« Cherchez le garçon »: l’homme en question
Il y a deux ans, le Musée d’Orsay présentait Masculin/Masculin, L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours (cf https://larepubliquedelart.com/tout-tout-tout-vous-saurez-tout-sur-le-zizi), une exposition qui s’annonçait sulfureuse, parce que pour la première fois, on y abordait un sujet qui reste tabou dans les lieux institutionnels. Certains y virent un recensement qui n’osait pas dire son nom des représentations homosexuelles ou homo-érotiques des artistes des deux derniers siècles (et le directeur du musée, Guy Cogeval, fut même accusé d’avoir à cette occasion accueilli une soirée gay, sans que cela profite, financièrement, à l’établissement). D’autres trouvèrent que l’exposition n’allait pas assez loin, contournait le sujet et qu’elle se contentait de frileuses audaces dans le cadre bien feutré de l’ex-Gare d’Orsay. L’exposition, en tous cas, restait bien timide et illustrative et surtout elle évitait de se poser les questions dérangeantes de savoir comment se définissent les hommes dans l’art et le monde d’aujourd’hui, qu’est-ce qui fonde leur masculinité, qu’est-ce qui différencie leur travail de celui des femmes et leur donne ou pas un autre statut.
C’est pour répondre à ces questions et aborder la problème de manière plus frontale que l’excellent musée d’art contemporain de Vitry, le MAC VAL, qui fête cette année ses dix ans d’existence, a organisé Cherchez le garçon, une exposition qui réunit une centaine d’artistes exclusivement de sexe masculin, comme on a pu parfois imaginer des expositions qui ne faisaient appel qu’à des femmes (Elles@centrepompidou, par exemple). Partant du principe que la différence entre l’homme et la femme est minime et qu’elle tient essentiellement aux rôles occupés dans la chaîne de procréation (le reste n’étant que constructions sociales et culturelles), son commissaire, Frank Lamy, a voulu remettre en cause les valeurs traditionnellement associées à la masculinité (efficacité, autorité, héroïsme, force, puissance, etc.), en les abordant à partir des théories et postures féministes développées depuis les années 60 , qui agissent comme une entreprise de déconstruction des systèmes de domination de tous ordres et envisagent l’histoire de l’art comme le passage de « l’énoncé d’un moi autoritaire à l’expression d’un sujet multiple et fragmenté » (Carla Lonzi, Autoportrait, 1969). Ce sont donc tous les signes auxquels on associe d’habitude l’homme, le vrai, le dur, le tatoué, qui vont être mis à mal ici et qui vont chercher à redéfinir la place qu’il pourrait occuper dans le contexte actuel.
(Image supprimée conformément aux règles d’utilisation de l’Adagp)
De nombreux thèmes pertinents et forts se dégagent de cette proposition. Il serait vain et prétentieux de vouloir les citer tous, mais on peut en isoler quelques-uns. Celui de la transsexualité, justement, du travestissement ou de la manière dont l’homme prend la place de la femme. De nombreux artistes se sont affublés d’attributs féminins (Douglas Gordon avec une perruque blonde, Bruno Pellasy essayant de faire rentrer son corps dans des vêtements de femme) pour remettre en cause leur identité masculine et certains n’ont pas hésité à adopter les postures et les attitudes que l’on attend de certaines femmes (comme Leigh Ledare qui singe les positions et les situations dans lesquelles on fantasme les prostituées). Celui de la virilité prise en défaut comme la voiture accidentée (symbole oh combien viril !) de Florian Pugnaire et David Raffini, qui, à cause d’un mécanisme intégré, rétrécit chaque jour un peu plus ou l’irrésistible sculpture de Jean-Baptiste Ganne, un ensemble de coupes et de trophées sportifs qui ne parviennent plus à se tenir droits et retombent, comme des sexes après la bataille(Détumescences). Celui du corps vieilli et décharné, comme les photos de vieillards avec juste une serviette autour de la taille de Charles Fréger ou les gros plans de peau flasque et ridée de John Coplans. Celui de l’histoire de l’art revisitée, comme la réplique du « dripping » de Pollock (qui est éminemment associé à une pratique masculine) réalisée par Pascal Lièvre, mais avec une peinture à paillettes, l’allusion du facétieux Maurizio Cattelan à la fente opérée dans la toile par Fontana, mais en y inscrivant le « Z » de Zorro, la reproduction du carré noir de Malévitch par Nicolas Chardon, mais sur une trame non régulière qui lui fait perdre toute sa force et son autorité.
Quel reproche pourrait-on faire à cette exposition, au demeurant si riche et si productive ? Peut-être celui de tout voir sous l’angle du féminisme et de la mise en crise des emblèmes de la masculinité, qui uniformise un peu la tonalité générale. Il aurait été intéressant, par exemple, de confronter ces œuvres à celles d’artistes qui clament plus ou moins ouvertement leur sentiment de supériorité masculine et qui ne sont pas si peu nombreux que cela (pour exemple, on pourrait citer Jean-Marc Bustamante qui, même s’il l’a regretté par la suite, a tenu des propos clairement misogynes dans une de ses monographies, Georg Baselitz qui, lui, a carrément déclaré récemment que les femmes ne savaient pas peindre ou encore Loris Gréaud qui, parce qu’une journaliste avait émis un avis négatif sur une de ses dernières expositions à Dallas, lui a envoyé un mail pour lui suggérer, en gros, de « trouver un amant vaillant qui lui remette les idées en place »). Il aurait peut-être aussi été souhaitable que l’exposition soit davantage construite, qu’elle aborde davantage le sujet par thèmes, quitte à ce que, bien sûr, plusieurs thèmes s’appliquent à la même œuvre. Cela aurait peut-être évité ce sentiment de « fourre-tout », dans lequel le spectateur a parfois l’impression de se perdre, même s’il résulte de la volonté « non-autoritaire » du commissaire. Quoiqu’il en soit, et malgré ces quelques réserves, cette exposition vaut la peine qu’on « cherche le garçon » et surtout qu’on le trouve, au-delà des clichés, des lieux communs et des banalités auxquels on a souvent coutume de l’associer.
–Cherchez le garçon, exposition collective, jusqu’au 30 août au MAC/VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine (www.macval.fr)
Images : Philippe Ramette, L’Ombre (de moi-même), 2007. Installation lumineuse, technique mixte, dimensions variables. Courtesy Galerie Xippas © Adagp, Paris 2015. Photo © Marc Domage © Philippe Ramette ; Jean-Baptiste Ganne, Détumescences, 2012. Techniques mixtes. © Jean-Baptiste Ganne. © Adagp, Paris 2015; Douglas Gordon, Self-Portrait as Kurt Cobain, as Andy Warhol, as Myra Hindley, as Marilyn Monroe, (détail), 1996. C-print, 75 x 75 cm. © Studio lost but found / VG Bild-Kunst, Bonn, 2014. © Studio lost but found / Adagp, Paris 2015.
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