de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Les galeries: fréquentation record

Les galeries: fréquentation record

A ce jour, les galeries restent donc les seuls lieux culturels ouverts, les seuls endroits où l’on peut voir de l’art « en vrai », qui plus est gratuitement. A tel point qu’elles sont prises d’assaut et qu’il faut faire la queue, le week-end, devant les grandes enseignes pour pouvoir y accéder (le phénomène est tellement surprenant qu’il a donné lieu à plusieurs reportages à la télévision). Bien sûr, ce nouveau public n’est pas forcément celui qui achète des œuvres. Mais peu importe, ce qui compte c’est qu’il rende ces endroits vivants, qu’il y satisfasse sa soif de culture et rien ne dit qu’il ne donnera pas naissance, dans le futur, à de nouveaux collectionneurs. D’autant que l’offre que proposent actuellement ces galeries est belle et diversifiée. A cause de la pandémie et de l’impossibilité de se déplacer, la plupart ont été obligées de modifier leurs programmes et de se tourner vers des artistes « locaux ». Paradoxalement, cela donne des résultats surprenants et stimulants, auxquels on n’aurait sans doute pas pu assister en des temps normaux.
C’est ainsi que la prestigieuse galerie Perrotin, qui affiche en général Murakami, Maurizio Cattelan ou JR, consacre une exposition à cinq jeunes artistes vivants en France ou ayant des liens proches avec elle et qui n’avaient été montrés en son sein. Sous le titre Les Yeux clos, elle entend convier le spectateur à « un voyage pictural troublant à travers les imaginaires de ces artistes rendus palpables par leurs interprétations du rêve ». Bon, si le sujet est un peu vague et pourrait servir à bien des occasions, il permet de voir le travail d’artistes prometteurs et qui font preuve, chacun, de leur singularité : Mathilde Denize, par exemple, dont on suit le travail depuis sa présentation au Salon de Montrouge (cf. Mathilde Denize – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) et qui montre ici ses étonnants vêtements peints et cousus entre eux dont elle se sert pour faire des performances ;  Alex Foxton, qui met en scène sa fascination du corps masculin dans de grandes toiles bleutées où la violence se mêle à la sensualité ; Simon Martin, qui joue au contraire de l’évanescence et de douceur pour représenter ses couples d’amoureux (l’exposition est très LGBT) ; Elizabeth Glaessner, qui fait preuve d’un érotisme subtil avec sa palette très chaude et ses poses alanguies ; Paolo Salvador, qui renvoie tout autant au modernisme, qu’aux mythes cosmiques du pays dont il est issu (le Pérou). Bref, une exposition où l’on n’aime pas forcément tout, mais où l’on fait de belles découvertes.

Comme l’on peut être content de voir (ou plutôt de revoir) Gaëlle Choisne, dont on avait découvert le travail il y a quelques temps au centre d’art Bétonsalon, mais qui ne nous avait que moyennement convaincu, que l’on avait jugé trop proche, par exemple, de celui d’un Julien Creuzet, un artiste avec lequel elle partage un certain nombre de préoccupations (dont celle, devenu désormais poncif chez les artistes d’aujourd’hui, de la décolonisation). Chez Gilles Drouault, où elle expose actuellement, il y a encore certaines de ces pièces un peu faciles, assemblages de rebuts ou d’objets trouvés, volontairement grunges, qui donnent de l’eau au moulin des adversaires de la création contemporaine. Mais il y a aussi toute une série d’expérimentations sur des matériaux a priori antagonistes (la porcelaine avec le cuivre, la « pulvérisation » d’une photo de statue antique sur du plâtre) qui se révèle passionnante. Là, l’artiste semble pratiquer des rites étranges, convoquer des énergies mystérieuses, tenter l’alchimie pour parvenir à d’improbables résultats. Et sa pratique prend alors toute sa dimension : novatrice, audacieuse, imaginative.

Car assembler les rebuts est un exercice délicat, qui demande d’autant plus d’exigence qu’il peut vite virer au n’importe quoi. Franck Scurti en sait quelque chose, lui qui joue depuis des années avec ces matériaux auxquels on ne prêterait plus la moindre attention s’ils n’étaient transfigurés par la main et l’imagination de l’artiste. A la galerie Michel Rein, il montre des pièces qu’il a réalisées cet été, sous la nef du Grand Palais, à la demande de Chris Dercon, le directeur du monument, qui lui avait proposé d’y installer un atelier ouvert au public. On y voit tout un ensemble de cages posées sur des piédestaux décatis, à l’intérieur desquelles sont disposés des cubes colorés qui dialoguent avec un mégot de cigarettes. Ou des enchevêtrements de fils de fer qui se terminent par une partie dorée et lumineuse, au bout de laquelle un papillon semble prêt à s’envoler. On pouvait penser que ces œuvres pensées pour l’immensité du Grand Palais auraient du mal à trouver leur place au sein de la galerie, mais c’est le contraire qui se passe : elles respirent, s’interpellent et dégagent tout leur potentiel poétique.

Comme sont poétiques et graphiques les œuvres de Larissa Fassler, cette artiste dont on avait déjà souligné la pertinence du travail (cf Connaître le monde – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) et qui bénéficie de deux expositions actuellement en France : une, hélas fermée, à la Galerie, le centre d’art de Noisy-le-Sec, et l’autre, elle ouverte, à la galerie Poggi. Rappelons que la pratique de Larissa Fassler consiste à s’imprégner de lieux publics, où ont lieu de grands brassages humains (des gares, des places, etc.) et à les retranscrire en deux ou trois dimensions, mais uniquement à partir d’observations ou de sensations physiques, jamais en se reportant à des cartes ou des documents officiels. Tandis qu’à Noisy-le-Sec, l’artiste présente une immense maquette représentant le réseau sous-terrain qui relie les différents accès de l’Alexanderplatz de Berlin, à Paris, c’est la gare du Nord, un lieu sur lequel elle a beaucoup travaillé, qui trouve une interprétation en 3D (une pièce sonore recensant les impressions éprouvées sur place l’accompagne). Mais la capitale allemande et New York sont aussi évoquées, la première avec des œuvres autour de la Moritzplatz, une place populaire de l’ancien Est de la ville qui est désormais la proie des promoteurs immobiliers, la seconde avec Columbus Circle, cette place célèbre au centre de laquelle trône une statue de Christophe Collomb et qui renvoie ainsi à la polémique sur les statues commémoratives et à la question de l’histoire de l’Amérique. Toujours nourri d’informations exactes (politiques, sociologiques, historiques), le travail de Larissa Fassler n’en est pas moins transcrit dans une forme extrêmement riche et soignée, qui ne s’égare jamais dans la déclaration d’intentions ou le tract revendicatif.

Dans ce Paris en partie sinistré, on pourrait aussi parler des belles expositions de Gabriel Léger à la galerie Sator de Romainville (sur laquelle on reviendra sûrement) ou de Madelynn Green chez Almine Rech (une jeune anglaise qui met en lumière, à travers une série de peintures, l’importance de la musique dans la culture noire). Mais comment ne pas terminer par la sublime exposition qui se tient dans l’espace parisien qu’a ouvert récemment la galerie Lévy Gorvy, cette puissante enseigne américaine et qui a pour titre Horizons ? Orchestrée par Edel Adnan, à partir d’un texte qu’elle a écrit autour des questions de déplacements et de nostalgie à l’endroit de la terre natale (le Liban), elle rassemble des œuvres de l’artiste-poète elle-même, mais aussi de la jeune Christine Safa (une série de magnifiques toiles dont les couleurs rappellent autant le bleu de la Méditerranée que l’ocre des murs de Beyrouth), de Simone Fattal, la compagne d’Etel Adnan (des sculptures d’une exquise délicatesse), d’Ugo Rondinone, d’Ettore Spaletti, d’Agnes Martin, de Joan Mitchel ou de de Nancy Haynes. Bref, une liste exceptionnelle pour une exposition sur la lumière et la contemplation qui ne l’est pas moins et dans laquelle on a envie de rester des heures.

Les Yeux clos, jusqu’au 27 mars à la galerie Perrotin, 78 rue de Turenne 75003 Paris (www.perrotin.com)

-Gaëlle Choisne, jusqu’au 16 mars à la galerie de Multiples/Gilles Drouault, 17 rue Saint-Gilles 75003 Paris (www.gillesdrouault.com)

-Franck Scurti, Premier Soleil, jusqu’au 20 mars à la galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne 75003 Paris (www.michelrein.com)

-Larissa Fassler, Ground Control, jusqu’au 27 février à la galerie Poggi 75004 Paris (www.galeriepoggi.com)

Horizons, jusqu’au 30 mars à la galerie Lévy Gorvy, 4 Passage Sainte Avoye 75003 Paris (www.levygorvy.com)

Images : vue de l’exposition Les Yeux Clos, avec des œuvres de Paolo Salvador © Photo: Claire Dorn / Courtesy of the artists and Perrotin ; vue de l’exposition Gaëlle Choisne chez Gilles Drouault, photo Grégory Copitet; vue de l’exposition Franck Scurti, Premier soleil, Michel Rein, Paris, 2021, Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Paris/Brussels, photo : Florian Kleinefenn; vue de l’exposition Ground Control de Larissa Fassler à la galerie Poggi; vue de l’expositions Horizons à la galerie Lévy Gorvy, avec des œuvres de Christine Safa (photo Artus Boutin)

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