de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Non article pour un livre à ne pas lire

Non article pour un livre à ne pas lire

D’habitude, je ne consacre pas l’intégralité d’un post à quelque chose que je n’aime pas. Il y a trop de choses que j’aime et mon rythme de publication n’est assez soutenu pour que je consacre toute mon énergie et mon temps à émettre un jugement uniquement négatif. Mais je ne peux m’empêcher de réagir au livre de Benjamin Olivennes, L’Autre Art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs, qui vient d’être publié aux Editions Grasset (je tiens à préciser que j’ai acheté ce livre et que je ne l’ai pas reçu en service de presse).

Même si je suis le plus souvent en désaccord avec eux, j’écoute attentivement les arguments des adversaires les plus farouches de l’art contemporain (à condition toutefois qu’ils fassent preuve de talent et de culture). C’est ainsi que je lis régulièrement les chroniques d’Olivier Cena dans Télérama, qui dézingue trois fois sur quatre les expositions que je défends, mais qui le fait avec érudition et brio. Ou les écrits de Jean Clair, dont personne ne peut nier la qualité littéraire. Et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de lire ce livre écrit par un jeune philosophe de moins de trente ans, qui se réclame de Jean Clair, vit aux Etats-Unis et enseigne à la prestigieuse université de Columbia.

Mal m’en a pris, car ce court pamphlet est un des plus médiocres, des plus bêtes et des plus prétentieux que j’ai pu lire depuis bien longtemps (parmi ce que l’auteur appelle les « vraies » et les « fausses » valeurs, il se propose, par exemple, « de faire le tri dès aujourd’hui pour faciliter le travail à l’Histoire »). En bref, le postulat est le suivant : tout l’art contemporain reconnu (les Koons, Hirst, Cattelan, etc., auxquels il faut rajouter ceux que les français ont essayé d’inventer pour leur ressembler, entre autres Buren et Morellet), tout cela, donc, est de la merde et les vrais artistes, qui ne jouissent des faveurs ni du marché ni des institutions, mais qui seront bientôt reconnus à leur juste valeur (« On va voir ce qu’on va voir ! », précise l’auteur), sont tous peintres et s’appellent Sam Szafran, Truphémus, Raymond Mason, Zoran Music ou Sécheret. Et le meilleur exemple de galeriste qui les accompagne -et qui est donc digne de ce nom- n’est autre que Claude Bernard.

Ce qui m’insupporte dans ce très mauvais livre, ce n’est pas que l’auteur y fasse l’apologie de Truphémus, de Mason ou de Sécheret (c’est son goût, il a le droit de le défendre, même si ce n’est pas le mien). Ce n’est pas non plus qu’il s’y montre joyeusement et ouvertement réactionnaire, associant le déclin de l’art français à la création, en 1959, du Ministère de la Culture, nous servant le sempiternel refrain sur l’inutilité des Fracs et sur les dérives de la politique de Jack Lang ou allant même jusqu’à cracher sur l’euro et sur la musique atonale. Non, ce qui m’insupporte, c’est qu’il le fasse avec tellement d’imprécisions, d’erreurs, de désinvolture, d’approximations. Il confond tout : les biennales et les foires d’art contemporain, les notions de figuratif et de réalisme, relance le débat sur l’abstraction comme si celui-ci était encore opérationnel aujourd’hui et comme si la peinture figurative n’avait pas retrouvé sa place depuis bien longtemps, accumule les clichés et ne comprend de toute évidence pas grand-chose au sens de certaines œuvres. C’est comme si, ayant fait le tour de quelques galeries et de quelques foires, il s’était décidé à écrire un livre sur le sujet. Et c’est comme si moi, avec les quelques connaissances dont je dispose, j’avais envisagé d’écrire un livre sur la philosophie (à sa décharge, je dois reconnaitre qu’il ne se prétend pas spécialiste d’art contemporain, mais il estime sa réflexion suffisamment élaborée pour la coucher sur du papier).

Et ce qui m’insupporte aussi, c’est qu’il soit édité chez un grand éditeur parisien, alors que des livres passionnants sur l’art, écrits par des gens qui ont un vrai point de vue, ont tant de mal à se faire publier. Et qu’il bénéficie d’une telle couverture médiatique (même un journaliste comme Ali Badou, pourtant d’habitude éclairé, lui a consacré un débat sur France Inter). Mais il faut rappeler que Benjamin Olivennes est le fils de Denis Olivennes, ancien PDG de la Fnac, du Nouvel Obs et cogérant aujourd’hui de Libé (et accessoirement conjoint d’Ines de la Fressange) et que cela n’est sans doute pas pour rien dans le traitement dont il dispose.
Voilà, je voulais juste vous donner un conseil : si vous vous trouvez dans une librairie et que vous prenez ce livre entre vos mains, reposez-le aussitôt ; cela vous évitera une perte de temps et d’argent et de participer à ce qu’il faut bien appeler une mauvaise action.

-Benjamin Olivennes, L’Autre Art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs, éditions Grasset, 168 pages, 16€.

Image : Piero Manzoni, Merde d’artiste

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commentaires

27 Réponses pour Non article pour un livre à ne pas lire

Pablo75 dit :

Le plus hilarant dans cette histoire est qu’Adorno et Leibowitz ont écrit des oeuvres qu’on pourrait comparer, si on était méchant, à celles de Sibelius. Après la beauté et la puissance de la fin de sa 5ème symphonie de notre ami Jean on s’attend de la part de ses critiques féroces, à de la musique extraordinaire. Or, elle est (dans le meilleur des cas) tout simplement ridicule:

Theodor W. Adorno — Assorted Atonal Compositions
https://www.youtube.com/watch?v=0NOmJE-HzME

Pablo75 dit :

Pire encore:

Rene Leibowitz – Chamber Symphony
https://www.youtube.com/watch?v=bcDrBhuudto

Or c’est bien lui le compositeur qui, se prenant sans doute pour le meilleur du monde, a osé écrire que Sibelius était le « pire ».

C’est comme si un eunuque traitait Casanova d’impuissant.

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