Regards croisés
Les musées invitent souvent des artistes contemporains à dialoguer avec leurs collections. Cela permet, pour le musée, de jeter un autre regard sur les œuvres exposées et, pour l’artiste, de montrer d’où il vient, comment son travail est le fruit de tout ce qui l’a précédé. Mais encore faut-il que le choix de l’artiste soit pertinent et qu’il permette une rencontre fructueuse, comme ce fut le cas, par exemple, il y a quelques années, avec l’invitation faite à Jan Fabre, au Louvre, de montrer ses œuvres au sein des collections de peinture flamande. Deux expositions s’inscrivent cette semaine dans cette démarche avec des résultats quelque peu différents : Andres Serrano au Petit Palais et Théo Mercier au Musée de l’homme.
Andres Serrano était a priori l’artiste idéal pour exposer au sein du Petit Palais qui, après Thomas Lerooy, il y a deux ans, Kehinde Wiley, l’an passé, et avant d’ouvrir une partie de ses espaces à la Fiac, joue de plus en plus la carte du contemporain. Nourri de culture classique, très bon connaisseur et lui-même collectionneur d’objets religieux, le photographe star, dont on avait beaucoup parlé lors de la tentative de destruction par des intégristes de son fameux « Piss Christ » à la Collection Lambert, semblait pouvoir s’intégrer avec aisance à la collection à la fois très variée et souvent méconnue du musée parisien. Et il est vrai que ses grands formats spectaculaires, magnifiquement réalisés et cadrés, éclairés avec un art du clair-obscur presque caravagesque, ne palissent pas devant les toiles de Bouguereau ou les grandes fresques symbolistes de la fin du XIXe siècle.
Mais encore eût-il fallu que l’emplacement choisi pour présenter les œuvres fasse véritablement sens, ce qui n’est pas complètement le cas ici. On a beau nous expliquer que les sans-abris de la série « Nomads » rappellent la précarité des personnages représentés par les peintres réalistes français, dont Coubet, que les images des séries « The Church » ou « Holly Works » (au demeurant souvent très fortes) trouvent naturellement leurs places auprès des œuvres religieuses ou que les objets plongés dans les fluides humains de la série « Immersion » se marient parfaitement avec les antiquités, on ne peut s’empêcher de trouver l’accrochage un peu facile et artificiel. Et regretter que l’exposition n’ait pas donné lieu à une commande, que certaines œuvres n’aient pas été produites spécialement pour l’occasion, ce qui aurait sûrement été passionnant. Qui plus est, les commissaires du Petit Palais, sans doute soucieux de ne pas heurter la sensibilité de leur public, ont écarté les œuvres les plus provocantes de Serrano : une seule image de la parfois difficilement supportable série « The Morgue » (une des plus soft !), rien de « History of Sex », pas le fameux « Piss Christ », objet du scandale. C’est juste si un autre Christ en croix laisse voir son pénis, mais, d’après Serrano, « puisqu’il est le fils de Dieu, il est un homme, et donc naturellement membré comme les autres hommes. »
Radicalement différente est la proposition de Théo Mercier, invité lui à venir subvertir les collections du Musée de l’homme. Car l’artiste est un farceur, un trublion que l’on avait découvert, en 2010, dans l’exposition Dynasty du Palais de Tokyo et du Musée d’art moderne de la ville de Paris, avec une sculpture mélancolique et imposante, Le Solitaire, mais réalisée… en spaghettis. Depuis, ce personnage baroque, qui a été l’assistant, un temps, de Matthew Barney, a continué sa carrière, mais un peu à l’écart des circuits traditionnels de l’art contemporain, effrayés par son outrance, son attrait pour le kitsch, son mauvais goût revendiqué. L’hiver dernier, toutefois, pour sa première exposition dans sa nouvelle galerie, Bugada & Cargnel, sans renoncer à son humour ni à son goût de la provocation, il avait fait preuve de davantage de sérieux, en montrant des oeuvres qui étaient aussi un télescopage entre les différentes époques et qui, par leur assemblages hétéroclites et surprenants, brouillaient les cartes de l’identité culturelle.
C’est sans doute pour cette raison qu’il s’intègre si bien aux collections du Musée de l’homme, ce musée passionnant où l’on découvre toutes les diversités des origines et des pratiques de l’individu et qui constitue à lui seul un plaidoyer pour la tolérance. D’abord parce que son œuvre, par nature hétéroclite, multiple, est constitué des mêmes éléments que ceux qui garnissent les vitrines de l’institution (c’est à peine si on est surpris, dès l’entrée de l’exposition, de voir un collier fait en Tour Eiffel dorés que les vendeurs à la sauvette proposent aux touristes aux abords du musée, Collier-Passeport, ou, plus loin, un cercle, Assemblée générale, composé d’une trentaine d’os humains taillés en têtes de mort). Mais aussi parce que les œuvres trouvent une place qui a une véritable raison d’être au sein des collections (l’installation Le Sens de l’histoire ou La grande Réduction, par exemple, qui présente des moulages de la tête d’une statue grecque dont le visage se fait de moins en moins précis au fur et à mesure que la taille des moulages diminue, est présentée dans la partie « Qui sommes-nous ? »). Et surtout parce que Théo Mercier, à la différence d’Andres Serrano, est véritablement intervenu dans l’agencement du musée : dans une vitrine qui s’intitule « Fabriquer des outils pour de multiples usages », il a placé, là une peau de banane, là une cigarette, là un œil en plastique gore, qui peuvent sembler n’être que de l’humour potache, mais qui évoquent aussi une poésie surréaliste ou une manière non conformiste d’aborder les chocs de nos civilisation.
On le voit, l’exposition de Théo Mercier est joyeuse, mais pas seulement. En détournant des objets, en les associant à d’autres avec lesquels ils n’ont a priori rien à voir, elle fait sourire, mais évoque les sujets graves de notre monde actuel (un tas de sculptures africaines bon marché jeté en vrac n’est pas sans faire écho à la tragédie des migrants). Au fond, sous ses raccourcis brillants de garnement malicieux, elle en dit peut-être plus long que bien des exposés prétentieux.
-Andres Serrano, jusqu’au 14 janvier, au Petit Palais, Avenue Winston Chrurchill 75008 Paris (www.petitpalais.paris.fr). A noter que l’entrée dans les collections permanentes où se tient l’exposition est gratuite.
-Théo Mercier, Pièces rapportées, jusqu’au 2 avril au Musée de l’homme, 17 Place du Trocadéro, 75016 Paris.
Images : vue de l’exposition Théo Mercier au Musée de l’homme avec la pièce Memento Mori © JC Domenech Mnhn ; vue de l’exposition Andres Serrano au Petit Palais avec, entre autres, l’œuvre The other Christ © Clément Guillaume, Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles ; vue de l’exposition Théo Mercier au Musée de l’homme © JC Domenech Mnhn
6 Réponses pour Regards croisés
» mais qui évoquent aussi une poésie surréaliste »
C’ est à dire?
La rencontre entre une machine à coudre et un parapluie chère à Lautreamont.
« élescopage entre les différentes époques et qui, par leurs assemblages hétéroclites et surprenants »
On pense à Joyce, par exemple ; mais progresser latéralement, est-ce ou non progresser, grande question…
Question de parallaxe, Sergio. Mettez-vous à la perpendiculaire et vous verrez celui qui progresse latéralement avancer ou reculer.
C’est comme la physique quantique halor… La mesure dépend du dispositif de mesure !
Tout à fait d’accord pour Serrano et j’irais même plus loin : la proximité des tableaux du XIXè siècle affaiblit considérablement ses photos… au point de douter de leur qualité, j’en suis même embarrassé !
Je n’ai pas encore pu visiter les autres expositions,
merci Patrick,
Jérôme
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