées pour adultes, Bardot fait partie de ces Amazones qui ont choqué et incarné l’esprit de rébellion et de liberté. Et au cours de l’exposition, on trouvera d’autres témoignages sonores de ces femmes qui, volontairement ou non, donnaient une autre image de l’imaginaire féminin : France Gall qui sucent innocemment ses sucettes, Françoise Hardy qui impose son look androgyne et indémodable, Sandy Show, la chanteuse aux pieds nus…

Mais ce sont bien sûr les œuvres plastiques qui constituent l’essentiel du parcours. Outre Niki de Saint Phalle, présente avec plusieurs œuvres, on trouve des artistes que l’on connait déjà comme Dorothy Iannone qui continue encore aujourd’hui de célébrer les joies du corps et de la liberté sexuelle, Sturtevant qui est désormais dans les plus grandes collections ou Corita Kent, cette sœur révolutionnaire de San Francisco qui a associé la foi chrétienne aux revendications des communautés hippies. Et ce sont surtout les autres que l’on est heureux de découvrir (en tous cas, en ce qui me concerne) : la belge Evelyne Axell, qui fait intervenir des silhouettes féminines très érotisées dans le monde ultra macho de l’automobile (un peu comme l’a fait Sylvie Fleury plus tard) ; l’allemande Christa Dichgans, qui imagine des natures mortes avec jouets gonflables qui font étonnamment  penser à celles réalisées par Jeff Koons des années plus tard, l’américaine Kay Kurt, qui a passé sa vie à peindre de manière presqu’hyperréaliste et en grands formats des friandises et des bonbons industriels, l’italienne Lucia Marcucci qui réalise des collages très engagés, dénonçant le langage de la communication de masse, ou encore l’autrichienne Kiki Kogelnik, fascinée par la science et les nouvelles technologies et qui a mis les bombes, les fusées et les vaisseaux spatiaux au cœur de sa production. En tout, c’est une quarantaine de femmes qui nous livre leur version du monde et leur regard sur la société de l’époque (il faudrait citer aussi les très belles vidéos de Marie Menken qui capturent les illuminations de Noël, à New York, la nuit, dans un mouvement qui devient abstrait).

En fait, quand on regarde leurs œuvres de près, on se dit que ces femmes ne sont ni de meilleurs ni de moins bons artistes que leurs collègues masculins. Et que parfois, elles ont la naïveté de vouloir absolument se confronter à eux en s’aventurer sur des terrains qui leur sont d’habitude dévolus (la vitesse, l’espace, la force physique). Mais très souvent, elles savent détourner la place dans laquelle la société les a enfermées pour délivrer un message critique et politique -à l’instar du travail faussement inoffensif de Martha Rosler- et c’est là qu’elles sont à leur meilleur Et surtout leurs oeuvres existent, elles ont droit à un même regard que celles de leurs collègues masculins, à une même reconnaissance, à une même place dans l’histoire de l’art et c’est ce que leur offre cette exposition qui n’oublie jamais la jubilation ni l’humour pour les remettre à leur juste place et qui, à ce titre, restera comme une référence.

Et pour accompagner l’exposition –ou s’y préparer-, un très beau catalogue a été édité par le Mamac en collaboration avec Flammarion. Outre des textes des deux commissaires, Didier Semin y analyse les liens entre Nouveaux Réalistes et Pop Art et Sid Sachs resitue la place de la femme dans le contexte de l’époque. Un grand nombre d’œuvres sont reproduites et surtout on y trouve un outil indispensable, à savoir les biographies de toutes ces artistes que l’on connait peu. Alors bien sûr, on n’y entend pas les onomatopées mécaniques et sexy de Bardot, mais l’esprit de ce monde d’espoir, de liberté et de renouveau y est, bien loin de celui dans lequel nous vivons aujourd’hui.

-Les Amazones du Pop, réouverture le 15 décembre ( ?) au Mamac de Nice (www.mamac-nice.org). Catalogue coédité par le Mamac et Flammarion, 160 pages, 35€.

Images : Marjorie Strider, Girl With Open Mouth, 1963, Acrylique sur isorel et relief en bois, 152,4 × 152,4 × 15,2 cm Collection Michael Chutko. Photo : Michael Chutko ; Martha Rosler, Brooklyn, New York (États-Unis), 1943, Cleaning the Drapes, from the series « House Beautiful:  Bringing the War Home », ca. 1967-1972 , Photomontage 51 x 61 c,  Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nagel Draxler, Berlin/Cologne, Tous droits réservés ; Christa Dichgans, Berlin (Allemagne), 1940–2018, Stillleben mit Frosch [Nature morte à la grenouille], 1969, Aquatec sur toile , 55 x 65 cm , Collection Esra et John Hartung, Berlin, Courtesy Galerie Contemporary Fine Arts, Berlin/The Estate of Christa Dichgans, © Photographe : Jochen Littkemann ; Lucia Marcucci, Florence (Italie), 1933, Whop!, 1970 ; Technique mixte et collage sur carton, 50 x 35 cm, Courtesy de l’artiste et de Frittelli arte contemporanea, Florence © ADAGP, Paris 2020. Tous droits réservés

Cette entrée a été publiée dans Expositions, Livres.

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commentaire

Une Réponse pour Le Pop, versant féminin

Gascon dit :

Curieux de découvrir toutes ces artistes femmes que je ne connais, mais dont le travail parait intéressant?

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