de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art

Visages de la femme éternelle

 

Ouvert il y a seulement deux ans, le Musée Bonnard du Cannet, ville où le peintre a passé la dernière partie de son existence, a très vite joui d’une excellente réputation, tant du point de vue du public que celui de la presse et des institutions. Il faut dire que le lieu d’exposition, une villa Belle-Epoque qui était vouée à la démolition, offre des espaces petits, mais clairs et calmes, et que les architectes en charge de les transformer en musée ont su le faire avec goût, sens de la fonctionnalité et intelligence. Il faut dire aussi que depuis son ouverture, le Musée a fait preuve d’un dynamisme remarquable, réussissant à se constituer une collection non négligeable, mais aussi à se faire prêter des œuvres des grands musées du monde et des collections privées. Développant une politique d’édition (chaque exposition donne lieu à un superbe catalogue) et de multiples activités en direction du public, il vient de signer une convention avec le musée d’Orsay et l’Orangerie pour une étroite collaboration et un échange d’œuvres, sur une durée de cinq ans.

C’est d’ailleurs en grande partie du Musée d’Orsay que viennent les œuvres qui constituent l’exposition de cet été, qui a pour titre : Le nu de Gauguin à Bonnard et pour sous-titre : Eve, icône de la modernité. Partant du principe que la figure d’Eve a habité l’histoire de l’art (de Masaccio à Rubens, en passant par Michel Ange, Bosch ou Breughel) et qu’elle a constitué « le fil rouge de la relecture formelle et symbolique du nu féminin », Véronique Serrano, la commissaire de l’exposition, a réuni un ensemble d’environ soixante-dix œuvres, qui vont de 1880 à 1950 et qui toutes offrent « leur » image de la première femme. Image de la pureté ou de la tentation, du rêve mélancolique ou de la mère-nature, elles traduisent la fascination que le corps féminin a toujours exercée chez les artistes et les rapports qu’eux-mêmes entretenaient avec les femmes.

Paradoxalement, c’est sur un nu masculin de Bonnard que s’ouvre l’exposition (parce que tous les artistes réunis ici sont de ce sexe ?). Il est suivi par une toile magnifique : L’Homme et la Femme du même Bonnard et qui en dit long sur les liens qui souvent unissent les deux sexes. Le tableau représente un couple qui vient vraisemblablement de faire l’amour, l’homme est à droite, la femme à gauche et un paravent qui coupe la toile dans le sens de la verticalité les sépare. Un sentiment de tristesse et de solitude émane de cette scène qu’observe un chat blanc, tapi dans l’angle gauche du tableau. Pourtant, à bien y regarder, elle semble inverser la représentation que l’on se fait habituellement de la faute et de la culpabilité. Ici, la femme (en l’occurrence Marthe, l’épouse du peintre) apparaît dans la lumière, les yeux baissés, comme sereine dans sa nudité, tandis que l’homme est dans l’ombre, debout et qu’il semble porter le poids du tourment. Bonnard, amoureux de la –ou de sa- femme et de la lumière ? On n’en doute pas un seul instant.

(Photo supprimée)

D’autres figures de femmes jalonnent le parcours qui est divisé en trois sections : les symbolistes et les nabis, les fauves et les cubistes, les peintres de l’entre-deux guerres. Et ce seront tour à tour les tahitiennes rêvées et idéalisées de Gauguin (Et l’or de leur corps, 1901), la femme qui fait corps avec le paysage de Sérusier (Eve bretonne ou Mélancolie, vers 1871), la femme archétypique et primitive de Picasso (Nu sur fond rouge, vers 1905-1906) ou la femme en lien idyllique avec la nature du Douanier Rousseau (Eve, vers 1906-1907). Avec les années 20 et l’émergence du Surréalisme (Nadja de Breton, par exemple, paraît en 28), c’est une autre représentation de la femme, encore plus liée à l’irrationnel, au mystère et à l’inconscient qui apparaît et qu’illustre parfaitement Ernst ou Arp. Dans cette dernière partie de l’exposition, deux œuvres suscitent particulièrement l’attention : la première est le panneau que Lacan commanda à André Masson pour masquer L’Origine du monde de Courbet dont il était propriétaire (qui reprend d’ailleurs, en les schématisant, les lignes du tableau original) et la seconde est une petite figurine en plâtre de Giacometti qui représente une femme portant à bout de bras un bouquet de fleurs. Décharnée, comme sur le point de s’effacer, pathétique dans son expression, la femme s‘impose néanmoins grâce aux quelques fleurs colorées qu’elle tient dans sa main.

Un dernier nu de dos de Bonnard, d’une étonnante simplicité, clôt l’exposition ainsi que cette série de billets consacrés aux manifestations estivales du Sud de la France. Bientôt, le retour à Paris…

 

Le nu de Gauguin à Bonnard, jusqu’au 3 novembre, Musée Bonnard, 16 boulevard Sadi Carnot, 06110 Le Cannet (www.museebonnard.fr)

 

Catalogue, Coédition : musée Bonnard et Silvana Editoriale, Édition : française et anglaise, Format : 24 X 30 cm, Nombre de pages : 180 pages, Tarif : 30 €

 

Images : Pierre Bonnard (1867-1947), L’homme et la femme, vers 1900, Musée d’Orsay, Paris, huile sur toile 115 x 72 cm © Adagp, Paris 2013 © Photo RMN – Tony Querrec ; Maurice Denis (1870-1943), Adam et Ève 1924, Collection particulière, huile sur toile, 87 x 111 cm © Adagp, Paris 2013

 

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

2

commentaires

2 Réponses pour Visages de la femme éternelle

Passou dit :

Au fond, cet expo, c’est presque le nu de Bonnard à Bonnard. Ce dont on ne se plaindra pas. Le couple en liminaire du billet est effectivement inoubliable. Alors Bonnard le patron ? ce ne serait que justice. Mais ne se voulant pas un maître, il na pas eu de disciples, non ?

Non, effectivement. Mai c’est peut-être parce qu’il ne se voulait pas un maître qu’il est si attachant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*