de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Le meilleur de 2014

Le meilleur de 2014

Chaque fin d’année, avant de passer à la suivante, et alors que les confiseurs font la trêve, on se livre à ce petit jeu qui consiste à se remémorer les évènements marquants des douze mois qui viennent de s’écouler. C’est un exercice un peu vain, un peu artificiel, un peu obligé, mais qui met de l’ordre dans tout ce que l’on a pu ressentir récemment et qui agit comme un rituel pour pouvoir aborder plus librement l’année à venir. Et il n’est pas complètement inutile, au bout de quelques mois, de voir comment les choses se sont décantées, ce qui reste et qui n’est toujours ce que l’on croit. Alors à la fois pour respecter la tradition, faire le tri dans nos idées et dire adieu à 2014, nous allons essayer de nous souvenir de ce qui fut le meilleur cette année passée.

Une des expositions qui m’aura laissé le souvenir le plus fort est sans doute celle que Hiroshi Sugimoto a présentée au Palais de Tokyo sous le titre : Aujourd’hui le monde est mort (http://larepubliquedelart.com/futurs-dhier-et-daujourdhui/). Sugimoto, on le connaissait pour ses sublimes photos en noir et blanc et à la chambre de paysages maritimes ou de cinémas dans lesquelles il laisse le temps s’écouler. Mais on ignorait qu’il était aussi collectionneur, architecte, commissaire d’expositions et détenteur d’une culture universelle. Ce sont tous ces savoirs qu’il a déployés dans cette fascinante exposition qui rassemblait aussi bien des météorites que des pièces d’archéologie, des objets scientifiques rares que ses propres photographies. Et il les a articulés autour de trente-trois récits futuristes qui commençaient tous par cette phrase faisant référence à L’Etranger de Camus (« Aujourd’hui, maman est morte ») et qui sont autant de vision du monde après la mort de l’humanité. Raffinement, culture et intelligence étaient les maîtres-mots de cette grande installation où rien n’était laissé au hasard et où tout semblait faire sens. Un seul regret : ne pas l’avoir vue de nuit, car alors c’était à la lueur d’une lampe électrique qu’on pouvait la découvrir !

pompidou_metz_formes_simples_10062014_026L’intelligence et le raffinement étaient aussi au programme de la très belle exposition organisée sous la houlette de Jean de Loisy (par ailleurs président du Palais de Tokyo) au Centre-Pompidou-Metz : Formes simples (http://larepubliquedelart.com/formes-multiples-au-centre-pompidou-metz/). Le principe en était le suivant : réunir des formes essentielles, sur lesquelles la main de l’homme semblait avoir eu peu d’impact et qui, derrière leur apparente simplicité, se révélaient infiniment complexes. Là aussi, on trouvait des objets d’archéologie (un bol japonais, une idole syrienne, une sculpture cycladique, etc) confrontés à des pièces techniques (une hélice d’avion, des instruments de mesure ou servant aux mathématiques) et à des œuvres aux lignes délibérément pures et dépouillées (sculptures, entre autres, d’Anish Kapoor ou de Brancusi, dessins d’Ellsworth Kelly, photos de Man Ray). Le tout pour dire que le mystère du monde et de l’univers peut se lire à travers quelques pierres trouvées ou du verre soufflé et qu’il y a autant d’art dans certains objets artisanaux que dans les réalisations les plus sophistiquées de l’esprit humain. Fascinant. A noter que, dans un esprit un peu similaire, le Palais de Tokyo organise pour le mois de février une exposition collective intitulée Le Bord des mondes, qui montrera des créateurs que l’histoire de l’art traditionnelle n’a pas retenus comme artistes, mais qui n’en produisent pas moins des œuvres que l’on peut qualifier « d’artistique ».

Parmi les belles expositions, on peut aussi citer « l’Etrange Cité » qu’Ilyia et Emilia Kabakov ont réalisé pour la « Monumenta » du Grand Palais (http://larepubliquedelart.com/les-utopies-geniales-et-folles-dilya-et-emilia-kabakov/), mais qui n’a pas obtenu tout le succès escompté. Ou celle du Centre Pompidou qui montrait que, même s’il avait renoncé à la peinture, Marcel Duchamp l’avait gardée au cœur de ses préoccupations (http://larepubliquedelart.com/marcel-duchamp-meme-en-peinture/). Ou celle, généreuse et originale, du Frac-Lorraine qui prouvait que, malgré les dérèglements climatiques et la pollution engendrée par l’homme, il est encore temps de réagir et de se prendre en main (http://larepubliquedelart.com/soleil-genereux-sur-le-frac-lorraine/). Et 2014 fut aussi l’occasion de belles découvertes, en galeries ou en centres d’art : Enrique Ramirez, par exemple, qui fut aussi talentueux dans son exposition à la galerie Michel Rein que dans la magnifique vidéo montrée au Palais de Tokyo (http://larepubliquedelart.com/enrique-ramirez/); Friedrich Kunath qui distillait une mélancolie sourde et ironique au Crédac d’Ivry (http://larepubliquedelart.com/decouvertes-ivry/); Petrit Halilaj, dont je n’ai pas parlé sur ce blog, mais qui, en octobre, présentait chez Kamel Mennour une des expositions les plus attachantes et les plus personnelles de la saison.

Mais une des grandes tendances de cette année aura été la réactivation de la performance, ce genre qui a connu ses heures de gloire dans le Fluxus des années 70, mais qui avait un peu disparu depuis. Dès le mois de février, Louise Hervé et Chloé Maillet proposaient à la galerie Marcelle Alix une exposition uniquement faite de performances (http://larepubliquedelart.com/louise-herve-et-chloe-maillet-de-lanthropologie-au-cinema-de-genre/). Et quelques jours plus tard, au Palais de Tokyo (toujours lui !), dans le cadre de la saison intitulée L’Etat du ciel, c’étaient les pièces immatérielles du Centre national des arts plastiques (CNAP), c’est-à-dire les pièces ayant besoin de la présence du public pour être activées, qui étaient montrées (http://larepubliquedelart.com/qui-peut-le-moins-peut-le-plus/). Et quelques jours encore plus tard, c’était la question de savoir comment les arts vivants peuvent trouver leur place au sein du musée qui était posée avec la Rétrospective par Xavier Le Roy présentée au Centre Pompidou dans le cadre du « Nouveau Festival (http://larepubliquedelart.com/les-arts-vivants-au-musee/). Enfin, à la très prestigieuse Foire de Bâle, une section entière était consacrée à la performance, avec l’exposition 14 Rooms, qui, dans un dispositif astucieux des architectes Herzog et de Meuron, permettait au public de pénétrer dans 14 chambres disposées de part et d’autre d’un couloir blanc et à l’intérieur desquelles se déroulaient des actions parfois très insolites (http://larepubliquedelart.com/art-basel-reine-de-la-performance/, cette très excitante initiative a toutefois été contestée par certains qui y ont vu une récupération de ce genre transgressif par essence).

PdT-Atkins-2Dans une de ces chambres se donnait une performance d’Ed Atkins, ce surdoué qui est une des grandes découvertes de 2014 (on a aussi pu voir son travail au Palais de Tokyo et à la Serpentine Gallery de Londres : http://larepubliquedelart.com/fin-de-saison-debut-de-vacances/). Deux de ses extraordinaires vidéos sont actuellement dans le nouvel accrochage de la Fondation Vuitton. J’ai déjà dit dans ce blog tout le bien que je pensais du bâtiment construit par Frank Gehry dans le Bois de Boulogne, même si j’ai pu émettre quelques réserves quant à son fonctionnement (http://larepubliquedelart.com/ouverture-reouverture-et-prix/). Dans ce nouvel accrochage, donc, Ed Atkins est à l’honneur, aux côtés d’autres très bons artistes comme Wolfgang Tillmans, Sigmar Polke ou Tacita Dean. Mais la vedette, c’est Olafur Eliasson, qui a déjà conçu une œuvre pérenne pour le sous-sol de la Fondation, Inside the horizon, et qui la complète cette fois par une exposition : Contact. On aime trop le travail de ce magicien de la lumière et de l’espace pour en dire du mal, mais force est de reconnaitre que, depuis quelques années – et depuis peut-être que son atelier a pris des allures de véritable entreprise -, ses œuvres ont perdu de leur fraîcheur et de leur inventivité pour devenir plus convenues, voire décoratives, comme ce fut le cas cette année à la Fiac sur le stand de sa galerie allemande, Neugerriemschneider. A la Fondation, Olafur Eliasson imagine un parcours qui est censé immerger le spectateur et lui faire vivre une expérience sensorielle nouvelle. Pour ce faire, il le plonge dans le noir et le fait passer à travers différents espaces au sol instable d’où surgissent des phénomènes lumineux qui bousculent notre perception. C’est souvent très beau (je pense en particulier à la dernière installation qui, grâce à une lumière stromboscopique, fait apparaître les états toujours changeants de l’eau d’une fontaine), efficace (un simple jeu de miroir permet de modifier complètement l’appréhension que l’on peut avoir d’un espace) et intelligemment conçu, mais on n’est plus guère étonné, on ne ressent plus la même poésie que l’on a pu connaître jadis chez cet artiste. Où sont les effets d’optique à la fois si simples et si complexes de l’exposition du Musée d’art moderne de la ville de Paris en 2002, où est le rideau d’eau que l’on traversait avec émerveillement au PS1 de New York ou les « waterfalls » qui illuminaient les piliers des ponts de cette même ville ? Encore une fois, Olafur Eliasson reste un des meilleurs artistes de sa génération, mais ses œuvres récentes font désormais preuve d’une trop grande froideur et d’une trop grande technicité. Un peu à l’image, d’ailleurs, du reste de la Fondation, qui, dans ce nouvel accrochage, reste parcimonieuse, ne dévoile à nouveau que quelques pans de la collection et, pour tout dire, manque encore de densité et de générosité. Mais peut-être faudra-t-il attendre 2015 pour qu’elle soit complètement en état de marche et qu’elle présente l’exposition suffisamment riche et aboutie que l’on attend d’elle et qui justifie son prix d’entrée élevé ?

Alors, à l’année prochaine…

Contact d’Olafur Eliasson, jusqu’au 16 février à la Fondation Vuitton, 8, avenue du Mahatma Gandhi Bois de Boulogne 75116 Paris (www.fondationlouivuitton.fr)

Images : Olafur Eliasson, Contact, 2014, Photo Iwan Baan ; Exposition Formes simples, Qui pourra faire mieux que cette hélice ?au premier plan, GE90 Design Team, Jet Engine Fan Blade (model GE90-115B), 2001, Résine composite, revêtement en polyuréthane et titanium ; 121,9 x 58,4 x 43,2 cm The Museum of Modern Art, New York © Centre Pompidou-Metz / Photo Rémi Villaggi ; Vue de l’exposition monographique d’Ed Atkins, Bastards au Palais de Tokyo, Ed Atkins, Ribbonds, 2014, Courtesy de l’artiste, Cabinet (Londres) et Galerie Isabella Bortolozzi (Berlin). Courtesy de l’artiste et de Cabinet (Londres) © Ed Atkins et Cabinet (Londres). Photo : Aurélien Môle.

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