de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Au Mamac de Nice, les fleurs ne sont pas pour la décoration

Au Mamac de Nice, les fleurs ne sont pas pour la décoration

L’édition 2022 de la Biennale de Nice, conçue par Jean-Jacques Aillagon, avait pour thème « les fleurs » et elle a donné lieu à onze expositions à travers la ville, dont la très belle exposition Matisse-Hockney, au Musée Matisse, en guise d’ouverture (cf Hockney-Matisse, le paradis retrouvé – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Pour la fermeture, c’est le Mamac qui s’y colle, avec sa proposition contemporaine. Il y eut, bien sûr, durant l’été, au Pôle des cultures contemporaines de Nice, le 109, une exposition qui explorait le thème avec des artistes d’aujourd’hui, Power Flower, mais celle-ci, en dépit de la qualité de certains artistes présentés (Jean-Baptiste Bernadet, Morgan Courtois, Mimosa Echard, entre autres), se contentait de juxtaposer les œuvres, sans véritable point de vue curatorial. Tout le contraire de l’exposition du Mamac, Devenir fleur, qui, sous le commissariat d’Hélène Guenin, sa directrice, et de Rebecca François, son attachée de conservation, aborde le sujet avec méthode et rigueur.

Le sujet, pourtant, n’est pas des plus originaux. Il a déjà été traité à de maintes reprises et a occupé pendant longtemps une place un peu méprisée de l’histoire de l’art, celle des peintres du dimanche ou des occupations de « dames ». Il y a deux ans, au Frac Aquitaine, une exposition, Narcisse ou la floraison des mondes (cf Dites le avec des fleurs – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), avait toutefois tenté de lui redonner du sens et de montrer à quel point les fleurs, dans la crise écologique majeure que nous vivons aujourd’hui, pouvaient être importantes pour notre santé et notre alimentation et comment elles participaient à l’équilibre naturel. C’est ce que fait aussi l’exposition du Mamac, qui avait déjà esquissé le sujet, en 2018, sous l’angle du Land Art, avec l’exposition Cosmogonies, au gré des éléments (La nature envahit Nice – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), mais de manière différente et peut-être plus détournée.

Elle se divise en trois parties d’à peu près égale importance. La première, Etre fleur, « invite à regarder autrement les fleurs : comme des êtres vivants et non comme des objets symboliques ou décoratifs ». C’est la phase de la contemplation, de la fusion, celle au cours de laquelle on se détache d’une vision purement anthropocentrique pour traiter la nature dans un rapport de réciprocité, d’égalité. La deuxième, Jardin des métamorphoses, propose une nature complètement réinventée par les artistes, qui rappelle aussi l’influence que l’homme a eu sur le végétal et la manière dont il a toujours tenté de le dominer. Dans la troisième, enfin, La Botanique du pouvoir, c’est la question du pouvoir et de l’histoire qui est évoquée. Partant du principe que « le développement de la botanique moderne est intimement lié, au cours des siècles, à la découverte de nouveaux territoires et au processus de colonisation », les commissaires montrent comment les fleurs portent en elles les traces de ces blessures et constituent une mémoire des conflits récents.
Mais cette division qui va de l’aspect le plus immédiat au plus métaphorique permet surtout de découvrir de très belles œuvres, dont certaines ont été conçues spécialement pour l’exposition. Comme toujours dans ce musée, les générations se confondent et des artistes déjà reconnus (voire morts pour certains) dialoguent avec des plus jeunes, qui n’ont pas toujours été vus en France. Parmi la trentaine d’artistes sélectionnés, on retiendra les très belles et très poétiques pièces d’Isa Barbier, de Marinette Cueco et de Chiara Camoni (des interventions directes avec le végétal, sous forme d’installations murales ou de tapis), la très troublante et très érotique vidéo de Zengh Bo, qui voisine avec les sérigraphies d’Ali Cherri où le végétal et l’animal se confondent (tous deux sont d’ailleurs présents dans la Biennale de Venise qui se termine ce mois-ci), les dessins oniriques d’Odonchimeg Davaadorj ou la subtile installation de Minia Bibiany, qui évoque les ravages des pesticides aux Antilles (elle bénéficie aussi d’une exposition personnelle au Palais de Tokyo en ce moment).

Certains artistes étaient déjà présents dans l’exposition du Frac Aquitaine : Hicham Berrada, qui réactive son galant de nuit dont il inverse le rythme biologique (il fait en sorte qu’il soit odoriférant aux heures d’ouverture du musée, c’est-à-dire au moment où il ne devrait rien sentir) et Kapwani Kiwanga, qui se sera décidément beaucoup intéressée à la symbolique des fleurs. Enfin, il faut mettre l’accent sur une œuvre de Fatma Bucak, une jeune artiste turque, qui a illustré la question de la migration en faisant venir de Syrie des boutures de la célèbre « Rose de Damas », où, à cause de la guerre, elle n’est presque plus cultivée, et en les replantant dans la terre après qu’elles aient transité par le Liban, l’Arabie Saoudite, l’Italie, etc. L’objectif est de voir combien de ces boutures survivront et comment elles s’adapteront à leur nouvel environnement. La proposition est simple et d’une grande économie de moyens, mais elle dit bien les choses et montre comment la fleur, d’ordinaire si plaisante, peut être associée à la pire des tragédies. En somme, un manifeste de l’exposition toute entière !

Devenir fleur, jusqu’au 30 avril 2023 au Mamac de Nice, dans le cadre de la Biennale 2022 (www.biennalearts2022nice.fr)

Images : Chiara Camoni, Living Room (détail), 2019, Plantes et graines sauvages, bois patiné vert-de-gris, terre cuite et terre cuite émaillée avec sable et terre de la plage de Llandudno, fourrure recyclée, Courtesy de l’artiste & Arcade, Londres & Bruxelles, Photo de Dewi Llwyd – © Chiara Camoni. Création d’une installation spécifique pour le MAMAC – Courtesy de l’artiste & galerie SpazioA, Pistoia ; Uriel Orlow, Botanical Dreams, 2016, Tirage numérique sur papier – Courtesy de l’artiste & mor charpentier, Paris  © Uriel Orlow / ADAGP, Paris, 2022 ; Zheng Bo, Pteridophilia 1, 2016 Vidéo 4K, couleur, son, Avec le soutien de TheCube Project Space, Villa Vassilieff et Pernod Ricard Fellowship, Courtesy de l’artiste & galerie Kiang Malingue, Hong Kong © Zheng Bo

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