Du côté des galeries
IC’est la rentrée et les galeries réouvrent en espérant que cette saison sera meilleure que celle qui vient de s’écouler, marquée par les attentats et l’attentisme économique qui en a découlé. Il y avait foule, ces quinze derniers jours, dans le Marais, à Belleville ou dans les quartiers où se concentrent désormais les galeries d’art contemporain. Quelques impressions glanées çà et là, au fil des déambulations :
-Chez Bugada et Cargnel, justement, Adrien Missika se veut optimiste. Il intitule son exposition : Demain Amélioration, comme dans les bulletins météo et présente un certain nombre de pièces qui associent éléments naturels et technologies sophistiquées pour créer une manière originale d’envisager l’espace-temps. On y voit, par exemple, des sculptures, Where to go, qui renvoient aussi bien aux cartes nautiques polynésiennes qu’à la mission du télescope spatial Kepler, qui a été créé en 2009 par la NASA pour découvrir et étudier les exoplanètes potentiellement habitables hors du système solaire. Ou une installation de boussoles artisanales, Navitech, composées de bambou, d’eau, de feuilles et d’aiguilles magnétisées. L’artiste est voyageur et il imagine de nouveaux modes d’exploration du territoire, pour que l’homme se le réapproprie avec poésie. C’est souvent drôle, simple, imaginatif et très séduisant formellement.
-L’humour n’est pas absent non plus de l’exposition d’Apostolos Georgiou chez gb agency, ce peintre grec de plus de soixante ans, dont on commence seulement à découvrir le travail en France. Mais un humour noir, grinçant, où l’individu est confronté à l’absurdité de la vie et à une condition tragique dont il ne peut s’extirper. Dans de grandes toiles peintes à l’acrylique, au trait net et rugueux, sur des fonds monochromes, comme dans les icônes, l’artiste met en scène tout un petit monde d’hommes (essentiellement) plongés dans des situations quotidiennes dont nous ne comprenons pas tout à fait la signification, mais qui retiennent l’attention par leur étrangeté et le malaise qu’elles suscitent. Ce n’est pas fondamentalement moderne sur un plan purement pictural, il y a une sorte de fausse simplification des lignes qui renvoie à l’archaïsme antique, les attitudes sont stylisées à l’extrême, mais l’univers du peintre est suffisamment troublant pour qu’on s’y attarde longuement. Et les dessins, qui sont comme un lieu d’expérimentation de ce travail singulier, méritent qu’on y prête autant d’attention.
-Comme ne sont pas d’une modernité renversante les toiles (essentiellement des paysages) de Jérôme Borel chez Mathias Coullaud, elles-aussi peintes à l’acrylique. Mais l’artiste fait preuve d’une sensibilité et d’un classicisme (au sens noble du terme) qui ne tiennent compte ni des époques ni des tendances. Jérôme Borel, peintre français ? est le titre de cette exposition, sans doute parce qu’elle fait explicitement référence à des artistes de notre histoire de l’art nationale (Sérusier, Puvis de Chavanne, etc.). Mais sans doute aussi parce qu’elle s’inscrit dans cette longue tradition française de peinture équilibrée, cultivée, harmonieuse, parfois un peu sage.
-Pour trouver de la peinture plus « charnue », il faudra se rendre chez Jean Brolly où Mathieu Cherkit, dans une exposition intitulée La Balustrade – parce qu’y sont effectivement montrées trois toiles d’un balcon qu’une branche de végétaux est en train d’envahir -continue d’explorer les différentes facettes de la maison qu’il occupe, sur les hauteurs de Saint-Cloud, avec le reste de sa famille. On pense à chaque fois que l’artiste est arrivé au bout de son système et que la maison a livré tous ses secrets, mais non, il trouve d’autres angles et de nouvelles perspectives –imaginaires ou vraies- le font rebondir. Ce qui, chez certains, pourraient relever de la pure schizophrénie ou susciter de l’angoisse (on pense, par exemple, à l’artiste allemand Gregor Schneider) se révèle chez lui un pur bonheur de peinture (encore que peut-être une certaine nostalgie automnale pointe son nez dans cette exposition-ci). Avec sa texture épaisse, pâteuse, ses débords, ses perspectives tronquées, ses compositions savantes, ses couleurs vives et surtout sa fausse naïveté, Mathieu Cherkit s’amuse, nous perd et continue sa trajectoire hédoniste et solitaire. Son plaisir est communicatif.
-Ou chez Michel Rein où Armand Jalut expose une nouvelle série de toiles réalisées après une visite de la Villa Palagonia, cette célèbre villa baroque sicilienne qui doit en partie sa notoriété aux statues de monstres à figure humaine qui ornent son jardin et que de nombreux écrivains, dont Goethe, ont décrite. L’artiste en a isolé certains éléments de décor (dont les statues) pour les combiner à d’autres qui viennent de l’univers du luxe (des bijoux, des flacons de parfum, des verres de whisky), mais en les déformant, en leur faisant subir une sorte de « crash » qui les explose et les recompose. Cette superposition incongrue, ce rapprochement entre deux esthétiques qui n’ont apparemment rien à voir l’une avec l’autre est à nouveau pour lui prétexte à peindre de grandes toiles colorées, qui jouent brillamment sur le motif et la répétition en laissant parfois apparaître la réserve, donc en révélant l’artifice.
Mais à l’étage, dans la même galerie, on peut aussi voir la très belle exposition de Mark Raidpere, cet artiste estonien dont le travail sur l’intime, en grande partie autobiographique, mais qui tend à l’universel, est trop peu montré. Et elle contraste beaucoup avec l’exubérance de celle d’Armand Jalut, car le thème en est la mort de son père et le sentiment de deuil qui l’accompagne. Raidpere, qui a souvent fait part de sa difficulté à vivre son homosexualité en Estonie, n’a semble-t-il pas toujours entretenu des rapports faciles avec celui-ci. Mais c’est en partie lui qui l’a incité à devenir artiste et sa mort semble le toucher de plein fouet. Il photographie ainsi son appartement après son décès, alors que rien n’a encore été touché, et montre les images dans un slide-show qu’il accompagne d’une musique très mélancolique. Ou les tickets de trains qu’il a utilisés pour se rendre dans la maison de campagne de ses parents, le jour où son père est décédé et où il l’a trouvé, allongé sur le sol, alors qu’il vivait encore. C’est beau, émouvant et ça a la simplicité des choses essentielles.
Simple, en apparence, l’installation d’Anthony Call chez Martine Aboucaya, cet artiste connu pour ses projections de lumière, l’est. Il s’agit de deux formes projetées parallèlement dans l’espace qui se répondent l’une l’autre. La première décrit un cône elliptique qui s’efface peu à peu. La seconde part de rien et aboutit à un cône elliptique complet. C’est-à-dire que l’une apparaît tandis que l’autre disparaît. Comme ce double mouvement qui joue sur le vide et le plein, le yin et le yang ou toute autre symbolisme qu’on voudra bien lui attribuer, est accompagné d’une musique à peine audible du musicien David Grubbs, un effet hypnotique est assuré.
-Enfin, simple, le travail de Liz Magor, cette artiste qui est une des figures majeures de la scène canadienne, l’est assurément. Il consiste à récolter des objets usagés ou démodés dans la rue ou dans des magasins de seconde main et, en quelque sorte, à les réinvestir, à leur redonner vie. Mais pas en les présentant tels quels ou en les assemblant pour en faire autre chose : en les associant à des éléments réalisés dans l’atelier et qui sont des moulages hyper réalistes d’autres objets du quotidien, des reproductions à l’identique. Ainsi, on ne sait plus, dans son travail, ce qui est de la réalité ou de l’artifice et c’est cette ambiguïté, ce jeu sur le vrai et le faux, sur ce qui vient de la rue et ce qui est fabriqué à l’atelier, qui en fait le prix. Fausses boîtes en carton sur lesquelles reposent des objets divers, couvertures pliées, reprisées et portant encore la housse de leur dernier passage au pressing, sacs en papier jaunis d’où émergent, en partie dissimulés, des témoignages d’une époque révolue, l’artiste donne à voir des objets qui sont tous chargés d’un poids émotionnel, mais sans nous dire lequel, en laissant au spectateur le soin de projeter celui qu’il aura choisi. Un élément, toutefois, apparaît de manière récurrente : la main, le gant ou le moulage de celui-ci. Une main tendue vers l’autre, qui donne, protège, caresse, console. Une main qui incite au partage, à l’écoute, au dialogue. Une main généreuse. Comme l’art de Liz Magor qui peut se voir au Crédac, où une grande et belle exposition monographique lui est consacrée, ainsi qu’à la galerie Marcelle Alix.
-Adrien Missika, Demain Amélioration, jusqu’au 12 octobre à la galerie Bugada & Cargnel, 7-9 rue de l’Equerre 75019 Paris (www.bugadacargnel.com)
-Apostolos Georgiou, jusqu’au 8 octobre chez gb agency, 18 rue des 4 Fils 75003 Paris (www.gbagency.fr)
–Jérôme Borel, peintre français ?, jusqu’au 29 octobre à la galerie Mathias Coullaud, 12 rue de Picardie 75003 Paris (www.mathias-coullaud.com)
-Mathieu Cherkit, La Balustrade, juqu’au 15 octobre à la galerie Jean Brolly, 16 rue de Montmorency 75003 Paris (www.jeanbrolly.fr)
Armand Jalut, Palagonia POV, et Mark Raidpere, A WAY, jusqu’au 13 octobre à la galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne 75003 Paris (www.michelrein.com)
-Anthony McCall, Leaving (With Two-Minutes Silence), jusqu’au 22 octobre à la galerie Martine Aboucaya, 5 rue Anastase 75003 Paris (www.martineaboucaya.com)
-Liz Magor, The Blue One Comes in Black, jusqu’au 18 décembre au Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry, 25-29 rue Raspail 94200 Ivry-sur-Seine (www.credac.fr) et Humidor, jusqu’au 29 octobre à la galerie Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020 Paris (www.marcellealix.com)
Images : Mathieu Cherkit, Du monde au balcon – 2016 huile sur toile – 146 x 114 cm ; Apostolos Georgiou, Untitled, 2016 , Acrylic on canvas, 230 x 280 cm Unique piece Courtesy the artist and gb agency, Paris ; vue de l’exposition A WAY de Mark Raidpere à la galerie Michel Rein, Ph. William Gaye. Courtesy de l’artiste & Michel Rein, Paris/Brussels ; vue de l’exposition The Blue One Comes in Black de Liz Magor au Crédac.
5 Réponses pour Du côté des galeries
Deux peintres qui se donnent encore la peine, semble-t-il, de savoir dessiner. c’est toujours cela de pris par rapport aux éternels « objets réinvestis »de l’oseise postérité de l’urinoir à Duchamp. Ho,nneur au courageux, et tant pis pour la brocante et le décrochez-moi-ça..
MC
le commentaire ? c’est JC ou MC ? c’est du pareil au même
MC en est encore aux principes d’avant-guerre : un peintre doit d’abord savoir dessiner… quelle ineptie !
Disons, Lacenaire, que je n’en suis pas à diviniser le ticket de caisse exposé ici, et que je comprends certaine femme de ménage italienne qui ne fait pas la différence, si elle est invisible, entre un tas d’ordures et une installation ratée.
MC
PS
Ou est le mal qu’un peintre sache son métier? On demande bien au musicien de savoir l’harmonie, non?
le métier d’un peintre : peindre
l’harmonie :pas obligatoire, écouter les musiques d’Afrique ou orientales
plus borné que MC : impossible
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