de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Monaco a du pot

Monaco a du pot

Quel bonheur de pouvoir arpenter les salles d’un musée ou d’un centre d’art et de voir les œuvres « en vrai » dans un contexte curatorial déterminé (même si certaines galeries actuellement ouvertes, comme la galerie Ropac de Pantin propose des expositions qui n’ont rien à envier aux musées, cf Seules les galeries… – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) ! C’est possible à Monaco, un des seuls lieux d’Europe où les institutions culturelles restent accessibles, en respectant bien sûr les règles sanitaires (une exposition Shimabuku est annoncée en février à la Villa Paloma). Pour l’instant, à la Villa Sauber, l’autre espace de monstration du Nouveau Musée National de Monaco, l’exposition, Artifices instables, que l’on peut voir pendant encore un mois est consacrée à la céramique, cet art ancestral qui a connu un nouvel essor à la fin du XIXe siècle, qui a toujours été à cheval entre l’artisanat et l’art et qui occupe aujourd’hui une place de choix dans la pratique contemporaine. Et sa présentation à Monaco est d’autant plus pertinente que la Principauté a une histoire très riche avec cette forme d’art.

La céramique, en effet, après avoir été remise au goût du jour par des artistes comme Gauguin (influencé lui-même par l’Orientalisme et surtout le Japonisme de l’époque), a été fabriquée dès 1873 par la Poterie de Monaco, en vue de la participation à l’Exposition Universelle de Vienne. Installée sur des terrains acquis par Marie Blanc, la créatrice de la Société artistique et industrielle de Monaco, au-dessus des jardins du Casino, cette poterie proposait principalement de la céramique d’art, mais aussi de la céramique d’architecture, de la peinture sur céramique ainsi que de la statuaire. Elle fut conçue et dirigée par Charles Frédéric Fischer, qui venait d’Alsace, une région où perdurait une tradition céramiste. Avec son épouse, ils créèrent un style, le style Fischer, qui reprenait les thèmes du célèbre potier de la Renaissance, Bernard Palissy. Très réaliste et souvent chargé, ce style se distingue par l’ornementation florale en haut relief, qui va de pair avec le retour à la nature qui s’opère à la fin du XIXe siècle. Par la suite, il deviendra emblématique de la Principauté et ouvrira un autre volet historique, celui de la « céramique touristique », qui fleurira après la Guerre dans les ateliers de Vallauris ou de Menton.

C’est par cet aspect historique que s’ouvre l’exposition de Monaco, dont le commissaire est Cristiano Raimondi (elle se poursuivra avec la seconde Poterie, dirigée par Eugène Baudin, qui se caractérise par une esthétique nettement moins imitative, plus proche de l’Art Nouveau). Mais elle alterne aussitôt avec des approches bien différentes et beaucoup plus épurées. Car à la même époque, aux Etats-Unis, existait une importante production de céramiques, qui se divisait en trois types de productions : une première, dans le Nord du pays, qui était une production de masse, fonctionnant sur le principe du travail à la chaîne, une deuxième, dans le Sud, plus populaire, qui proposait des objets solides et rustiques, destinés à satisfaire des usages domestiques quotidiens, et une troisième, qui était de la céramique d’art liée à l’émergence du mouvement Arts & Crafts. C’est à cette dernière qu’appartient George E. Ohr, un potier excentrique du Mississippi, qui avait découvert la céramique en travaillant auprès d’un potier alsacien de La Nouvelle-Orléans, et qui ne fut reconnu que bien longtemps après sa mort, survenue en 1918, et apprécié par des artistes comme Jasper Johns ou Andy Warhol. Mais c’est surtout en Californie que la pratique de la céramique se développa, en grand partie grâce à des artistes du Bauhaus, comme Marguerite Wildenhain, qui s’y étaient réfugiés. Ils formèrent un maitre en la matière, Peter Voulkos, qui lui-même l’enseigna à de jeunes élèves comme Ron Nagle, à qui une salle est consacrée dans l’exposition. Très influencé par Morandi, ce dernier réalise des pièces de petite taille, mais d’une grande complexité de formes et de couleurs et qui accordent une importance particulière à la notion de socle, mettant ainsi la poterie au même rang que la sculpture classique.

En France, bien sûr, c’est Picasso qui a fortement contribué à la popularité de la céramique et l’a ouverte à d’autres dimensions. Ayant fait la rencontre, en 1946, de Suzanne et Georges Ramié, qui avaient repris en 1938 une ancienne fabrique de Vallauris (Madoura), il s’installa près d’eux et produisit, pendant deux décennies, près de 800 pièces dans lesquelles il laisse libre cours à son imagination et brouille toujours plus les limites entre la dimension utilitaires des objets du quotidien et des œuvres d’art dénuées de toutes fonctions. Et d’autres artistes, comme Léger et Chagall à Biot, s’inscrivirent dans cette lignée, faisant de la Côte d’Azur un des hauts lieux de la céramique d’art.

C’est ce que montre l’exposition, de manière à la fois concise et efficace, mais elle insiste aussi -et c’est son grand mérite- sur la pratique contemporaine. On y voit ainsi le travail de Aaron Angell, un artiste anglais né en 1987, qu’il décrit lui-même comme « radical et psychédélique », celui de Chiara Camoni, bucolique, qui consiste en des vases-sculptures dont l’émail est fait à partir de cendres de bois récolté dans les forêts italiennes ou celui de Brian Rochefort, dont les couleurs peuvent sembler totalement artificielles, alors qu’elles trouvent leur origine dans une observation passionnée de la nature et des écosystèmes en danger étudiés lors de nombreux séjours en Amérique de Sud. Enfin, une salle entière est consacrée aux œuvres de Johan Creten, qui est aujourd’hui un des céramistes les plus reconnus ( cf Johan Creten, le gitan de l’argile – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) et à celles de Simone Fatal, cette artiste d’origine syrienne, compagne d’Etel Adnan, qui s’inspire aussi bien de L’Epopée de Gilgamesh que de la Genèse ou des mythologies grecques et juives. Bref, un ensemble d’artistes qui ont définitivement tirée la céramique de l’image un peu vieillotte et « réservée aux femmes » que l’on pouvait en avoir, qui en ont fait une forme d’art à part entière, qui lui ont donné des perspectives inattendues, en exploitant au maximum ses qualités propres.

Artifices instables, Histoires de céramiques, jusqu’au 21 février à la Villa Sauber (NMNM), 1è avenue de la Princesse Grace, Monaco (www.nmnm.mc)

Images : Ron Nagle, Infusion Sez, 2014, Céramique, polyuréthane et résine époxy, 17 x 10 x 10 cm Collection Alexander V. Petalas, Londres Crédit photo : Don Tuttle, Courtesy of the Artist ; Poterie artistique de Monaco, Style Fischer (1871-1889),Poterie vernissée à décor en relief polychrome en barbotine, Collection Comité National des Traditions Monégasques Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2020 ; Vue d’exposition Artifices instables, Histoires de céramiques Nouveau Musée National de Monaco – Villa Sauber 18.09.2020-31.01.2021 Johan Creten Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2020

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