de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Marginalia, la BD entre au musée

Marginalia, la BD entre au musée

Dans mon précédent post (cf De haut en bas et de bas en haut – La République de l’Art (larepubliquedelart.com), je parlais de la déhiérarchisation des arts à travers le livre Majeur/Mineur qui vient de paraître à L’Atelier contemporain. Nouvelle preuve, si nécessaire, de ce phénomène, Marginalia, l’exposition qui est consacrée à la bande dessinée et qui vient d’ouvrir à la Villa Sauber de Monaco (un des seuls endroits d’Europe, rappelons-le, où les institutions culturelles sont accessibles au public). Il faut dire qu’elle a pour commissaire Marie-Claude Beaud, la directrice du Nouveau Musée National de Monaco, qui tire sa révérence cette année et que ce cadeau de départ n’est pas anodin. Personnage haut en couleurs et atypique du monde de l’art, souvent bien en avance sur son temps (elle a dirigé, entre autres, la Fondation Cartier à l’époque où elle était encore à Jouy-en-Josas et l’American Center, où elle a initié un festival de musique électronique), Marie-Claude Beaud a toujours défendu des matières considérées comme marginales, mais qui ont désormais leurs lettres de noblesse comme le graphisme ou le design.

Elle le fait maintenant avec la BD et c’est sans doute une des premières expositions en musée consacrée à cet art. Dans le catalogue à paraître qui l’accompagne, elle écrit : « La bande dessinée est une forme artistique reconnue aujourd’hui comme indéniablement complète et complexe, mais qui a pourtant souffert durant de longues décennies d’une véritable déconsidération dont les raisons sont multiples. Nous voulions revenir sur cette histoire de l’admission de la BD dans le champ de l’art des musées, dans l’espace même des institutions publiques et dans les collections. (…) Quant à la bande dessinée, il s’agit d’un médium longtemps méprisé en raison justement de son caractère populaire. La hiérarchie des beaux-arts, bien que rendue caduque par la modernité, n’en a pas moins réservée à la BD un traitement de défaveur en la reléguant à la neuvième position derrière tous les autres arts, y compris la télévision… »

Pour rendre hommage à cet art jeune, né en même temps que le cinéma et la psychanalyse et qui a souvent été apparenté à la contre-culture, elle a donc réunit les planches -issues de collections publiques et privées- de 90 artistes, parmi les plus illustres du genre. On trouve aussi bien Walt Disney que Philippe Druillet, Hergé que Robert Crumb, Gotlib qu’Enki Bilal, Jacques Tardi que Floc’h. Et parmi les héros exposés : Bécassine, Betty Boop, Félix le Chat, Snoopy, Iznogoud ou Prince Vaillant. Pour les présenter, dans une scénographie spécialement pensée de Berger&Berger (pas évident de montrer dans l’espace muséal des BD qui sont, par nature, destinées au livre), un judicieux parcours thématique qui va de « L’invention de l’inconscient » à « L’enquête initiatique » en passant par « Des garnements pour aiëux » et « La métamorphose du héros ». Enfin, un cabinet pour adultes (montré uniquement sur demande) permet de voir les planches les plus licencieuses, comme celles, par exemple, de Tom of Finland.

Le résultat est riche, foisonnant, ludique. On a vraiment le sentiment d’aborder tous les aspects et tous les genres de cette forme d’expression qui n’a pas fini de nous étonner et dont plus personne ne conteste, désormais, la qualité artistique (mise en regard, d’ailleurs, avec quelques œuvres de Gilles Barbier). C’est juste si on peut regretter que l’approche ne soit pas davantage graphique, qu’elle joue plus sur les thèmes et les familles d’esprit que sur les affinités formelles (on pourrait par exemple imaginer une exposition qui mette davantage en évidence les références aux grands maîtres de l’histoire de l’art dont usent certains dessinateurs). Mais l’ensemble, qui voulait sans doute prouver par-là son autonomie, fera date et on n’est pas surpris que ce soit grâce à l’iconoclaste Marie-Claude Beaud.

Marginalia, jusqu’au 5 septembre à la Villa Sauber, 17 avenue de ma Princesse Grace, Monaco (www.nmnm.mc). Les Marginalia sont de petits dessins qu’on trouvait au Moyen-Age dans la marge des manuscrits et qui entretenaient un dialogue soit explicatif, soit critique avec les textes.

Images : George Herriman Krazy Kat, ca. 1969/1972 Encre sur papier 42 x 52 cm Collection privée, Paris / Private collection, Paris © D.R ; Mandryka Concombre masqué, s.d. Encre sur papier 50 x 42,5 cm Collection privée, Paris / Private collection, Paris © Mandryka ; François Schuiten Les Cités Obscures. Couverture de l’Intégrale, tome 1, 2017 (scénario de Benoît Peeters) Acrylique et graphite sur papier 44 x 57 cm Collection privée, Paris / Private collection, Paris © François Schuiten

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