de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Odonchimeg Davaadorj, la fragilité et la force

Odonchimeg Davaadorj, la fragilité et la force

Des corps parfois disloqués, brodés ou dessinés à l’encre de chine ; des animaux qui prennent souvent un visage humain ; des arbres qui poussent un peu partout et semblent se répandre comme des vaisseaux sanguins : le monde d’Odonchimeg Davaadorj est un monde où les éléments se combinent et où toutes les formes vivantes (humaines, animales, végétales) semblent former un ensemble qui évoque la perpétuelle mutation et migration et qui n’a que la voûte céleste pour interlocuteur. Doit-on y voir la trace de son enfance en Mongolie, dans un milieu modeste, où elle partage son temps entre la ville et une ferme à la campagne ? Sans doute, mais à dix-sept ans, la jeune fille, trop à l’étroit dans son pourtant vaste pays coincé entre la Russie et la Chine, décide d’aller rejoindre sa sœur ainée, qui travaille en République tchèque. Pendant un an, elle apprend intensément le tchèque et commence des études qui ne lui plaisent pas, tout en ayant l’envie de créer des costumes. Mais pour des raisons de visa, elle doit partir et atterrit alors à Paris où des amis de ses parents l’hébergent quelques mois. Les premiers temps sont durs : elle ne parle pas un mot de français, fait des petits boulots, du ménage, du repassage à domicile ou du baby-sitting pour survivre.

Puis, après une école préparatoire, elle intègre l’Ensapc (École nationale supérieure d’artsparis-cergy) de Cergy-Pontoise. Elle veut d’abord travailler dans le milieu de la mode et elle gagne aussi sa vie en tant que mannequin (activité qu’elle pratique encore aujourd’hui lorsque l’occasion se présente). Depuis qu’elle est petite, elle a toujours dessiné et elle a acquis une base technique classique. Mais elle ne connait rien à l’art. C’est le moment où, grâce à l’école, elle découvre les musées. Et les galeries, dont elle s’étonne de constater que l’accès en est gratuit et que, désormais, elle va visiter assidument. C’est l’heure aussi des premiers chocs esthétiques. Beaucoup changeront ou se transformeront avec le temps. Mais un restera, qui est toujours aussi prégnant dans son travail : celui de Louise Bourgeois, avec son rapport au corps, à l’érotisme, à la sensualité, mais à la douleur et à la blessure aussi.

Curieusement, ce qui l’intéresse le plus aux débuts de ses études, c’est la performance. Car Odonchimeg Davaadorj écrit aussi de la poésie et elle aime que cette poésie soit performée ou écrite sur des vêtements qu’elle conçoit (elle a pour professeur l’écrivain François Bon). Elle pratique aussi la peinture, mais n’en est pas complètement satisfaite et se concentre sur le dessin, qui est aussi plus facile pour des raisons économiques. Ce dessin, elle ne se contente pas de le faire sur papier, mais aussi sur toile ou sur des carnets qu’elle assemble elle-même et qui constituent ainsi comme une suite d’images qui se complètent. Car elle aime aussi la matérialité de l’objet et le fait qu’il ne soit pas fragile, qu’on puisse le toucher comme on porte un vêtement. Cette dualité entre la force et la fragilité est d’ailleurs au cœur de son travail, car on y trouve aussi beaucoup de fil, un fil qui peut sembler fragile, mais qui ne l’est pas tant que ça, puisqu’il sert à nouer et à assembler (parfois aussi, elle se sert d’une aiguille pour perforer et cet acte peut sembler délicat, mais il est aussi une forme de violence). On pourrait croire que ce recours à la broderie, au fil ou aux travaux d’aiguille renvoie à un discours féministe, comme l’a été celui de toutes ces artistes femmes qui ont détourné le rôle auquel on les a assignées pour affirmer leur identité et dénoncer la société machiste. Mais il n’en est rien, Odonchimeg Davaadorj ne se reconnaît pas du tout dans ce discours et elle souligne que la plupart des couturiers qu’elle connaît –et en tous cas ceux de son pays- sont des hommes.

L’an passé, elle a pu montrer son travail au Salon de Montrouge où elle a obtenu le Prix ADAGP, qui lui a valu une somme d’argent et une petite vidéo pour Arte. Et elle est rentrée à la galerie Backslash qui lui a offert, cet hiver, sa première exposition personnelle. Aujourd’hui, ses carnets de dessins sont montrés dans la très belle exposition imaginée par  Guillaume Désanges à la Verrière Hermès de Bruxelles (cf. http://larepubliquedelart.com/retour-a-la-matiere/ http://larepubliquedelart.com/retour-a-la-matiere/).  A l’avenir, elle souhaiterait continuer la peinture et développer l’image filmée, un médium qu’elle a déjà pratiqué, mais sous la forme d’actions toutes simples et qu’elle voudrait développer. Quoiqu’il en soit, on sent que la jeune femme n’est pas trop pressée et que ce qui compte avant tout, c’est la fidélité à son univers et à son activité artistique. Une fidélité aussi à son enfance et à ses origines, qu’elle évoque toujours de manière étonnement poétique, mais sans mièvrerie ni fausse nostalgie, comme dans cette très émouvante vidéo où on la voit placer au pied d’une mauvaise herbe, dans la rue, une minuscule maison en carton, la saupoudrer de farine pour évoquer la neige et faire fumer sa cheminée comme pour revenir à ce paisible et rassurant paysage d’un temps à jamais passé.

-La galerie Backslash se situe 29 rue de Nazareth 75003 Paris (www.backslashgallery.com)

-Les œuvres d’Odonchimeg Davaadorj sont aussi visibles sur son site : http://cargocollective.com/odonchimeg-davaadorj/

On peut aussi la suivre sur Instagram.

Cette entrée a été publiée dans L'artiste à découvrir.

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