Prix en tous genres
L’ADIAF (Association pour la diffusion internationale de l’art français) a donc rendu son verdict et les quatre artistes nominés pour le Prix Marcel Duchamp 2014, qui est, rappelons-le, l’équivalent en art du Prix Goncourt pour la littérature, sont : Théo Mercier, Julien Prévieux, Florian et Michael Quistrebert, Evariste Richer. Un choix un peu curieux pour ce prix dont la vocation est, selon le site de l’ADIAF, de « rassembler les artistes de la scène française les plus novateurs de leur génération et encourager toutes les formes artistiques nouvelles ». Non qu’ils ne soient pas talentueux ou novateurs, mais on n’a pas vraiment le sentiment que les quatre artistes retenus soient représentatifs d’une tendance ou d’une génération. Ils offrent, certes, un panorama assez complet de la création artistique française (par des pratiques aussi diverses que la sculpture ou la photo pour Théo Mercier, la démarche conceptuel pour Julien Prévieux, la peinture, le dessin ou la sculpture pour les frères Quistrebert, les recherches scientifiques pour Evariste Richer), mais on s’étonne que des artistes qui sont peut-être déjà plus avancés dans la carrière ou qui ont déjà un début de reconnaissance internationale, comme, par exemple, Aurélien Froment, Neil Beloufa ou Isabelle Cornaro, ne soient pas sélectionnés. Autrefois, avec les nominations (et l’élection) d’artistes comme Mathieu Mercier, Saâdane Afif, Tatiana Trouvé ou Thomas Hirchhorn, on avait le sentiment que le jury « confirmait » le travail d’un artiste promis à une brillante carrière. Aujourd’hui (et ce depuis que Cyprien Gaillard a remporté le Prix, il y a deux ans), on l’impression qu’il « défriche », ne se distinguant plus vraiment, en cela, du Prix Ricard qui, lui, a pour mission de découvrir les nouveaux visages de la scène artistique française. Le collectif bellevillois Castillo/Corales, qui est en charge de ce Prix cette année, aura d’ailleurs fort à faire s’il veut sortir des sentiers battus. Enfin,en ces temps de parité et pour en revenir au Prix Duchamp, on ne peut que déplorer l’absence de femmes – et ce ne sont pourtant pas les artistes-femmes de qualité qui manquent- parmi les nominés. Il est vrai toutefois que l’an passé, c’est une femme Latifa Echakhch, qui l’a remporté.
A propos de prix, il est un autre prix qui compte dans le paysage artistique français, c’est le Prix du dessin de la fondation d’art contemporain Daniel et Florence Guerlain. Il a été fondé en 2006 par le couple de collectionneurs qui, auparavant, accumulaient leurs acquisitions en tous genres (photos, sculptures, peintures) dans la Fondation qu’ils avaient créée non loin de Paris, aux Mesnuls. Mais à partir de 2004, ils décidèrent de se concentrer sur le dessin et arrêtèrent les expositions à la Fondation pour fonder, deux ans plus tard, le Prix du dessin. En 2009, ils vendirent même leur prestigieuse collection de photos pour acheter de nouveaux dessins et en particulier aux trois artistes nominés chaque année par le comité de sélection de leur prix composé de collectionneurs –dont eux-mêmes- et de conservateurs de musées spécialisés en art graphique. Aujourd’hui, la collection compte environ 1200 dessins de 201 artistes de 38 nationalités qui sont encore quasiment tous vivants. Elle n’a pas de caractère encyclopédique, est plus le fruit de coups de cœur (soutien à un artiste, achat lors d’une vente caritative, etc) que d’une réelle stratégie institutionnelle, mais représente néanmoins un panorama assez vaste et diversifié de la création contemporaine.
Et les Guerlain, qui avaient initialement prévu d’en faire don à un musée après leur mort, ont, après avoir connu l’épreuve d’un tremblement de terre au Japon, décidé de la léguer de leur vivant au Centre Pompidou, enrichissant ainsi le Cabinet d’art graphique (qui possède déjà 17000 œuvres) et faisant entrer dans les collections du Musée plus de soixante-dix artistes qui n’y étaient pas représentés. A cette occasion, une exposition a été organisée par Jonas Storsve, le conservateur du Cabinet, qui présente quelques trois cents dessins. On y trouve aussi bien des séries de Dove Allouche, Jean-Luc Verna, Marc Bauer, Sandra Vasquez de la Horra ou Nancy Spero que des œuvres isolées de Miquel Barcelo, Marlene Dumas, Chloé Piene ou Richard Prince. Et les artistes latino-américains (par exemple Guillermo Kuitka), japonais (Yayoi Kusama), chinois (Huang Yong Ping), russes (Pavel Pepperstein) ou encore d’origine indienne (Rina Banerjee) y sont bien représentés. Le tout se parcourt sans qu’on en voie absolument la cohérence et l’unité, mais la collection impressionne quand même par son ampleur et sa richesse. Et elle a le mérite de mettre en avant des artistes dont on ne connaît pas suffisamment le travail en France, comme Marcel van Eeden, cet artiste hollandais qui a pour particularité de ne faire que des dessins (au rythme d’un par jour) d’après des illustrations ou des coupures de presse datant d’avant 1965, c’est-à-dire d’avant son année de naissance. Niant ainsi son propre passage sur terre, c’est sa mort que refuse l’artiste, une mort qui ne peut intervenir, puisque le temps aura été arrêté. D’une pratique tangible et physique, le dessin se métamorphose ainsi en une démarche immatérielle et philosophique.
-Donation Florence et Daniel Guerlain, jusqu’au 31 mars à la Galerie d’art graphique du Centre Pompidou, niveau 4 (www.centrepompidou.fr)
-Images : portrait de Marcel Duchamp ; vue de l’exposition Donation Florence et Daniel Guerlain copyright Centre Pompidou / Philippe Migeat
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