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La République de l'Art
Avec Marcel Alocco, l’Ecole de Nice existe encore

Avec Marcel Alocco, l’Ecole de Nice existe encore

De tous les artistes de ce que l’on a coutume d’appeler l’Ecole de Nice, Marcel Alocco est loin d’être le plus connu. Pourtant, c’est un des plus intéressants, un de ceux dont la démarche résonne le plus avec notre sensibilité contemporaine, comme le prouve le nouvel accrochage qui vient de lui être consacré dans les collections du Mamac de Nice, qui possède un fonds important de ses oeuvres. Marcel Alocco est né en 1937 dans la Baie des Anges, où il vit toujours et exerce une activité de plasticien, mais aussi d’écrivain ou d’éditeur de revues. Dans les années 60, il se passionne pour la sémiologie et cherche à voir comment une tache peut prendre une autre signification, selon la manière dont elle apparait et dont on la perçoit (cf la toile Détérioration d’un signifiant n°35, qui montre comment une tache blanche sur un fond rose peut devenir un corps en suspension ou l’inverse). A la même époque, il rencontre les membres de Fluxus à Villefranche-sur-Mer (Filliou, George Brecht, Ben) qui vont avoir une influence considérable sur sa pratique.

Mais l’autre grande influence va venir du mouvement Supports/Surfaces, qui voit le jour dans ces mêmes années. Comme les artistes de mouvement, Marcel Alocco va chercher à déconstruire le cadre traditionnel de la peinture en travaillant sur des draps de lit puis sur des tissus ordinaires non tendus sur châssis et qui portent en eux la trace du corps, leur aspect utilitaire. Mais à la différence de ces mêmes artistes, il va recomposer ces tissus en les découpant et en en faisant, de manière aléatoire, des patchworks, non sans les avoir auparavant estampillés de motifs iconiques (artistiques ou populaires). C’est ainsi que certains patchworks reprennent des images de Matisse ou des panneaux de signalisation, mais de manière morcelée, fragmentée, faisant appel à la mémoire, essayant de voir comment ces motifs restent reconnaissables dans ce type d’apparition.

Ce travail sur la couture, plutôt audacieux pour un homme dans les années 70, qui plus est dans un milieu connu pour son machisme, va se poursuivre dans les années suivantes avec entre autres les œuvres qualifiées de « Dé-tissages ». Il s’agit, par exemple, de toiles reprenant le motif de  « l’Adam et Eve » de Cranach, dont Marcel Alocco a délicatement enlevé les fils, faisant en sorte que ce motif devienne transparent, qu’il apparaisse comme le fantôme d’une forme qui nous est familière. Et ces fils, il en a fait une sorte de deuxième œuvre qui complète la première, ou il les a recousus au bord du tissu, pour créer un nouveau motif. Dans certaines toiles, c’est le « Carré noir » de Malevitch ou « La Danse » de Matisse qui subissent ce même type de « défilage », jouant avec la transparence et la révélation du mur qui les supporte. Ces pratiques, tout en subtilité et en légèreté, anticipent bien celles d’artistes des plus jeunes générations, comme les pliages qu’Isabelle Cornaro a pu réaliser, au début de sa carrière, avec des cheveux.

Marcel Alocco a aussi réalisé des œuvres avec des tissages de cheveux. Elles ne sont pas présentes dans l’accrochage du Mamac, mais on peut en voir une dans l’exposition que la galerie Eva Vautier organise parallèlement autour de « Fluxus Côte d’Azur ». Car ce mouvement qui voulait rapprocher la vie de l’art et qui est né sous l’influence de l’artiste et graphiste George Maciunas, est au croisement de plusieurs disciplines et il est international, ses représentants se manifestant aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe ou au Japon. En France, c’est Ben qui invite Maciunas à Nice en juillet 63 pour un « Festival Fluxus Art Total », dernière étape de la tournée européenne Fluxus débutée à Wiesbaden l’année précédente. Et un an plus tard, il fera venir George Brecht, qu’il avait rencontré à New York, et qui va ouvrir à Villefranche, avec Robert Filliou, la mythique galerie La Cédille qui sourit (du nom de la forme de la baie), qui ne restera que trois ans en activité.

Ce sont toutes ces années d’effervescence, qui se traduisent surtout par des actions ou des performances, que fait revivre l’exposition de la galerie Eva Vautier. Elle le fait à partir d’archives que l’on avait déjà pu voir dans l’exposition A propos de Nice, 1947-1977, en 2017 au Mamac, mais qui sont passionnantes à retrouver. Ben, bien sûr, y est omniprésent, mais de nombreux autres artistes historiques sont à l’honneur, tels que Beuys, Jean Dupuy, Nam June Paik ou Daniel Spoerri. Et d’autres artistes plus récents comme Laurent Marissal y ont aussi leur place, qui font partie des néo, post ou amis de Fluxus. La preuve que ce mouvement qui se définissait comme « une attitude envers l’art » et « pour l’importance de la non importance » non seulement n’est pas mort, mais qu’il a encore de beaux jours devant lui.

-Marcel Alocco dans les collections du Mamac de Nice (www.mamac-nice.org)

Fluxux Côte d’Azur, jusqu’au 25 mars à la galerie Eva Vautier, 2 rue Vernier 06000 Nice (www.eva-vautier.com)

Images : Marcel Alocco, La peinture en patchwork, Fragment n°26, 1975, Courtesy Marcel Alocco, Nice- Photo Gregory Copitet-Enseigne des Oudin/© ADAGP, Paris 2023 ; Détérioration d’un signifiant n°35, 1969, Courtesy Marcel Alocco, Nice- Photo Gregory Copitet-Enseigne des Oudin/© ADAGP, Paris 2023 ; vue de l’exposition  Fluxux Côte d’Azur à la galerie Eva Vautier, photo François Fernandez.

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