de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Saison de prix réussie

Saison de prix réussie

C’est l’automne et la saison des prix qui vont être décernés prochainement, lors de la foire Paris + (du 20 au 22 octobre au Grand Palais Ephémère). Pour le plus important, le Prix Duchamp, la nouveauté cette année est d’être présenté non plus au premier niveau du Centre Pompidou, mais au quatrième, au sein même de l’espace du musée. Les organisateurs espèrent ainsi attirer un public plus large, pas seulement celui qui vient pour ce prix, mais celui qui déambule dans les collections permanentes. Comme chaque année, les nominés sont au nombre de quatre, deux garçons et deux filles, parité oblige. Ils viennent d’horizons différents, ne sont d’ailleurs pas tous d’origine française (mais ils vivent pour partie en France) et ont pour point commun une forme d’engagement politique, souvent liée aux problèmes de migration, de déplacement, de revendication identitaire. Mais leur manière de l’exprimer est radicalement différente, aussi bien dans la forme que dans le contenu, et c’est ce qui fait que cette édition, placée sous le commissariat d’Angela Lampe, nous semble particulièrement équilibrée et réussie.

La manière la plus immédiate de l’exprimer est sans doute celle qu’a choisie Bouchra Khalili. Cette artiste d’origine marocaine, qui a co-fondé la cinémathèque de Tanger, travaille sur le film, l’archive, la photo, sans hiérarchie et en s’inspirant surtout des moments historiques d’émancipation collective. Pour le Prix Duchamp, elle a rassemblé une selection d’œuvres autour de son projet majeur, The Tempest Society, qui s’appuie sur les expériences théâtrales du groupe Al Assifa (« La tempête » en arabe), issu du Mouvement des travailleurs arabes dans la France des années 70. Dans les différents films, elle fait alterner, non sans subtilité, récits individuels et histoire collective des luttes, mais dans un discours qui n’est pas univoque, qui remet aussi en question l’efficacité de ces interventions publiques.

couretsy galerie anne-sarah bénichou, Paris

La manière la plus poétique est celle de Massinissa Selmani, qui est né, lui en Algérie. Travaillant essentiellement sur le dessin et à partir d’archives personnelles ou de coupures de presse, l’artiste construit des formes souvent humoristiques et pleines de retenue sur le mode surréaliste du collage et de la collision. Pour le Prix Duchamp, il a imaginé une installation, Une parcelle d’horizon au milieu du jour, qui est conçue comme un grand dessin dont les éléments migrent d’un support à un autre, du papier au film d’animation ou à la sculpture au dessin mural. C’est fin, drôle et plein d’imagination, mais ne manque pas de gravité, car Massinissa Selamni, qui fait partie de cette génération qui a connu la violence dans son pays natal, sait parfaitement ce que la conflictualité peut engendrer.

La manière la plus burlesque est celle de Bartille Bak, dont les grands-parents étaient des mineurs polonais du Nord de la France. L’artiste, qui travaille en général sur des durées longues, s’intéresse surtout aux communautés à la marge des sociétés contemporaines pour les raconter de manière différente, par l’absurde et en les sortant des idées préconçues. Pour le Prix Duchamp, elle a imaginé une installation, Nature morte, qui prend pour point de départ la tradition française qui consiste à célébrer les fêtes par des fleurs. Cette tradition aboutit souvent à des aberrations, car elle oblige à aller chercher dans le Sud des fleurs qui seront vendues dans le Nord, au détriment de tout raisonnement écologique. Pour l’illustrer, Bertille Bak est allée filmer en Colombie et en a ramené un film hilarant, au cours duquel des compositions florales sont littéralement propulsées au-dessus des mers, de l’Amérique du Sud à chez nous.

La manière la plus sensible, – enfin, et à nos yeux la plus aboutie, parce que celle qui a la transcription plastique la plus forte – est celle de Tarik Kiswanson. Cet artiste, dont il a été plusieurs fois questions dans ces colonnes (cf Kiswanson-Owens, d’un bout à l’autre de l’échiquier plastique – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), a un passé familial, on le sait assez compliqué, puisqu’il est né en Suède, de parents palestiniens qui ont du fuir leur pays, qu’il a fait ses études en Angleterre et qu’il vit désormais en France. C’est de ce multiculturalisme et de ce déracinement qu’il a fait la sève de son travail et qui se retrouvent encore au cœur de l’installation pour le Prix Duchamp. En son sein se trouvent plusieurs formes ovoïdales en résine blanche, comme des œufs, qui sont suspendues dans l’espace et auxquelles sont accolés des meubles de l’après-guerre qui rappellent toutes les tracasseries administratives qu’ont dû subir les émigrés de toutes provenances. Et cette suspension, c’est aussi celle de l’enfance, un des autres thèmes majeurs du travail de l’artiste, comme en témoigne cette magnifique vidéo déjà présentée au Carré d’Art de Nîmes, où l’on voit un jeune garçon qui se balance sur sa chaise jusqu’au point où il s’apprête à tomber (mais on ne sait pas si cela va être le cas). Mais elle est synonyme aussi de transformation, de régénération, de phase transitoire vers un avenir peut-être meilleur où les blessures seront cicatrisées et les traumas surmontés. Comme Tarik Kiswanson, qui a un sens aigu de l’espace, est aussi poète, on sort avec une forme d’espoir de cette élégante installation, ce qui n’est pas souvent le cas dans l’art d’aujourd’hui.

Un mot enfin du Prix Ricard, qui depuis plusieurs année est davantage le fait du prince d’un commissaire qu’une compétition rassemblant les meilleurs espoirs de la jeune génération (ce qu’il est censé être au départ). L’édition de cette année n’échappe pas à la règle, mais force est de reconnaître que sous la houlette de Fernanda Brenner et autour du thème du fantôme (avec un emprunt à Derrida dont on pourrait bien se passer), elle est plutôt fluide et réussie. Pol Taburet, qui est la nouvelle coqueluche et qui a eu une exposition importante cet été à Lafayette Anticipations (cf Pol Taburet, Thu-Van Tran, revenir aux sources – La République de l’Art (larepubliquedelart.com), en est le favori, mais l’installation de Sophie Bonnet-Pourpet, autour du « business de l’insomnie », ne manque pas d’intriguer et de séduire.

-Prix Marcel Duchamp, jusqu’au 8 janvier au Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr)

Do You Believe In Ghosts, Prix Ricard, jusqu’au 28 octobre à la Fondation Pernod Ricard (www.fondation-entreprise-pernod-ricard.com)

Images : Tarik Kiswanson, Vue de l’exposition Prix Marcel Duchamp 2023, Centre Pompidou, Paris, The Wait, 2023 Résine, fibre de verre, peinture, acier inoxydable, 270 x 222 x 100 cm Courtesy de l’artiste et carlier l gebauer, Berlin/Madrid, © Centre Pompidou, Bertrand Prévost ; Massinissa Selmani, Vue de l’exposition Prix Marcel Duchamp 2023, Centre Pompidou, Paris, Reliefs de la latence, 2023. Technique mixte, dimensions variables, Courtesy de l’artiste et de : Galerie Anne-Sarah Bénichou, Paris ; Selma Feriani Gallery, London / Tunis – Adagp, Paris 2023 ; Bertille BAK, Affiche de la vidéo Nature Morte, 2023 © Bertille Bak & Liliana Correa

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Une Réponse pour Saison de prix réussie

Patrick Scemama dit :

Le lauréat du Prix Duchamp est Tarik Kiswanson

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