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La République de l'Art
Danh Vo, le trouble généralisé

Danh Vo, le trouble généralisé

Dans mon précédent post (cf http://larepubliquedelart.com/melle-largent-fait-le-bonheur/), je vous parlais d’œuvres qui avaient été spécialement pensées pour répondre à l’architecture d’un lieu. C’est aussi le cas 200 km plus au sud, au CAPC de Bordeaux, où ce très bel artiste qu’est Danh Vo a été invité à concevoir une installation toute particulière pour la nef de cet ancien entrepôt qui a servi de lieu de stockage pour des denrées coloniales. Danh Vo, rappelons-le, est originaire du Vietnam, mais sa famille a fui le pays alors qu’il était enfant et l’embarcation précaire sur laquelle il avait pris place s’est échouée près des côtes du Danemark, où il a trouvé refuge et dont il a adopté la nationalité (cf http://larepubliquedelart.com/du-personnel-a-luniversel/). La question du colonialisme est donc loin de lui rester étrangère et c’est sans doute ce premier vecteur qui a orienté son travail pour l’installation monumentale qu’il montre à Bordeaux (sur des étagères métalliques placées sur un côté de la nef se trouvent des branchages de chêne et de troène, une essence originaire d’Asie qui faisait partie des denrées importées des empires coloniaux).

Mais c’est sans doute à l’immensité du lieu qu’il a voulu répondre en faisant installer 28 blocs de marbre découpés dans les années 30, qui pèsent entre 1 et 21 tonnes chacun et qu’il a fait venir d’Italie dans des conditions de transport particulièrement complexes. En fait, il semblerait que ce soit lors d’un voyage à Rome avec l’historienne d’art Patricia Falguières, spécialiste de la Renaissance, que l’artiste ait visité les carrières de marbre de Carrare et qu’il ait été fasciné autant par le travail lié à l’extraction de ce matériau que par ce qu’il révélait de notre inscription dans l’histoire géologique du monde. Il a donc choisi de l’utiliser, mais pas pour le sculpter, pour en exploiter la monumentalité et la notion de pouvoir qui lui est accolée. Et sur ces blocs imposants, entre lesquels le spectateur déambule, il a placé des photographies de détails d’œuvres réalisées  dans du marbre, mais pas n’importe lesquelles, puisqu’il s’agit de mains de sculptures célèbres de Michel-Ange : les mains droite et gauche du David, main gauche du Christ, main droite de Moïse, etc. (mise en abyme évidemment aussi bien du travail du sculpteur que de celui de l’ouvrier à qui l’on doit la possibilité d’utiliser le matériau et manière de montrer la délicatesse et la finesse que l’on peut en tirer).

Danh Vo 1Car, si chez Danh Vo, l’histoire personnelle se mêle intiment à l’histoire universelle, le micro répond au macro, le détail à l’ensemble, le féminin au masculin. Il n’est pas anodin que les détails de sculptures qu’il ait choisis soient de Michel-Ange, grand artiste devant l’Eternel, concepteur d’œuvres aussi monumentales que la plafond de la Chapelle Sixtine ou le Tombeau des Médicis à Florence, mais, par ailleurs, homosexuel, c’est-à-dire ne répondant pas, a priori, à l’image de l’homme viril qui devrait lui être associée. Et pour enfoncer le clou, l’artiste a voulu répondre à cette installation gigantesque en lui adjoignant une installation au contraire toute petite, Take My Breath Away, que l’on avait déjà vue à la galerie Chantal Crousel, dans laquelle on entre par un seul côté et qui est constituée de miroirs sur lesquels des phrases, certaines pornographiques, d’une chanson du groupe Xiu Xiu ont été gravés par Phung Vo, le père de l’artiste, et des photos prises par Jo Carrier, un spécialiste antiguérilla américain qui fut en mission au Vietnam entre 1962 et 1967, ont été accrochées. Ces photos montrent des hommes qui se tiennent par la main ou dans des attitudes lascives. Elles ont valu à son auteur de se faire radier pour suspicion d’homosexualité, lors de son retour aux USA.

Un peu plus loin, se trouve la désormais célèbre lettre en français du missionnaire Théodore Vénard avant qu’il ne soit décapitée, lettre écrite à la main par le père de l’artiste qui ne connait pas la langue et la reproduit mécaniquement, lettre aussi qui est devenue la carte de visite de Danh Vo qui la fait figurer dans toute ses expositions. Et plus loin encore une caisse en bois renfermant un fragment d’un torse d’Apollon de facture romaine, dont le marbre, après analyse, s’est révélé venir de Grèce et non d’Italie (Lick me, Lick me). Ou les morceaux d’un autel portugais du XVIIe siècle en bois polychrome et doré démontés et rangés les uns à côté des autres (Untitled, Lord’s Table from private chapel). Tout cela participe d’une œuvre faite de fragments, qui se sédimentent au cours de la visite et finissent par donner une réflexion profonde et poétique sur les notions de cultures, de brassages, de métissages et de différences. Une remise en question radicale des idées préconçues.

-Danh Vo, jusqu’au 28 octobre au CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux, 7 rue Ferrère 33000 Bordeaux (www.capc-bordeaux.fr)

Images : Vues de l’exposition Danh Vo au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux Crédit photo : Nick Ash

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

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commentaires

4 Réponses pour Danh Vo, le trouble généralisé

Udnie dit :

Il est vrai que le béton me Gênes! 😉

MCourt dit :

Quand la marée du discours explicatif se retirera, il se trouvera bien quelqu’un de plus talentueux pour recycler ses malheureux marbres?
Tout ça fait un peu brocante artistique, avec un mélange de chic et de toc. Sans parler du coté Michel Ange mis à la portée du Marais.
On a beau être habitué ici à la pacotille, voire à la verroterie branchée, on peut légitimement se demander en quoi cet artiste parait « très beau ». On aurait préféré qu’il fut très bon. Hélas, c’est beaucoup demander en ces lieux.
MC

Patrick Scemama dit :

Le beau n’est pas l’ennemi du bon, loin s’en faut. C’était même ce qui caractérisait, dans les temps passés, le gentilhomme.

William Legrand dit :

c’est bien connu que MC prend ses goûts et détestations pour des vérités universelles

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