de Patrick Scemama

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La République de l'Art
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D’habitude, à cette période de l’année, tous les regards sont tournés vers Bâle où se tient la célèbre foire d’art moderne et contemporain. Mais cette année, à cause du Covid, la foire, qui avait été initialement reportée à septembre, a été annulée. C’est un rude coup pour les galeries qui ont la chance d’y être admises (la sélection est drastique), car elles y réservent souvent leurs plus belles pièces et réalisent une bonne partie de leur chiffre d’affaires de l’année. Aussi, pour limiter les pertes et donner quand même quelques nourritures aux collectionneurs affamés (à Bâle, ils viennent des quatre coins de la planète), la foire a mis sur pied une plateforme online qui permet aux galeries participantes de présenter une sélection de leurs pièces. Et elle a même tenu à respecter la tradition en réservant ses deux premiers jours aux VIP qui pouvaient ainsi faire leurs emplettes en priorité (après, la plateforme était accessible à tout le monde).

Depuis le confinement et la crise sanitaire –et même si les galeries sont désormais rouvertes-, cette pratique s’est généralisée. Art Basel Hong-Kong (la progéniture asiatique de la foire suisse) et Frieze New York, qui furent parmi les premières touchées, y eurent recours, mais avec des résultats inégaux. Les grosses galeries investissent de plus en plus dans le numérique pour prolonger leurs espaces d’exposition. Et elles ont le fairplay, parfois, comme David Zwirner, de proposer à celles qui n’en ont pas les moyens (c’est un investissement important, tant en argent qu’en temps) de venir exposer sur leurs propres plateformes (le marchand américain a ainsi invité de petites galeries newyorkaises, puis de Los Angeles, puis de Paris et de Bruxelles à présenter quelques pièces d’un même artiste). Et il y a fort à parier que, compte tenu de la pandémie et de la restriction des déplacements, cette pratique s’intensifie dans les prochains mois.

Alors peut-on prendre autant de plaisir et faire autant de découvertes en surfant sur internet qu’en arpentant les allées d’une foire ? Non, bien sûr. L’art est une expérience qui a besoin de se vivre physiquement et qui ne satisfait pas d’ersatz. Il faut être devant les œuvres, devant leurs vraies couleurs, leurs vraies dimensions, leurs vraies formes (c’est encore plus vrai pour les sculptures et les installations) pour non seulement les comprendre, mais aussi les apprécier vraiment. Et le risque de ce genre d’entreprises est que ce soit les œuvres qui se prêtent le plus à ce type de présentation qui soient privilégiées, au détriment d’œuvres plus complexes et moins immédiatement saisissables. On note d’ailleurs qu’à ce jour, le plus grand nombre de ventes se font à des gens qui connaissent les artistes et qui ont une idée assez précise de ce à quoi l’œuvre ressemble « en vrai ».

Pourtant, il faut reconnaître que ces sites de présentation des œuvres s’améliorent de jour en jour. Celui d’Art Basel, par exemple, se distingue par sa clarté, son efficacité et son attractivité. On peut y chercher soit une galerie, soit un artiste, soit un type d’œuvre dans les différents secteurs que propose la foire ; on passe d’un Picasso de près d’un million de dollars à la galerie Lévy Gorvy (Pierrot et Arlequin, 1969) à une édition de Dana Schutz, chez Two Palms, à 6000 (Pan, 2018) et certains galeristes comme Jocelyn Wolff n’hésite pas à renouveler leurs pages chaque jour en fonction d’une couleur (bleu le lundi, rouge le mardi, par exemple). D’après les retours des galeristes eux-mêmes, un des avantages de ce système virtuel est le nombre d’échanges avec des amateurs qui ne se seraient pas manifestés autrement. Nombre de collectionneurs sont un peu timides et ont peur de poser directement des questions qui peuvent paraitre idiotes à des spécialistes chevronnés. Ce qu’ils se permettent de faire ici. Enfin, un avantage –et non des moindres- est la transparence des prix. Sur ces plateformes, les prix –ou du moins une fourchette de prix- s’affichent clairement et on peut plus dire que, dans l’art contemporain, ils se font à la tête du client (même si on sait qu’ils sont âprement discutés in fine). Et on est alors parfois tellement surpris de savoir à quelles sommes extravagantes sont à vendre des œuvres de qualité tout à fait discutable que le prix, même élevé, des bonnes ne devient plus indécent !

Art Basel online (www.artbasel.com) jusqu’au 26 juin

PS: preuve que les plateformes numériques ont de beaux jours devant elles, le Centre Pompidou vient d’annoncer sa première exposition en réalité virtuelle. Consacrée aux trois Bleus, un triptyque sur Miro réalisa en 1961, elle est accessible depuis le site du Centre.

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