Women House, paroles de femmes
Les choses changent. Enfin, progressivement. Longtemps asservies et réduites au silence par le pouvoir masculin, les femmes prennent peu à peu la place qui leur revient au sein de notre société, même si on apprend encore aujourd’hui que les inégalités salariales se sont creusées entre les deux sexes au cours des dernières années. Elles changent dans le monde entier, et en particulier en ce moment, avec la légitime libération de la parole consécutive à l’affaire Weinstein, dont on espère cependant qu’elle n’aboutira pas à une guerre des sexes (lire à ce propos la surprenante et plutôt juste analyse de Nicolas Bedos parue ce matin dans le Huffington Post : http://www.huffingtonpost.fr/nicolas-bedos/un-seul-nom-me-suffira-quand-la-liberation-de-la-parole-vire-a-la-guerre-des-sexes_a_23262930/?utm_hp_ref=fr-homepage). Et dans la planète art aussi, où la féministe Hito Steyerl vient de prendre la première place du Power 100 List 2017 de la revue anglaise ArtReview, qui classe, selon certains critères, les cent personnalités les plus importantes du monde artistique.
Il faut dire qu’on revient de loin et que les femmes ont eu à se battre âprement pour pouvoir se faire une place au sein d’un milieu hyper macho (que l’on songe seulement, il n’y a pas si longtemps, aux excès de testostérone dégagés par les adeptes de l’art minimal américain ou aux paroles toutes récentes du grand Baselitz, déclarant, en substance, « que les femmes ne savaient pas peindre » !). Pendant longtemps, elles ne purent, pour des raisons de bonnes mœurs, dessiner des hommes nus sur le vif (alors qu’il était parfaitement accepté que les hommes aient leurs modèles féminins) et celles qui, au début du XXe siècle, voulaient s’inscrire dans des académies devaient payer le double de droit d’inscription de leurs collègues masculins, parce qu’on considérait qu’elle étaient de riches dilettantes et qu’elles ne se préparaient pas à une vraie carrière (lire à ce propos le passionnant essai de Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici, Femmes artistes, artistes femmes, Paris, de 1880 à nos jours, paru chez Hazan).
Une des premières à avoir redonner du lustre à la place des femmes dans le monde de l’art de notre époque a été Camille Morineau, avec l’exposition qu’elle avait organisée il y a sept ans au Centre Pompidou uniquement avec des artistes femmes, elles@centrepompidou, exposition que certains à l’époque avaient jugée trop « sexiste ». Nommée à la direction des expositions et des collections à la Monnaie de Paris, elle récidive avec une exposition intitulée Women House, du nom que les co-directrices du programme d’art féministe de l’Ecole des arts de Californie avaient donné, en 1972, à la maison qu’elles avaient investie à Hollywood, avant démolition, pour y donner leurs cours, faute de pouvoir le faire ailleurs. L’idée étant de confronter deux notions : un genre, le féminin, et un espace, le domestique, « l’architecture et l’espace public ont été longtemps masculins, tandis que l’espace domestique restait celui des femmes », précise la commissaire. Et elle le fait dans les nouveaux espaces de la Monnaie, c’est-à-dire plus seulement dans les précieux salons XVIIIe du 1er étage, mais dans un parcours qui commence au rez-de-chaussée et s’étend sur 1000m2.
On y traverse huit parties, qui vont de l’enfermement des femmes au foyer (Desperate Housewives, avec des œuvres, entre autres de Martha Rosler ou de Cindy Sherman) aux Femmes-maisons (avec bien sûr des pièces majeures de Louise Bourgeois), en passant par Une chambre à soi, qui renvoie à Virginia Woolf et présente des œuvres de Claude Cahun ou de Francesca Woodman, Maisons de poupée, référence à la pièce d’Ibsen, où l’on voit un superbe jeu d’échecs de Rachel Whiteread, ou Mobil-homes, qui propose une alternative pour vivre autrement, avec entre autres un véhicule aménagé d’Andrea Zittel. Et dans les cours extérieures, ce sont des pièces monumentales de Niki de Saint-Phalle, de Joana Vasconcelos et de Shen Yuan qui sont montrées. Tout n’est pas exceptionnel dans cette exposition, certains dessins de l’artiste autrichienne Birgit Jürgenssen qui la représentent dans ses tâches ménagères semblent un peu datés et la vidéo de Monica Bonvicini, par exemple, où l’on ne voit qu’un bras féminin taper contre un mur à l’aide d’un marteau (pour se libérer, bien sûr, de l’oppression) reste un peu sommaire. Mais l’ensemble est riche, plein de sens et souvent inédit (en particulier dans les documents du début des années 70, années qui, il est vrai, furent particulièrement importantes pour le féminisme).
Un regret peut-être : que ce féminisme-là soit surtout historique et qu’on y voit moins les directions qu’il peut prendre aujourd’hui. Et une suggestion : que cette revendication soit proposée à l’avenir avec les travaux d’artistes LGBT qui eux aussi ont eu à lutter contre les formes de domination masculine (leurs combats, même s’ils sont différents, sont toujours allés de pair). En montrant, par exemple, les « Powerless sculptures » d’Elmgreen & Dragset, des sculptures qui mettent à mal l’ordre viril établi, aux côtés de pièces présentées dans cette exposition, on réalisera que les objectifs sont les mêmes et que les femmes n’ont pas été les seules, hélas, à vouloir sortir d’un espace public pensé par et pour les hommes.
–Women House, jusqu’au 28 janvier à la Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, 75006 Paris (www.monnaiedeparis.fr)
Images : Carla Accardi, Triplice tenda, [Triple tente] 1969-1971. Vernis sur Sicofoil, plexiglas, 270,9 cm / diam. 450,8 cm . Centre Pompidou, Paris. Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle. © Carla Accardi/Adagp, Paris, 2017. © Monnaie de Paris – Romain Darnaud ; Helena Almeida, Estudo para dois espaços, 1977 Tirage gélatino argentique noir & blanc., 39,4 x 27 cm Edition : 1/5, The SAMMLUNG VERBUND Collection, Vienna; Martha Rosler, Woman with Vacuum, or Vacuuming Pop Art, de la série/from the series: Body Beautiful, or Beauty Knows No Pain, 1966-72, Photomontage imprimé en numérique. Coll. Privée Paris. Courtesy of the artist.
4 Réponses pour Women House, paroles de femmes
Exposer en tant que femme, au lieu d’artiste tout court, c’est un peu comme les intellectuels engagés, on peut difficilement s’empêcher de songer que cela ruine un brin l’affaire…
On peut effectivement regretter qu’il faille encore faire des distinctions entre les artistes femmes et les artistes hommes, et ce n’est pas parce qu’on est du sexe féminin qu’on est systématiquement un bon artiste, mais c’est comme la parité, peut-être une étape nécessaire pour que l’équilibre se fasse naturellement.
A Nancy on avait une asso des « Femmes peintres », qui exposaient en temps que telles, et également à l’autre salon, le tronc commun en quelque sorte, celui des Artistes lorrains. Finalement après plusieurs décennies elles ont raccroché d’elles-mêmes pour venir se refondre avec les artistes lorrains, avec bien sûr les transitions d’usage (coprésidence etc.) D’ailleurs le président n’est pas nécessairement un peintre, aujourd’hui c’est un industriel…
Je comprends le point de vue de Sergio, en ce sens qu’il est difficile de trouver une spécificité féminine dans les œuvres. On est enclin à trouver une « patte » féminine chez Marie Laurence, par exemple, mais après coup, quand on sait que l’artiste est une femme.
Dans l’art d’aujourd’hui, on voit mal ce que pourrait être un renouveau typiquement féminin. (Même si certains machos prétendent que seule une commère pouvait faire du Sophie Calle).
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