de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Agapes niçoises

Agapes niçoises

C’est un paradoxe : de tous les Nouveaux Réalistes, Daniel Spoerri est sans doute un des moins connus, alors qu’il est toujours vivant. En fait, on associe surtout l’artiste aux « tableaux-pièges », ces œuvres qui consistaient à montrer la beauté poétique d’objets trouvés, par exemple, sur des étals de brocanteur, en les renversant, les faisant tenir à la verticale, comme s’ils défiaient l’ordre établi et les lois de la gravité. C’est avec ces pièces immédiatement reconnaissables qu’il rejoignit en 1960 les Nouveaux Réalistes, lui qui collectait des ferrailles pour son ami Jean Tinguely à Paris. Né en 1930 en Roumanie, Daniel Spoerri se destinait d’abord à la danse, au théâtre et à la poésie concrète avant de se consacrer aux arts plastiques. Le rapport qu’il établit entre les mots et les objets, le réel et l’illusion, l’espace et le mouvement (les « tableaux-pièges » fixent dans la durée le dispositif d’un instant dû au hasard) prennent d’ailleurs leurs sources dans ces disciplines.

Musée historiquement lié au Nouveau Réalisme, le Mamac de Nice se devait de lui rendre hommage. C’est désormais chose faite avec l’exposition qui s’y est ouverte récemment, Le Théâtre des objets de Daniel Spoerri, sous la houlette avisée de Rebecca François. Et bien sûr les « tableaux-pièges » y figurent en bonne place, à l’entrée du parcours conçu comme un barnum forain, et bientôt suivis par les œuvres de la série « Trésor des pauvres », qui consistent à détourner des tapisseries d’Aubusson en leur accolant des objets de pacotille qui sabordent la virilité des scènes qu’elles représentent, le plus souvent animalières. Mais l’intérêt de l’exposition consiste à montrer d’autres aspects de la pratique de Spoerri, des aspects moins immédiats, moins spectaculaires, mais qui ouvrent le travail sur une légèreté et une fragilité qui font parfois défaut aux « tableaux-pièges ».

Ainsi, « l’Eat Art », l’art culinaire, qui met en avant les phénomènes socioculturels de l’alimentation et que l’artiste pratiqua dès 1963, en créant, à la galerie J à Paris, un premier restaurant éphémère, qu’il conçut comme une œuvre participative et festive où les restes des repas furent à leur tour « piégés » et suspendus à la verticale (ils furent plus tard présentés à New York comme des portraits d’artistes portant la mention « Eaten by », « mangés par »). Ainsi, l’art éphémère, de la collection et du jeu, qui marque son lien avec Fluxus et consiste à magnifier la puissance immanente des objets les plus dérisoires et anecdotiques. Dans la série « La Médecine opératoire dessinée d’après nature par N.H. Jacob (1839) réinterprétée par D. Spoerri », par exemple, il confronte des lithographies du corps humain morcelé à des objets tantôt incisifs, tantôt poétiques, comme des outils, des épingles, des fleurs artificielles, des coquillages, etc.

Avec près de 300 œuvres venues des quatre coins de la planète, cette exposition dresse un portrait complet et attachant de cet artiste singulier. A noter qu’à cette occasion, la Réplique de la Chambre 13 de l’Hôtel Carcassonne (24, rue Mouffetard), cette œuvre que Spoerri réalisa en 1998 pour le Guggenheim de New York et qui est une reconstitution à l’échelle 1 de la chambre d’hôtel dans laquelle il vécut à Paris, dans les années 60, entre dans les collections du Musée, grâce à la générosité de la Fondation RNK et l’implication de la galerie Henze-Ketterer.

Il n’y a rien à manger dans l’exposition que l’association Entredeux organise au sein même de la société Résistex, dans la banlieue niçoise, mais on peut y boire des tisanes d’eucalyptus ou d’olivier qui ont été faites à partir de plantes récupérées dans le jardin. Car Marie Ouazzani & Nicolas Carrier, le duo d’artistes qui y a résidé pendant plus d’un mois, a choisi de mettre en valeur le bâtiment et ses potentialités. Le principe du projet répond à la demande du patron de cette société spécialisée dans l’éclairage et qui veut encourager les jeunes artistes et la création. Il s’est tourné vers Rebecca François (encore elle !) et Lélia Decourt, les deux fondatrices d’Entredeux, pour qu’elles lui proposent des artistes et, avec l’ensemble des employés, ils ont choisi ceux qui leur semblaient le plus à même d’intervenir dans les locaux. Précédemment, ce sont l’artiste Eric Michel, suivi du musicien Arthur Arsenne, puis de la compagnie de théâtre La Machine (les résidences ne sont pas réservées aux seuls plasticiens) qui ont été invités. C’est une initiative généreuse, qui ne se limite pas à une opération de com et qui cherche vraiment à faire en sorte que tous les employés de la société (et les visiteurs extérieurs) soient stimulés par l’art et la création.

Pour autant, il n’y a pas grand-chose à voir dans l’exposition concoctée par ces deux artistes unis autant dans le travail que dans la vie. Mais des vidéos (dont une qui s’infiltre dans l’écran sur lequel apparaissent la date, l’heure et les commandes du jour), une installation avec des plantes (puisqu’une de leur principale préoccupation est la manière dont le végétal réagit à la lumière, qu’elle soit naturelle ou artificielle) et des photos qui revalorisent l’architecture de ce bâtiment trop souvent décriée. Marie Ouazzani & Nicolas Carrier aiment les bugs dans la technique, s’en servent pour créer des images étranges, que l’on sent habitées de formes que l’on n’identifie pas. Leur exposition s’appelle Eclat fantôme et c’est vraiment par les apparitions mystérieuses qu’elle suscite au sein de l’entreprise qu’elle prend forme.

Enfin, si vous avez décidé de vous rendre à Nice, privilégiez la période du 19 novembre au 5 décembre. C’est pendant celle-ci que se tient le festival OVNI (Objectif Vidéo Nice) qui, comme chaque année, a pour épicentre l’Hôtel Windsor et ses chambres d’artistes dans lesquelles les vidéos sont projetées. Cette année, l’édition a pour titre A lion in my room. Muriel Mayette-Holz, la directrice du Théâtre de Nice, en est la marraine et ORLAN l’invitée d’honneur (une table-ronde autour de son travail aura lieu le 21 novembre). Mais bien sûr, c’est toute la Baie des Anges (dont les hôtels Splendid et Rivoli) qui sera investie à cette occasion et, à la fin, le Prix Sud Emergence et le Grand Prix OVNI seront décernés. A noter plus particulièrement, une « nuit de l’étrange », le 20 novembre, au Musée d’histoire naturelle, au cours de laquelle le public, après avoir été accueilli par une installation de Bertrand Gadenne, pourra circuler librement… à la seule lumière des téléphones portables, et une installation d’Ulla Von Branderburg le 27 au Musée Matisse.

-Le Théâtre des objets de Daniel Spoerri, jusqu’au 22 mars au Mamac, 1 place Yves Klein Nice (www.mamac-nice.org)

– Marie Ouazzani & Nicolas Carrier, Eclat fantôme, jusqu’au 13 janvier dans l’entreprise Résistex, 11 quai de la Banquière 06730 Saint-André-de-la-Roche (visible sur rdv : entredeux06mail.com)

-OVNI, du 19 novembre au 5 décembre dans différents lieux de Nice (toutes les infos sur www.OVNi-festival.fr)

Images : Daniel Spoerri, Action Restaurant Spoerri, Düsseldorf, 27 avril 1972 de la série « Tableau-piège » ; Collection privée, Milan, Photo Fabio Mantegna, © Adagp, Paris, 2021 ; Daniel Spoerri en 1964, photo © Wieczorek/Ullstein bild via Getty Images ; Marie Ouazzani et Nicolas Carrier,  Éclat fantôme, 2021Vue de l’exposition/restitution de résidence, entreprise Resistex, Saint André de la Roche, commissariat ENTRE|DEUX Photo et (c) Ouazzani & Carrier; Ulla Von Branderburg au Musée Matisse

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