Tout Nice pour Matisse
Matisse – Nice : une histoire d’amour qui a duré près de quarante ans, depuis le premier séjour du peintre en 1917, à l’Hôtel Beau-Rivage, jusqu’à sa mort en 1954. Entre-temps, il y a beaucoup déménagé, s’est même replié à Vence, pendant la Guerre, pour éviter tout risque de bombardement lors du débarquement en Provence, mais est toujours resté fidèle à la Côte d’Azur et à cette lumière incomparable qui a tant changé son regard sur le monde et lui a permis de peindre tant de chefs-d’œuvre. A tel point qu’après sa mort, sa famille a fait don à la ville d’un nombre important d’œuvres qui ont été réunies dans une villa des hauteurs de Cimiez, à deux pas du cimetière où l’artiste repose, et qui est devenue le Musée Matisse de Nice.
Ce Musée fête aujourd’hui ses cinquante ans et c’est l’occasion pour la ville d’organiser une grande manifestation autour de son fils adoptif, Un Eté pour Matisse, orchestrée par Jean-Jacques Aillagon et répartie dans huit musées municipaux. L’épicentre s’en tient bien sûr au Musée Matisse, qui présente une exposition intitulée : « La musique à l’œuvre ». Pourquoi la musique ? Parce qu’elle tient une place essentielle dans la vie du peintre. Tous ses enfants jouaient d’un instrument et lui-même envisageait d’apprendre le violon, car il disait que s’il devenait aveugle, il lui resterait toujours la satisfaction de pratiquer la musique. Mais surtout parce que son œuvre toute entière se place sous l’égide de la musique, se conjugue en termes de rythmes, de couleurs et d’harmonie. Dans les Notes d’un peintre récemment rééditées par les Editions du Centre Pompidou1, n’écrivait-il pas : « Je suis obligé de transposer, et c’est pour cela qu’on se figure que mon tableau a totalement changé lorsque, après des modifications successives, le rouge a remplacé le vert comme dominante. Il ne m’est pas possible de copier servilement la nature, que je suis forcé d’interpréter et de soumettre à l’esprit du tableau. Tous mes rapports de tons trouvés, il doit en résulter un accord de couleurs vivant, une harmonie analogue à celle d’une composition musicale » ?
L’exposition se divise donc en deux sections distinctes. Dans la première, intitulée « Le Silence de la musique », on voit des œuvres qui font directement référence à la musique et à ses instruments, comme, par exemple, l’admirable Intérieur au violon (1918-1919), qui, par la simple présence de la boîte ouverte du violon, souligne le pouvoir d’inspiration engendré par la musique. On y voit aussi des dessins de Cortot ou des esquisses de La Danse. Elle s’ouvre en majesté par La Tristesse du roi, une œuvre monumentale que Matisse réalisa dans les toutes dernières années de sa vie, qui est la synthèse de son travail sur les papiers découpés et qui est un prêt exceptionnel du Centre Pompidou.
Dans la seconde, « La Sonorité de la couleur », ce sont les œuvres (le plus souvent des papiers découpés) dont la composition renvoie à l’univers musical qui sont présentées. On y voit, par exemple, ces incroyables Abeilles, qui était un projet de vitrail que Matisse destinait à la Chapelle de Vence, mais que, finalement, il légua à une école maternelle de sa ville d’origine, Le Cateau-Cambrésis. Ou l’immense Fleurs et fruits (1952-1953), qui constitue une sorte de jardin paradisiaque et qui ouvre tellement à l’abstraction et à la modernité. Mais le point d’orgue de l’exposition est la réalisation en céramique de La Piscine, une œuvre en papiers gouachés conservée au Moma de New York que Matisse avait conçue un jour où il faisait particulièrement chaud, pour se rafraîchir, mais qui était restée à l’état de projet. Claude Duthuit, le petit-fils de l’artiste, a travaillé avec le céramiste Hans Spinner pour lui donner forme et ainsi prolonger dans l’espace le travail sur papier de son génial aïeul.
De La Piscine, on passe tout naturellement au Musée d’Archéologie, situé à côté du Musée Matisse, à l’endroit même des anciennes thermes romaines, et qui présente une exposition consacrée, selon son commissaire, Bertrand Roussel, aux « œuvres d’artistes contemporains qui ont, comme Matisse, exploré les phénomènes de la perception des corps, de leur déformation et de leur mouvement dans l’eau. » Et s’il est un artiste contemporain qui a travaillé sur ce thème et cherché à fixer sur la toile les insaisissables mouvements de l’eau, c’est bien David Hockney. Aucune œuvre de Hockney n’est présente (peut-être faute de moyen), mais un extrait de A Bigger Splash, le film célèbre que Jack Hazan lui a consacré, est projeté, qui montre son amant de l’époque, Peter Schlesinger, plongeant nu dans la piscine de sa villa californienne. D’autres artistes sont là : Bill Viola avec une de ses premières et somptueuses vidéos, The Reflexing Pool, Michel François avec Le Feu dans la piscine, Catherine Larré et Marie-Paule Nègre qui interrogent la plasticité des corps dans l’eau ou Daniel Larrieu, avec la captation de son ballet nautique, Waterproof, où le danseur semble échapper à toute notion de gravité. Et dans ce havre de fraîcheur au sein de l’été niçois (des ruines de thermes antiques forment un contrepoint aux œuvres contemporaines) émerge un magnifique diptyque de notre collègue et ami de La République de la Photo, Amaury da Cunha : deux images de moyen format qui représentent l’une un ciel d’hiver constellé d’oiseaux et l’autre une piscine où un corps de femme est immergé et où les éléments du carrelage qui en constituent le fond ressemblent, sous la déformation du liquide, à des arabesques. A l’air de la première répond l’eau de la seconde, au pointillisme des oiseaux la danse des carreaux bicolores : voilà une transcendance que n’aurait sans doute pas reniée Matisse et qui est parfaitement en accord avec son système de correspondance des éléments décoratifs.
(Photo supprimée)
Car l’influence de Matisse sur l’art du XXe siècle et d’aujourd’hui est – doit-on le dire ?- fondamentale. C’est ce que cherche à prouver l’exposition présentée au MAMAC (Musée d’art moderne et d’art contemporain) et joliment intitulée : « Bonjour Monsieur Matisse ! Rencontre(s) ». Le choix du conservateur, Gilbert Perlein a été là de privilégier les œuvres d’artistes contemporains qui font directement référence à l’iconographie matissienne en indiquant d’ailleurs, sur chaque cartel, la référence précise et en montrant sur écran, dans chaque salle, les œuvres auxquelles il est fait allusion. Articulée autour d’un parcours thématique qui reprend les grands axes du travail du peintre (l’atelier, le nu, les natures mortes, etc), l’exposition montre de nombreuses œuvres du Pop Art américain (Lichtenstein, décidément très présent sur la scène artistique cet été, Wesselmann et Warhol) ou du mouvement Supports/Surfaces (Viallat, Rutault, Bioulès, Buraglio) qui sont bien représentés dans les collections du MAMAC. Elle montre aussi les artistes qui se sont réapproprié les toiles de Matisse pour les détourner ou en contester l’originalité comme Sherrie Levine, Baldessari ou Vik Muniz. C’est toujours pertinent, présenté avec soin et révélateur de la manière dont les artistes sont nourris de l’univers matissien, mais on peut lui préférer l’exposition qui s’était tenue en 2009 au Musée de Cateau-Cambrésis, « Ils ont regardé Matisse », et qui analysait de manière moins anecdotique la réception du peintre dans l’art abstrait américain et européen d’après-guerre.
Au Palais Lascaris, on peut voir les grandes planches de son fameux livre Jazz (la jonction la plus évidente de son goût pour l’improvisation musicale et les papiers découpés) présentées comme autant de tableaux ; à la galerie des Ponchettes, ce sont les affiches conçues par Matisse ou par d’autres pour ses expositions qui ornent les cimaises ; enfin, même l’exposition annuelle des diplômés de la Villa Arson ,Le sens de la vague, à la galerie de la Marine, dont le commissaire est cette année Stéphane Corréard, est placée sous le signe de Matisse. Elle a été inaugurée par une performance de Rémi Voche, Matisse es-tu là ?, qui a vu le corps de l’artiste entièrement recouvert de grands papiers bleus découpés aux ciseaux, pour s’en faire des ailes et s’envoler vers la mer.
Bref, cet été, c’est tout Nice qui vibre au rythme de Matisse !
140 pages, 10,50€
–Un Eté pour Matisse, jusqu’au 23 septembre, dans huit musées municipaux de Nice (matisse2013.com)
–Le Sens de la vague, jusqu’au 29 septembre à la Galerie de la Marine, 59 Quai des Etats-Unis, Nice
Images:
-Henri Matisse, Intérieur à la boîte à violon, 1918-1919, huile sur toile, 73 x 60 cm, The Museum of Modern Art, New York, © Succession Henri Matisse
-Amaury da Cunha, de la série Après tout, photographie contrecollée sur aluminium, © Amaury da Cunha
-Laurence Aëgerter, Matisse, jeu de boules, 2010, tirage argentique, 128 x 160 cm, Courtesy galerie Maud Barral, Nice, © ADAGP, Paris, 2013, Succession Henri Matisse pour l’œuvre originale de l’artiste
2 Réponses pour Tout Nice pour Matisse
Tout Nice pour Matisse ou tout Matisse pour Nice ?
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