de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Premières expositions de janvier

Premières expositions de janvier

On a rangé les sapins de Noël et les galeries parisiennes ont rouvert leurs portes dans un contexte d’attentisme lié aux événements qui ont ensanglanté la capitale en novembre dernier. Nombreux étaient les vernissages, samedi dernier, essentiellement dans le quartier du Marais. Parmi eux, une exposition se distingue, qui semble donner un coup d’énergie à cette rentrée. Il s’agit de celle de Julien des Monstiers présentée à la galerie Christophe Gaillard, A l’ombre des météorites. Julien des Monstiers est un jeune artiste qui a été diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2008 et cette exposition est sa première exposition personnelle à Paris. C’est une exposition de peinture et, si l’on peut dire, de la peinture dans tous ses états, car on y trouve de tout : du figuratif, de l’abstrait, des empreintes par transfert, du matiérisme, de l’expressionnisme, du classicisme, des renvois à Velasquez, à Oudry, aux natures mortes de la peinture flamande, des scènes de chasse, des décors floraux, des peintures sur toile ou sur bois, des grands et des petits formats…, c’est un véritable « inventaire à la Prévert » pictural qui surgit et nous assaille de toute part. Au point qu’on en arrive, comme le dit Alain Berland, qui a écrit le texte qui accompagne l’exposition, à « un « non style », riche de surcharges de dissonances colorées, d’empâtements qui devient paradoxalement un « style ». Et il ajoute : « Disparate parfois pour le regardeur et peut-être même pour son auteur car riche de sensations ambiguës qui vont du rejet à la félicité. »

On pense souvent à Richter et sa manière de vouloir « tout » peindre (certaines techniques de grattage utilisées par le jeune artiste renvoient d’ailleurs directement au maître allemand). Et on se demande comment l’œuvre va évoluer et combien de temps pourra tenir Julien des Monstiers sur cet équilibre précaire. Mais en attendant, on est sidéré par la vitalité qui se dégage de cette exposition, son inventivité, sa capacité à se réinventer à chaque fois. (On reviendra bientôt sur cet artiste singulier.)

CharltonAu chapitre de la peinture, il convient de mentionner aussi deux belles expositions qui viennent d’ouvrir leurs portes : celle, muséale, consacrée au groupe coréen Origin, sous la responsabilité de Park Seo-Bo, à la galerie Perrotin, et celle historique aussi à sa manière, à la galerie Jean Brolly, d’Alan Charlton, qui, depuis quarante ans, ne peint que des toiles monochromes dans différentes nuances de gris. Le groupe Origin a été fondé en 1962 par Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio et Suh Seung-Won pour refléter le nouvel environnement social né de la révolution de 1960 pour la démocratie. Par son ton aristocratique, son exigence intellectuelle qui prônait la planéité de la peinture et sa rigueur géométrique qui était porteur d’une vision constructive du monde, il s’opposait à « l’abstraction chaude », l’autre grand courant esthétique coréen de l’époque, qui témoignait, lui, des souffrances de la guerre. Ce sont les toiles des trois fondateurs qui sont exposées à la galerie Perrotin et qui témoignent, avec une grande économie de moyens, de la force méditative de ce groupe.

Alan Charlton, lui, n’a jamais peint que des monochromes gris, sans aucun effet de matière, dont la largueur et la longueur sont déterminées par l’épaisseur standard de leur châssis (4,5cm) et qui « jouent » avec le mur qui les accueille. Mais alors qu’il avait surtout travaillé sur des formes quadrangulaires, il développe depuis quelques années une recherche sur des formes triangulaires. Ce sont ces triangles isocèles, équilatéraux et de différents formats qu’il présente chez Jean Brolly, en regard avec de petites œuvres encadrées qui sont réalisées sur la même toile que celle de ses grandes peintures et qui représentent elles-aussi des triangles, mais dont la peinture grise, lorsqu’elle est appliquée, déborde légèrement de la forme. Un jeu subtil, au bout du compte très sensible, et qui éloigne Charlton du minimalisme auquel il est souvent associé.

EpaminondaAutre belle exposition –et dont la peinture n’est pas non plus absente-, celle présentée à la galerie Art:Concept qui a déménagé il y a peu et qui réunit trois artistes volontairement exilées et qui ont placé la question de la construction culturelle au cœur de leurs démarches respectives : Ulla von Brandenburg, Haris Epaminonda et Francis Upritchard. On connaît le goût d’Ulla von Brandenburg pour les rituels, les techniques anciennes, le théâtre et ses artefacts. Mais on connaît moins celui de Francis Upritchard, cette artiste néo-zélandaise, pour les étranges figures qu’elle réalise en pâte modelée et qu’elle habille de tissus de diverses provenances qu’elle récupère un peu partout. Et on a découvert récemment au Plateau, dans une très délicate exposition, celui d’Haris Epaminonda pour le Japon, mais un Japon imaginaire, qu’elle recrée et aménage à sa manière. L’intérêt de les réunir est de voir justement comment ces artistes utilisent des éléments que l’on connaît et qui nous sont familiers, mais que l’on a parfois du mal à dater ou à identifier et face auxquels on éprouve, du coup, un sentiment d’étrangeté. Et d’interroger du même coup la question de la représentation qui détermine notre relation à l’autre.

McQueenEnfin, une des plus émouvantes expositions de cette rentrée est incontestablement celle de Steve McQuenn présentée à la galerie Marian Goodman et qui reprend Ashes, l’installation qui avait déjà été présentée cette année à la Biennale de Venise (cf https://larepubliquedelart.com/venise-1-la-biennale-politique-enwezor/). Ashes est une oeuvre vidéo constituée de deux films projetés simultanément de part et d’autre d’un même écran suspendu. Dans le premier, filmé caméra sur l’épaule, on voit Ashes, un homme issu, comme la famille de l’artiste, de l’Ile de la Grenade, assis à la proue d’un bateau, et exhibant joyeusement sa jeunesse et son amour de la vie. Dans le second, filmé quelques années plus tard et, au contraire, avec beaucoup plus de solennité, on assiste à ses funérailles et à la confection de sa tombe. Entre les deux, un poster, que l’on peut prendre avec soi, nous raconte comment il est mort, assassiné pour une banale histoire de drogue.

Vie, mort, espace ouvert (la mer), espace clos (la tombe), image en perpétuel mouvement ou fixe, l’installation de Steve McQueen, qui a récemment reçu un Oscar pour son film 12 Years a Slave, fonctionne par antagonismes binaires, que certains pourraient jugés simplistes. Mais elle fait preuve d’un savoir-faire impressionnant et d’une empathie profonde à l’égard de celui qui n’est pas un personnage de fiction et dont elle veut témoigner, tout autant que de la réalité sociale dans laquelle il s’inscrit. Une autre installation, composée de 77 néons bleu foncé représentant chacun une forme manuscrite de la phrase « Remember me », est d’ailleurs présentée au rez-de-chaussée de la galerie. C’est dire si l’idée de mémoire et de trace est au centre de ce dispositif !

 

-Julien des Monstiers, A l’ombre des météorites, jusqu’au 27 février à la galerie Christophe Gaillard, 5 rue Chapon, 75003 Paris (www.galeriegaillard.com)

-Origin, sous le commissariat de Park Seo-Bo, jusqu’au 27 février à la galerie Perrotin, 76 rue de Turenne 75003 Paris (www.perrotin.com)

-Alan Charlton, Triangle Paintings, jusqu’au 13 février à la galerie Jean Brolly, 16 rue de Montmorency 75003 Paris (www.jeanbrolly.com)

-Ulla von Brandenburg, Haris Epaminonda et Francis Upritchard, jusqu’au 6 février à la galerie Art :Concept, 4 passage Sainte-Avoye 75003 Paris (www.galerieartconcept.com)

-Steve McQueen, jusqu’au 27 février, à la galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple 75003 Paris (www.mariangoodman.com)

 

Images : Julien des Monstiers, Les Chiens de garde, 2015, Huile sur toile, 160 x 230 cm ; Alan Charlton, Triangle on fabric 2015, acrylique sur coton, 37 x 45 cm; Haris Epaminonda, Untitled #03 t/a, 2014, vase japonais ancien, plaque en fer, cadre en métal, 72 x 59 x 23 cm, photo: Plastiques / courtesy the artist, Rodeo, London & Art : Concept, Paris; Steve McQueen, Image extraite de, Ashes, 2014-15,, Double projection vidéo HD synchronisée (transférée d’après des films 8mm et 16 mm), son, écran double-face, affiches. 20 min.31 sec.

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