de Patrick Scemama

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La République de l'Art
La rentrée des galeries parisiennes

La rentrée des galeries parisiennes

La rentrée du monde de l’art a eu lieu et il y avait foule, le week-end dernier, dans les galeries du Marais, qui étaient les premières à vernir. Une première constatation s’impose : le retour en force de la peinture, soit parce qu’elle correspond à un phénomène naturel de l’évolution de l’art (après des années de disgrâce en France, mais en France seulement, la peinture retrouverait la place qui lui est due), soit parce qu’en ces temps de crise, les galeries préfèrent montrer des œuvres plus facilement vendables. Quoiqu’il en soit, on ne peut que s’en réjouir et de Farah Atassi à la galerie Xippas (une série de grandes toiles où le modernisme est confronté à ses esthétiques rivales : l’expressionisme allemand et l’ornement folklorique) à Philippe Decrauzat à la galerie Praz-Delavallade (trois toiles d’art optique dont le format s’accorde aux différents volumes de la galerie et qui font face à une impressionnante sculpture murale) en passant par Rosson Crow chez Nathalie Obadia (une série de peintures très colorées qui évoque l’histoire complexe du Sud des Etats-Unis), Tatjana Doll chez Jean Brolly (des grandes œuvres de l’histoire de l’art revisitées sans ménagement) et Vera Molnar chez Torri (des œuvres récentes de cette figure historique de la géométrie confrontées à des dessins anciens), l’art rétinien était à la fête sur les cimaises1. Et dans ce tourbillon de châssis et de pigments, deux propositions m’ont particulièrement séduit , qui abordent la peinture mais par la bande : la première, à la galerie de Multiples, est celle Paul Czerlitzki, un jeune artiste polonais qui, à l’instar d’un Jonathan Binet (cf l’intervention qu’il propose pour l’exposition du Prix Ricard, http://larepubliquedelart.com/quand-les-formes-deviennent-attitude/), interroge le code même de la peinture, l’acte de peindre, dans des gestes simples qui consistent à faire des peintures murales  par le biais d’une trace laissée à travers la toile ou en peignant des monochromes de couleur blanche ou crème qui rappellent l’effacement ou l’écoulement du temps que l’on trouvait, par exemple, chez un de ses compatriotes, Roman Opalka. La seconde est celle de Stefan Nikolaev, à la Galerie Michel Rein, qui présente par ailleurs des peintures de l’artiste conceptuel Yuri Leiderman : il ne s’agit pas là de peintures à proprement-parler, mais de sculptures qui ont trait à la peinture. Ainsi, ce qu’on voit, au sol, sont des châssis de toiles, mais qui ont été coulés dans le bronze, et, au mur, un clou qui aurait dû servir à accrocher un tableau, mais qui lui aussi est en bronze. Avec beaucoup d’humour et de brio, l’artiste joue sur les deux registres : ce clou et ces châssis qui se combinent de différentes manières ont la forme et la rigueur de sculptures minimales, mais les veinures du bois, que reproduit fidèlement le bronze, en contredisent l’apparente froideur et les placent dans un autre registre, que le minimalisme exècre.  « If things are not as you wish, wish them as they are », dit aussi un néon qui donne son titre à l’exposition. Sage conseil, que les pièces proposées nous incident malicieusement à suivre.PC Sans titre toile

S’il est un bronze, toutefois, qui reproduit fidèlement le bois, c’est bien celui utilisé par Georg Baselitz pour les énormes et impressionnantes sculptures de son exposition intitulée Le Côté sombre, qu’il présente dans l’espace muséal que Thaddeus Ropac a ouvert l’an passé à Pantin et qui est sans conteste un des évènements de cette rentrée. Car non seulement il reproduit le bois (Baselitz travaille avec une des plus anciennes fonderies de Berlin), mais aussi et surtout les multiples violences que l’artiste lui fait subir. Celui-ci, on a pu s’en rendre compte lors de la magnifique exposition que lui a consacrée le Musée d’art moderne de la ville de Paris il y a deux ans, se livre à un véritable corps à corps avec la matière. Il tranche, découpe à la tronçonneuse, évide avec une force brute qui ne cherche jamais à adoucir un angle ou à panser une plaie. C’est une lutte sans merci avec un gigantisme qui ne l’effraie pas et dont sortent des pièces massives, mais qui ne sont dépourvues ni de douceur ni de grâce. Ainsi en est-il de BDM Gruppe, un groupe monumental composé de trois figures hautes de 3m, qui fait revivre un souvenir d’enfance de l’artiste : celui de trois filles se promenant dans sa ville natale. Ainsi en est-il aussi des sculptures au caractère de fétiches qui ont des anneaux comme en lévitation autour de leur taille.

Mais plus étonnantes encore que les sculptures, parce que plus inédites, sont les peintures qui forment l’autre volet de cette exposition. Après la guerre, on le sait, Baselitz a décidé, pour ne plus avoir à se poser la question de la représentation, de retourner ses sujets et de les peindre la tête en bas. De cette manière de peindre, qui n’était pas une pose, mais une pétition de principe, il a fait sa marque et son signe de reconnaissance. Depuis quelque temps, pourtant, l’artiste semble remettre en question ce postulat et reprendre les choses à zéro. Comme Matisse avec les « papiers découpés » ou Picasso avec la série « l’artiste et son modèle » (ou dans un autre genre, David Hockney, avec ses dessins pour Ipad ou Iphone), il retrouve avec l’âge (il a eu 75 ans) une nouvelle énergie, une nouvelle force créatrice. Mais contrairement à ses illustres confrères, chez qui la dernière phase d’inspiration était synonyme de lumière, de jouissance et de liberté, chez Baselitz, elle s’accompagne d’un retour aux heures sombres, de celles peut-être qui ont marqué l’Allemagne et son enfance. Aussi les grandes Toiles noires de l’exposition sont-elles toutes composées dans des variations de noir, de bleu foncé et de brun qu’éclaboussent parfois des taches de rouge ou de gris. La trace du pinceau y est marquée, virile, ample, formant de véritables entrelacs chorégraphiques. Et de ce magma grouillant, de ces empâtements de peintures naissent parfois des figures d’hommes ou d’oiseaux que l’on a peine à identifier. Pourtant, lorsque le soleil traverse la verrière de la galerie et se pose sur les toiles, elles révèlent une finesse, une délicatesse et une transparence de vitrail. « Je considère le sommeil éveillé comme important, déclare Baselitz. Je rêve de peindre jusqu’à l’invisibilité. »

1 Marc Desgrandchamps expose aussi à la galerie Zürcher, mais je n’ai pas encore vu l’exposition.

-Farah Atassi, jusqu’au 26 octobre à la galerie Xippas, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris (www.xippas.com)

-Philippe Decrauzat, Folding, jusqu’au 5 octobre à la galerie Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes, 75003 Paris (praz-delavallade.com)

-Rosson Crow, Reconstruction, jusqu’au 2 novembre à la galerie Nathalie Obadia, 3 rue du Cloître Saint-Merri, 75004 paris (www.galerie-obadia.com)

-Tatjana Doll, Raster Image Processing Balthus, Beckmann, Delacroix, Kirchner and Douanier Rousseau, jusqu’au 12 octobre à la galerie Jean Brolly, 18 rue de Montmorency 75003 Paris (www.jeanbrolly.com)

-Vera Molnar, True Story, jusqu’au 19 octobre à la galerie Torri, 7 rue Saint-Claude, 75003 paris (www.galerietorri.com)

-Paul Czerlitzki, jusqu’au 26 octobre à la galerie de Multiples, 17 rue Saint-Gilles, 75003 paris (www.galeriedemultiples.com)

-Stefan Nikolaev, If Things Are Not As You Wish, Wish Them As They Are, jusqu’au 12 octobre à la galerie Michel Rein, 43 rue de Turenne, 75003 Paris (www.michelrein.com)

-Georg Baselitz, Le Côté sombre, jusqu’au 31 octobre à la galerie Thaddeus Ropac, 69 avenue du Général Leclerc, 93500 Pantin (www.ropac.net)

Images : vue de l’exposition Georg Baselitz, Le Côté sombre, Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Paris/Salzburg, photo : Charles Duprat ; Paul Czerlitski, Ohne titel, Courtesy Galerie de Multiples Paris

 

 

 

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commentaires

3 Réponses pour La rentrée des galeries parisiennes

Passou dit :

Qu’on en soit à célébrer le retour de la peinture dans les galeries d’art, reconnaissez que cela ne manque pas de piquant… Merci pour ce panorama. J’espère que vous reviendrez sur le cas Baselitz qui est troublant.

Cher Passou, oui, cela ne manque pas de piquant, mais cela correspond pourtant à une réalité. Pendant très longtemps, la peinture a été dédaignée en France, alors que l’Allemagne, l’Angleterre ou les Etats-Unis continuaient à la célébrer. On commence juste à lui redonner sa juste place. Héritage duchampien oblige?

Marc dit :

Et Eduardo Terrazas chez Almine Rech! Révélation!!!

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