Pommes d’amour
Dans mon précédent post (cf https://larepubliquedelart.com/les-bijoux-de-la-meduse/, je vous parlais de Medusa, cette étonnante exposition du Musée d’art moderne de la ville de Paris qui rassemble des bijoux de toutes provenances. Ce sont aussi à des bijoux, tant elles semblent délicates, que peuvent faire penser les œuvres qui composent l’essentiel de l’exposition que Jean-Baptiste Bernadet présente à la galerie Valentin sous le titre de Solarium : des branches de pommiers peintes avec infiniment de finesse et qui semblent d’abord se confondre avec le mur avant qu’on ne s’approche et qu’on distingue les évanescentes couches de peinture qui les recouvrent. Une production inhabituelle dans le travail de cet artiste que l’on connait surtout pour ses toiles colorées et abstraites et qu’il met en regard avec des pierres de lave qui contrastent, par leur couleur et leur poids, avec la légèreté des faux végétaux accrochés au mur : « J’ai commencé ce travail, qui est une sorte de parenthèse dans ma carrière, lors d’une résidence à la Pratique à Vatan en région Centre, explique l’artiste. Dans le jardin de celle-ci, il y avait un pommier en fruits. J’en ai coupé des branches, je les ai plongées dans du plâtre, peintes et j’ai trouvé cela satisfaisant. Quelques années plus tard, j’en ai fait réaliser en résine et en acier, je les ai assemblées, puis peintes à l’huile. Lors d’une exposition à Bruxelles, l’an dernier, j’ai hésité, puis renoncé à en mettre une à l’entrée, comme une image d’accueil, une enseigne. Il nous a semblé avec les Valentin qu’elles méritaient une vraie exposition. Ici, je devais d’abord montrer différents objets possédant tous un caractère plus ou moins expérimental. Mais j’ai finalement accroché ces branches comme des peintures et quand je les ai vues dans l’espace, je me suis dit qu’elles formaient un bel ensemble et j’ai pensé qu’il valait mieux ne montrer que cela, en plus des œuvres en pierre de lave ».
Mais pourquoi des pommes, qui font bien sûr penser à Cézanne, mais qui sont aussi le fruit de la tentation ? Faut-il y voir un lien avec une autre petite œuvre qui semble cachée dans un coin, mais qui n’en fait pas moins l’affiche de l’exposition : une boîte de slips pour homme Calvin Klein montrant un corps musculeux et sexy que l’artiste a partiellement recouverte de peinture ? A cette question, Jean-Baptiste Bernadet ne répond pas directement, il préfère évoquer cette idée de recouvrement, de palimpseste, qui lui est chère, parce qu’elle renvoie à Proust dont il est un fervent lecteur et à la notion d’évocation, de mémoire involontaire. « Oui, je me suis posé beaucoup de questions à propos de cette image et oui, il y a de la sensualité dans cette manière de recouvrir avec de la peinture (du « sensualisme » aimerait-on dire). Mais cela s’inscrit dans la cohérence de mon travail que l’on a souvent qualifié d’impressionniste parce qu’il n’est jamais complètement abstrait, qu’il relève de la sensation pure, de la contemplation d’un ciel, d’un paysage ou d’une lumière. Pour autant je ne cherche pas à fétichiser le tableau et je ne suis pas trop respectueux de la tradition. J’utilise des couleurs franches, une palette très contemporaine. Lorsque j’étais étudiant, j’ai beaucoup lu autour de la querelle du dessin et du coloris et j’ai clairement choisi ma place, du côté du coloris. Mais j’aime aussi que ce coloris fasse office de maquillage et de déguisement, je n’ai pas peur, parfois, d’être à la limite du kitsch et de la vulgarité. »
Il faut dire que la référence à l’histoire de l’art – et en particulier à Monet et aux Nymphéas– s’impose pour cet artiste qui n’a pas encore quarante ans et qui préfère travailler par touches légères, contrastes, effleurements que par grandes inscriptions lyriques dans la toile et qui, au début de sa carrière, peignait jusqu’à 300 tableaux par an : « J’étais dans une posture héroïque vis-à-vis de la peinture, explique-t-il. Aux Beaux-Arts, où j’ai étudié, j’ai tellement souffert du mépris que l’on manifestait à l’endroit d’une certaine peinture que j’ai voulu en faire énormément, au point de ne pas faire que de bons tableaux et de devoir beaucoup écrémer. J’en étais arrivé à un point où l’atelier était plein à ras bord, où j’avais toujours ce qu’il fallait, dans le format ou la tonalité demandés. Pour évoluer dans un environnement moins hostile à la peinture –et aussi pour des raisons personnelles-, je suis même allé m’installer en Belgique, où je vis toujours actuellement, en alternance avec les Etats-Unis. »
« Aujourd’hui j’ai un rythme moins frénétique, même si je travaille encore vite. Ce qui m’intéresse, c’est davantage l’espace l’exposition et le nombre de tableaux que je dois fournir pour remplir cet espace. J’ai beaucoup travaillé par séries, avec l’idée d’aller jusqu’à l’épuisement d’une forme. Ainsi, une de mes séries les plus importantes est Fugue, un ensemble de quelques dizaines de tableaux de grands format (la série n’est pas achevée), qui partent tous du même principe, à savoir un fond coloré sur lequel j’évolue par contrastes, contrepoint, effacement et par juxtaposition de touches colorées. Comme son titre l’indique, il y a une notion musicale qui préside à ce travail. J’aimerais que chaque œuvre soit un mot et que les œuvres entre-elles finissent par former des phrases qui seraient comme les paroles d’une chanson, d’une ritournelle. Comme Proust et tous ces romanciers que je lis pour trouver des clés pour l’existence, j‘aimerais aussi qu’elles soient les éléments d’une cathédrale. Mais à la différence de lui, qui savait d’emblée où il allait, moi, je n’ai pas de vision claire… »
–Solarium de Jean-Baptiste Bernadet, jusqu’au 1er juillet, à la galerie Valentin, 9 rue Saint-Gilles 75003 Paris (www.galeriechezvalentin.com). Dans le Project room se tient également une exposition de Cécile Bart, Blind paintings.
-Images : Jean-Baptiste Bernadet, « Untitled (Apples) », 2017, résine, acier, peinture à l’huile, 45 x 22 x 12 cm, © Grégory Copitet Courtesy of the artist and Valentin, Paris ; vue de l’exposition Solarium, Valentin, Paris, France, 2017. © Grégory Copitet Courtesy of the artist and Valentin, Paris ; « Untitled (Vetiver X) », 2014, huile et cire froide sur toile, 235 x 210 cm © Sylvie Chan-Liat Courtesy of the artist and Valentin, Paris (cette toile faisait partie de la précédente exposition de l’artiste à la galerie).
2 Réponses pour Pommes d’amour
Belle expo. Intéressant de voir que ces pommes sont davantage pensées en terme de peintures que de sculptures. Pourquoi ne reproduisez-vous pas la boîte de slips peinte qui fait l’affiche?
Parce qu’elle ne figurait pas dans les visuels pour la presse.
2
commentaires