de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Galerie Mathias Coullaud

Galerie Mathias Coullaud

Mathias Coullaud n’est pas tout à fait un galeriste comme les autres. D’abord parce qu’il n’a pas exactement le look que l’on s’attend à trouver dans l’art contemporain, à savoir jean et baskets avec veste sur chemise ouverte et barbe de trois jours. Non, chez lui, le costume tombe impeccablement sur des derbys anglaises, la cravate est réhaussée par une délicate épingle et la barbe ne laisse aucune place à l’envahissement sauvage. Et puis parce que, contrairement à nombre de ses confrères, il n’est pas sorti d’écoles d’art et n’a pas suivi le cursus habituel qui mène à la galerie : littéraire, il a fait des études poussées qui l’ont amené à se spécialiser en poésie contemporaine et en histoire médiévale (plus spécifiquement la Renaissance italienne), sans avoir particulièrement l’intention d’enseigner. Car c’est dans le milieu du spectacle vivant qu’il a commencé sa carrière, en 1998, juste à la fin de ses études, lorsque Jacques Nichet, qui est alors directeur du Théâtre national de Toulouse, l’engage comme assistant. Avec lui, il apprend les règles du plateau, accueille de nombreux artistes comme Bob Wilson ou Peter Brook et participe à des tournées internationales. Et l’on songe même à lui confier directement des mises en scène. « Mais je ne me sentais pas assez artiste, précise-t-il, je me sentais incapable de projeter un univers sur le plateau. Le travail à la table me convenait bien, mais je me voyais mal passer au stade supérieur. »

A l’intérieur du théâtre, il préfère donc se concentrer sur des activités plus littéraires comme les éditions ou la communication. Ou même l’administration, lorsqu’on lui propose de travailler avec Andy de Groat, qui a signé les parties dansées du célèbre Einstein on the Beach de Bob Wilson et Phil Glass et dont la compagnie est alors la troisième de France. Avec le chorégraphe américain, il crée un Fonds d’archives qu’il dépose au Centre national de la Danse, mais pour des raisons qui tiennent entre autres à l’état de santé de ce dernier, il est contraint de fermer la compagnie. Il se retrouve alors à Châlons en Champagne, à la Comète, scène nationale, où il exerce les fonctions de secrétaire général auprès de Philippe Bachman.  Mais il réalise qu’il n’est non plus gestionnaire, qu’organiser des réunions n’est pas ce qu’il préfère dans la vie et l’expérience tourne court. Elle lui aura toutefois permis de mettre un pied dans les questions relatives au mécénat et c’est la raison pour laquelle le Crédit Agricole lui confie un audit sur son mécénat culturel. Pendant tout le temps que dure cette mission qui le passionne, mais lui laisse aussi pas mal de loisir, il commence à se poser la question que bien d’autres, pourtant, avaient présumée avant lui : celle de la galerie.

Mathias CoullaudCar s’il n’a pas fait d’études à proprement-parler artistiques, le jeune homme a toujours baigné dans l’art. Il est issu d’une famille de collectionneurs et son père, qui rêvait pour lui d’une carrière de commissaire-priseur, accumulait les toiles des postimpressionnistes et des fauvistes. Une galerie ? Mais où ? Et comment ? C’est alors qu’il rencontre les dirigeants de la galerie Olivier Waltman de la rue Mazarine, à Paris, avec lesquels il travaille pendant cinq ans, fait de nombreuses foires et apprend de A à Z le métier de galeriste (« Pendant toutes ces années, précise-t-il, j’ai fait du réseau, ce qui est indispensable lorsqu’on a l’intention de se lancer dans ce métier ».) C’est alors aussi qu’il rencontre Audrey Koulinsky, avec qui il partage une même vision de l’art et avec qui il envisage de s’associer. Au bout de quelques temps, ils décident de sauter le pas et ouvrent au 12 rue de Picardie, là où il se trouve encore aujourd’hui, une galerie qui porte leurs deux noms. Ensemble, ils organisent quelques expositions remarquées comme celle consacrée à l’influence de Jean Cocteau sur les artistes contemporains dont le commissariat a été confié à Dominique Païni, qui avait eu la responsabilité de la rétrospective du poète dessinateur au Centre Pompidou, ou celle intitulée Dr Albert Delucq, Journal d’une collection de 1874 à 2014, qui s’inspirait directement de son histoire personnelle.

Mais au bout de trois ans d’association, Audrey Koulinsky a eu envie d’aller voir ailleurs et aujourd’hui, Mathias Coullaud se retrouve seul à poursuivre l’aventure. Il a donc restructuré l’équipe en faisant appel à Christophe Langlitz, qui était auparavant directeur de la galerie Mitterand, et cherche à donner un nouvel essor à une galerie qui porte désormais son seul nom. Pour ce faire, il a gardé quelques artistes de son ancienne écurie, comme le peintre Jérôme Borel ou le performeur Steven Cohen, et en a fait entrer de nouveaux comme Gregory Forstner dont on avait pu voir, autrefois, le travail figuratif et expressif chez Jocelyn Wolff, et qu’il exposera en mars prochain. Le mot d’ordre étant toujours de s’inscrire dans un projet politique, une démarche qui ne relève pas simplement d’une esthétique ou un jeu formel, mais qui porte du sens, un regard ironique, satirique, souvent décalé sur le monde. « J’ai besoin d’avoir à faire avec des artistes cultivés, avoue celui qui a Proust, Julien Gracq et Claude Simon pour idoles, des personnes qui ont une vision historique de leur démarche et qui m’apportent chacune quelque chose qui me touche et résonne en moi, sans craindre le politiquement correct : les secrets de famille de Valérie Sonnier, le rapport à la Mitteleuropa de Forstner, l’obsession de la peinture française de Jérôme Borel, etc. »

Pour l’heure, il a organisé une exposition du grand photographe malien Malick Sidibé, un artiste qu’il ne représentera pas mais qu’il a voulu montrer en hommage à son ami André Magnin , spécialiste de l’art africain et de Sidibé en particulier. Et en janvier, il montrera une exposition intitulée Sexisme, consacrée à des artistes femmes, mais qui s’adressera aussi aux hommes, brossera en creux le portrait de l’homme contemporain. Aux côtés d’œuvres de Cindy Sherman et de Kiki Smith, on pourra voir, entre autres, des pièces de Zoulikha Bouabdellah, une des nouvelles recrues de  la galerie qui fait partie de l’exposition collective montrée en ce moment au Frac-Lorraine : Body Talk, Féminisme, Sexualité et Corps. Et pour 2017, il annonce une exposition de James Bidgood, ce photographe et cinéaste gay, auteur du cultissime Pink Narcissus, et qui a beaucoup influencé Pierre et Gilles, mais en plus trash. Des projets qui semblent donner la parole à tous les exclus de la société, à ceux qu’elle a longtemps et volontairement laissés à la marge, mais qui ne relèvent pas pour autant d’une volonté d’être dans une provocation permanente.

BouabdallahUne des particularités de la galerie est aussi un fonctionnement particulier, un inhabituel écosystème.  A côtés de ses activités de galeriste, Mathias Coullaud est aussi conseiller pour Vertu, une marque de téléphonie de luxe et il cherche à fidéliser sa clientèle par l’art. En ce moment, par exemple, il montre ses protégés dans la boutique de la marque située rue Royale et il est même envisagé que des artistes « customisent » directement des téléphones. Toutes ces interventions, c’est la galerie qui les facture et l’argent gagné ailleurs est aussitôt réinjecté dans la structure-mère qui peut ainsi fonctionner sans dommages (Mathias Coullaud conseille aussi des collectionneurs privés dans des secteurs qui vont au-delà de l’art contemporain). Et elle peut même se permettre le luxe d’assurer des revenus mensuels à certains de ses artistes, pour leur permettre de se consacrer entièrement à leur art, comme le faisaient les marchands autrefois : « Il peut sembler paradoxal de chercher des financements de manière contemporaine pour établir des contrats à l’ancienne, s’amuse Mathias Coullaud, mais le résultat saute aux yeux. La qualité du travail des artistes est bien supérieure que lorsqu’ils étaient obligés d’avoir une activité annexe pour vivre et, en allant voir régulièrement leur production, je veille au grain pour qu’ils ne s’endorment pas sur leurs lauriers ! »

Un anachronisme qui n’étonne pas de la part ce dandy esthète qui connaît aussi bien l’art de son temps que les secrets du mobilier ancien. Et qui éprouve une fascination pour les années 70, cette « parenthèse enchantée d’avant le Sida où la créativité semblait inépuisable ». D’ailleurs, en plus de toutes ces activités déjà mentionnées, ne prépare-t-il pas pour 2018 une importante exposition sur le Palace de Fabrice Emaer, cet ancien théâtre du Faubourg Montmartre transformé en gigantesque discothèque, que devrait accueillir une grande institution parisienne ? Une exposition que ceux qui, comme moi, ont passé plus d’une nuit dans ce temple des plaisirs de la capitale ne manqueront pas d’attendre avec impatience…

-Galerie Mathias Coullaud, 12 rue de Picardie 75003 Paris (www.mathias-coullaud.com). L’exposition Sexisme se tiendra du 8 janvier au 27 février 2016.

Images : vue de la galerie Mathias Coullaud ; photo de Mathias Coullaud par Lisa Roze, Zoulikha Bouabdellah, Afrita Hanem 1 (2010-2015), sérigraphie (70 x 85 cm) Ed 1-4 + 1 AP

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