de Patrick Scemama

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La République de l'Art

Le savoir-faire et le coeur

Fidèle à sa stratégie de souffler le chaud et le froid, d’alterner expositions muséales (Soto, Chen Zen, Claude Rutault) et expositions funs (Girl avec Pharrell Williams, Murakami, JR) pour s’attirer le plus large public, la galerie Emmanuel Perrotin, avec ses multiples espaces (Paris, New York, Hong-Kong), continue d’imposer sa marque dans le paysage artistique actuel. Les deux nouvelles expositions qui viennent d’ouvrir dans le Marais se situeraient plutôt du côté « fun », mais d’un « fun » atténué, que l’on pourrait presque qualifier de prospectif. Bien sûr, il reste quelques figurines pas très habillées derrière lesquelles les visiteurs sont invités à passer leur tête pour se faire photographier et quelques clichés bien trash dans l’exposition Terry Richardson, mais pour le reste, le célèbre photographe américain fait preuve d’une sobriété à laquelle il nous avait peu habitués. Les images présentées ici ont été prises au cours des deux dernières années, dans les Etats du Grand Ouest américain. A la base, Richardson voulait documenter les coutumes estivales américaines comme les foires, les festivals et les parades. Mais très, vite, il s’est rendu compte que dans ces univers cohabitent, en tension constante, des signes du religieux et des nombreuses sectes qui fleurissent aux Etats-Unis avec des emblèmes de l’industrie du sexe, relevant ainsi ce qui constitue le fondement du puritanisme américain. Du coup, c’est cette cohabitation qu’il a mise dans le viseur de son objectif pour cette exposition qu’il a intitulée : The Sacred & The Profane.

[all rights reserved]Xavier Veilhan, lui, qui expose simultanément à Paris et à New York, a basé son travail sur une autre forme de divertissement, mais qui est aussi bien sûr une forme d’art : la musique, qu’il considère même comme le moyen d’expression la plus indispensable de l’activité humaine. Mais plutôt que de vouloir célébrer la musique dans sa globalité, il a choisi de mettre en avant des gens qui sont généralement à l’arrière-plan, bien que leur influence soit considérable : les producteurs. Et ainsi, comme il l’avait fait pour les architectes présentés au Château de Versailles, il a modélisé en 3D toute une série de producteurs célèbres (Quincy Jones, Brian Eno, Pharrell Williams, entre autres) pour les faire découper dans une gamme de matériaux variés, allant du bois au métal. Mais à la différence de la précédente série, il n’a pas opté pour le traitement « facetté » qui était devenu sa marque de fabrique et est revenu à une figuration plus réaliste et détaillée. A cela, il a ajouté des peintures évoquant des studios d’enregistrement qu’il a ensuite fait passer dans une machine pour reproduire une trame industrielle, des mobiles qui sont comme des incarnations en suspens de notes de musique et même des meubles comme des retables Renaissance ou des calvaires bretons qui font la synthèse, puisqu’ils regroupent à la fois des petites sculptures de producteurs et des mobiles.

L’ensemble ne manque pas de panache, d’allure, d’élégance. Il faut voir avec quel style Xavier Veilhan conçoit les socles en chêne sur lesquels trônent les sculptures des producteurs, en faisant de véritables œuvres modernistes. Il faut voir avec quel soin il imagine ses mobiles, aussi bien sur le plan des matières que sur l’aménagement de la structure en acier qui les tient et sur la fabrication du meuble bas, véritable objet de design, sur lequel ils reposent. Il faut voir avec quel amour et respect il rend hommage à Eliane Radigue, la compositrice expérimentale avec laquelle il a collaboré pour un spectacle-performance, Systema Occam, à la fois en la représentant dans une sculpture et en montrant une light machine à LED (système d’ampoules qui s’allument et s’éteignent pour fabriquer des images), qui font défiler des scènes de ce spectacle. Pourtant, l’ensemble sent le produit, le « prêt à consommer », le « déjà conçu pour l’appartement du collectionneur qui sera reproduit dans tel magazine de mode ou de décoration ». Xavier Veilhan a du talent, une vraie créativité et un univers bien à lui, mais il cherche trop à séduire et certainement à vendre. Du coup, ses œuvres se formatent, s’aseptisent, se banalisent et on y cherche en vain une expression venant directement du cœur.

W18138HDL’authenticité, c’est du côté d’Etel Adnan, cette artiste de 90 ans que l’on redécouvre et qui expose pour la première fois à Paris à la Galerie Lelong, qu’il faudra aller la chercher. Il faut dire que la peinture n’a jamais été son seul métier et que, bien qu’elle ait exposé régulièrement aux Etats-Unis, en France et au Liban depuis 1960, elle n’a jamais été soumise aux pressions du marché. Née à Beyrouth, d’un père d’origine turc et d’une mère d’origine grecque, qui, entre eux, s’écrivaient en français, Etel Adnan entreprend, dans les années 50, des études de philosophie à la Sorbonne, puis les poursuit à Berkeley et Harvard. Elle s’établit en Californie, prend la nationalité américaine (en partie pour protester contre la guerre que les Français menaient en Algérie) et se met à enseigner…en anglais. Mais surtout elle peint de petits tableaux presqu’abstraits qui, grâce à des couleurs vives qu’elle applique en aplats et grâce à une construction simplifiée, évoquent les paysages grandioses de montagnes, de ciels et de mers qu’elle a sous les yeux. Et quand elle ne peint pas, elle dessine sur des leporellos qui se déploient comme des livres et qui dégagent une énergie folle. Tout est beau dans cette œuvre qui ne vise jamais l’effet ou le spectaculaire ; tout est touchant parce que simple, évident, lumineux. Etel Adnan aime la vie, les couleurs, les sensations et elle cherche naturellement à les transcrire dans ses peintures.

Comme elle cherche à les transcrire dans sa prose et dans sa poésie. Car son autre métier, c’est l’écriture qui lui a déjà permis de publier une vingtaine de livres soit en anglais, soit en français (elle a repris goût à notre langue dans les années 70). Son livre le plus connu à ce jour est Sitt Marie-Rose, un court roman qui évoque la tension entre membres de communautés religieuses différentes au temps de la guerre civile au Liban. Mais elle a aussi écrit pour le théâtre (entre autres, à la demande de Bob Wilson, la partie française de The CIVIL warS, opéra sur les guerres de sécession), publié des recueils de poésie (le compositeur anglais Gavin Bryars a d’ailleurs mis en musique huit de ses poèmes d’amour) et rédigé un livret d’opéra sur la vie de Marie de Médicis qui est à ce jour inédit.

A l’occasion de cette exposition à Paris, la Galerie Lelong a fait  traduire deux de ses textes courts : Prémonition et Le Prix que nous ne voulons pas payer pour l’amour. Dans Prémonition, qui est une sorte de pièce en prose qui ne raconte pas à proprement parler d’histoire, mais qui exprime surtout des mouvements de l’âme, on trouve, par exemple, ces quelques lignes, qui disent bien la sincérité de la démarche de cette artiste dont la peinture n’est pas sans rappeler celle de Nicolas de Staël : « Au-delà, il y a du solide, une montagne. (…)  J’ai eu peur de l’horizon. Ce furent mes premiers pas dans l’empire du retrait. J’ai continué ma marche dans l’obscurité, une obscurité plus claire que les agonies du jour. Dans cette fatigue nocturne, j’ai rencontré un visage bien-aimé. Rien qu’un visage, mais pendant quelques heures, son apparition a contenu l’infini. Il faut bien que nos désirs soient satisfaits, pourtant ils le sont rarement. Il y a toujours un désir ultime que nous poursuivons sans fin. »

-Terry Richardson, The Sacred & The Profane, et Xavier Veilhan, Music, jusqu’au 11 avril à la Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris (www.perrotin.com)

-Etel Adnan, Peintures, jusqu’au 28 mars à la Galerie Lelong, 13 rue de Téhéran 75008 Paris (www.galerie-lelong.com)

 

Images : Xavier Veilhan, Brian Eno, 2015, Contreplaqué, laine, polystyrène, 140 x 190 x 110 cm, Photo: Claire Dorn © Veilhan / ADAGP, Paris/ ARS, New York, 2015 Courtesy Galerie Perrotin ; Vue de l’exposition Terry RICHARDSON,The Sacred and The Profane, Galerie Perrotin, Paris, 7 mars – 11 avril 2015. Photo : Claire Dorn Courtesy Galerie Perrotin ; Etel Adnan, Sans titre, 2014, huile sur toile, 32 x 40 cm, © Courtesy Galerie Lelong, photo Fabrice Gibert

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3 Réponses pour Le savoir-faire et le coeur

Une autre citation d’Etel Adnan, extraite, elle, du « Prix que nous ne voulons pas payer pour l’amour », et qui aurait tout aussi bien pu trouver sa place dans l’article: « Amoureux, on devient un oiseau: l’on tend le cou et entend un chant que l’on attendait pas. On est sans voix. Mais ils sont bien plus nombreux ceux qui ne sont pas prêts à risquer leur vie pour un tel moment. Ils ne risqueraient même pas moins que cela, ils ne bougeraient pas. Ils sont effrayés, ils préfèrent rester dans leur médiocrité. On peut les comprendre: l’amour, sous toutes ses formes, est la chose la plus importante à laquelle nous soyons jamais confrontés, mais la plus dangereuse aussi, la plus imprévisible, la plus chargée de folie. Cependant, c’est le seul salut que je connaisse. »

Patrick Scemama dit :

Lisez l’auteur et essayez de comprendre dans quel contexte ces phrases ont été écrites plutôt que de vous en tenir à des jugements simplistes et péremptoires.

Patrick Scemama dit :

Personne en particulier et je ne m’octroie aucune place autoritaire pour dire aux autres ce qu’ils doivent faire. Ce blog est ouvert, tout le monde peut le commenter et vous ne vous en êtes pas privé, je crois. Mais je n’admets pas qu’on fustige uniquement pour fustiger (vous avez vous-même avoue dans un précédent commentaire que vous aviez un « mauvais fond ») et qu’on n’étoffe pas ses jugements définitifs d’un minimum d’arguments.

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