Les artistes historiques à Saint-Germain
« C’est n’importe quoi ? », se demande ironiquement François Morellet, dans le titre de la nouvelle exposition qu’il présente actuellement à la galerie Kamel Mennour. Et est-ce vraiment n’importe quoi ? Non, bien sûr, car si une des qualités principales de l’artiste est de ne jamais se prendre au sérieux, une autre est de continuer à produire une œuvre rigoureuse, ample, se déployant aussi bien dans l’espace que sur la toile (ou à l’occasion le mur). Cette nouvelle exposition chez Kamel Mennour, après celle, en 2011, où il confrontait ses œuvres aux dessins de Malevitch, prend pour base un classique de son vocabulaire minimaliste : le monochrome blanc, carré, d’un mètre de côté, qui est en fait de la peinture sur toile fixée sur bois. Ce module, qui est comme le lego dans un jeu d’enfant, Morellet va s’amuser à en explorer toutes les possibilités d’assemblage. Dans la série intitulée « Triptyque », il en superpose trois en rappelant le système des « défigurations », cette série dans laquelle il revisitait les tableaux célèbres de l’histoire de la peinture en accrochant des toiles blanches sur le mur dans la position des têtes des personnages. Dans la « Débâcle », il en réunit quatre pour former une grande toile qu’il barre, de haut en bas, d’une ligne noire qui sépare l’espace en deux et agit comme le « zip » d’une toile de Barnett Newman. Dans « Entre deux mers », il en place quatre autres sur un mur et les recouvre en partie d’acier brossé, pour créer une ligne d’horizon. Dans la série des « Cruibes », il les utilise indépendamment, mais a recours au crayon pour recouvrir leur surface de cercles concentriques.
Mais si le premier espace de la galerie (celui de la rue Saint-André des Arts) est réservé à la peinture, le second (celui de la rue du Pont de Lodi) accueille les pièces lumineuses. On y voit ainsi une autre manière d’utiliser le carré blanc en le prolongeant par le néon (« Carrément bricolé »), mais surtout on y découvre une installation entière de néons bleutés qui s’allument et s’éteignent alternativement, Pier and Ocean, qui est un hommage aux tableaux de Mondrian. Originellement destinée au Musée de la Lumière d’Unna (Allemagne), cette pièce magique dans laquelle on accède par une passerelle en bois conçue par l’artiste japonais Tadashi Kawamata, rappelle avec quelle maîtrise Morellet sait occuper l’espace et comment, avec des moyens très simples, il réussit à évoquer un organisme vivant. Toute l’exposition, qui comporte aussi, dans une pièce un peu à part, un ensemble étonnant d’œuvres exposées en 1950 à la galerie Raymond Creuze (œuvres inspirées par les arts premiers et l’art aborigène, qui permettent de voir quelles étaient les influences de l’artiste avant qu’il opte pour l’abstraction géométrique), témoigne d’ailleurs d’une même vitalité, d’une même fraîcheur, d’une même capacité de renouvellement. Ce fringuant jeune homme de 88 ans a plus d’un tour dans son sac et un émerveillement devant la création artistique qu’on ne saurait trop recommander aux jeunes artistes en panne d’inspiration.
Saint-Germain des Prés deviendrait-il le Panthéon des artistes historiques ? Toujours est-il qu’au même moment et quelques rues plus loin, la galerie Loevenbruck, qui représente désormais la Succession de l’œuvre de Michel Parmentier, présente des œuvres sur papier de ce peintre décédé en 2000, à l’âge de 62 ans. Michel Parmentier, on le sait, faisait partie du collectif BMTP, auquel participaient aussi Daniel Buren, Olivier Mosset et Niele Toroni. Son travail était régi par des principes assez proches de ceux de Buren : une bande horizontale de 38 cm (celle de Buren est verticale) recouverte de peinture industrielle de couleur différente chaque année, appliquée mécaniquement, et une bande de la même dimension laissée en réserve et obtenue par le procédé du pliage. Radicale, son œuvre le fut qui refusait toute expressivité, toute présence sensible de la « main » de l’artiste et qui, par sa rigueur formelle, tendait à la neutralité absolue. Mais certaines de ses toiles sont devenues des classiques et figurent dans les plus grands musées, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis.1
Les œuvres sur papier présentées à la galerie Loevenbruck reprennent le principe de la bande et du pliage mis en œuvre dans les toiles. Mais le fusain y remplace la peinture et le geste mécanique qui consistait à recouvrir uniformément la surface pliée au pistolet y laisse le champ aux traits de crayon « banalisés, répétés sans système qui les feraient dévier vers un art du concept, comme l’écrivit Alfred Pacquemont qui fut commissaire de son exposition au CNAP en 1988, mais sans élégance par trop esthétique ou calligraphique ». Car sur toile ou sur papier, Parmentier reste fidèle à ses principes et son but est avant tout de couvrir la surface sans qu’aucun accident n’apparaisse. Pourtant, malgré lui et malgré la pauvreté du geste, quelque chose échappe à cette volonté de neutralité et on sent sur les œuvres le souffle de l’artiste, la part de l’intime. Comme elles sont réalisées, en plus, sur un papier calque qui semble assez fragile et que le crayon a, en soi, un caractère effaçable que possède moins la peinture, elles acquièrent un raffinement et une préciosité qui les rapprochent de l’art oriental, lui aussi fondé sur le contraste entre le vide et le plein. Telle n’était sans doute pas la volonté de Michel Parmentier, mais son art a en commun avec ce dernier un même refus du grandiloquent et du spectaculaire, des frontières aussi étroites entre le visible et le caché et une même aspiration, surtout, au silence.
1A l’occasion de l’exposition, un livre parait d’ailleurs aux Editions BlackJack, Michel Parmentier, textes et entretiens, qui éclaire sur la démarche esthétique et éthique de l’artiste.
–C’est n’importe quoi ? , François Morellet, jusqu’au 7 mai à la galerie Kamel Mennour, 47 rue Saint-André des Arts et 6, rue du Pont de Lodi, 75006 Paris (www.kamelmennour.com)
–Michel Parmentier, jusqu’au 25 mai à la galerie Loevenbruck, 6 rue Jacques Callot, 75006 Paris (www.loevenbruck.com). Une autre exposition consacrée à Michel Parmentier, Avant les bandes, 1962-1965, sera présentée à la galerie Jean Fournier du 22 mai au 21 juin et une exposition rétrospective aura lieu cet été à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-mer du 7 juin au 14 septembre.
Images : François Morellet, Pier and Ocean, 2014, En collaboration avec Tadashi Kawamata, Installation au sol. 38 tubes de néon bleu argon & Jetée en bois réalisée par Tadashi Kawamata, Dimensions variables / 150 cm de long chaque tube, Vues de l’exposition «François Morellet, c’est n’importe quoi ? », kamel mennour (6, rue du Pont de Lodi), Paris © ADAGP François Morellet, Photo. Fabrice Seixas, Courtesy the artist and kamel mennour, Paris ; Michel Parmentier, 24 décembre 1989, 1989, 8 séquences de 37,5 cm de large sur papier calque, 7 bandes horizontales alternées (3 vierges et 4 fusain) de 38 cm de hauteur, au bord supérieur une bande partielle vierge de 19cm et en bas, bande partielle de 19cm, 304 x 300 cm ; Courtesy Succession Michel Parmentier / Galerie Loevenbruck, Paris. © ADAGP, Paris. Photo Philippe de Gobert
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