de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Salade niçoise

Salade niçoise

Il y a deux ans, à l’occasion du cinquantenaire du Musée Matisse, la ville de Nice avait utilisé huit musées municipaux pour fêter l’évènement et confié à Jean-Jacques Aillagon la responsabilité d’une grande manifestation : Un Eté pour Matisse (cf http://larepubliquedelart.com/tout-nice-pour-matisse/). Cette année, ce ne sont plus huit, mais treize musées et galeries municipaux qui ont été réquisitionnés pour fêter, toujours sous la houlette de Jean-Jacques Aillagon, non plus un évènement, mais un lieu qui est à Nice ce que la Tour Eiffel est à Paris ou l’Empire State Building à New York : la Promenade des Anglais. Il faut dire que le maire, Christian Estrosi, voudrait faire classer la Promenade sur la liste du Patrimoine mondial par l’Unesco et il cherche à mettre tous les atouts de son côté pour que sa demande aboutisse. Plus qu’à un véritable projet artistique, cet ensemble d’expositions s’apparente donc avant tout à une entreprise de séduction pour prouver le bien-fondé de sa démarche.

Et  il y parvient, car chaque musée joue de sa spécificité pour montrer un des aspects de l’histoire de cette célèbre Promenade que les Anglais, grands voyageurs devant l’Eternel, rendirent célèbres. Ainsi, de la Galerie des Ponchettes au Palais Lascaris en passant le Musée d’archéologie de Cimiez ou le Musée Masséna, ce sont toutes les facettes, géologiques, antiques, modernes (la manière dont la Promenade s’est transformée, à partir de la fin du XVIIIe siècle, sous l’affluence des fameux résidents étrangers fortunés, au point de devenir l’axe essentiel de la ville), récentes (entre autres, les « Fêtes d’art » qu’organisèrent les collectionneurs Gisèle et Paul Tissier dans les années 30, à l’Hôtel Ruhl) qui sont montrées. A chaque fois, des archives, documents et témoignages sont présentées, mais aussi des œuvres d’art contemporaines qui font écho à l’histoire et la mettent en abyme (comme L’Etrusque et la voie romaine de Pistoletto, présenté au Musée d’Archéologie).

GroupePaulGisele (3)L’art, justement, qui a tant servi à populariser et à célébrer la lumière et la beauté du lieu, est au coeur des autres expositions. Au Musée Matisse, bien sûr, où sont  exposés les « intérieurs niçois » du peintre, ouverts sur la mer. Ou au Musée Chagall où est montré, entre autres, un album, Nice et la Côte d’Azur, composé de douze lithographies autour de la Baie des Anges, que l’artiste réalisa en 1967. Ou encore au Musée des Beaux-Arts, où les couleurs des nombreuses toiles et aquarelles que Raoul Dufy peignit lors de ses fréquents séjours à Nice « explosent » sur les cimaises. Quant à Martin Parr, il a posé son appareil et présenté ses photos de plages pleines d’ironie au Théâtre de la Photographie et de l’Image. Enfin, au MAMAC, le repère des artistes modernes et contemporains, parmi lesquels, bien sûr, ceux de la célèbre « Ecole de Nice », ce sont les œuvres ou les performances qui ont eu lieu ou qui ont été inspirées par la Promenade des Anglais qui sont à l’honneur (Ben, en la soumettant aux règles du jeu de Fluxus, y donna le meilleur de son travail, tandis qu’Yves Klein y rêva de son fameux YKB, l’International Klein Blue).

La Villa Arson n’est pas épargnée, qui présente un moyen-métrage de Marie Losier et Catherine Libert, L’Echappée vive, spécialement conçu pour la manifestation, et qui rend hommage à tous les artistes, en particulier cinéastes, qui ont contemplé le fameux bord de mer au cours du siècle dernier. Car il faut aussi se souvenir que c’est ici que Jean Vigo tourna, en 1930, A Propos de Nice, et que de nombreux réalisateurs, comme Jacques Demy dans La Baie des anges, en firent le principal décor de leurs films. Mais à la Villa Arson, on peut voir aussi l’exposition qui, comme chaque année, montre le travail des diplômés de la promotion (celle-ci est d’ailleurs un peu hâtivement rattachée à la manifestation Nice 2015-Promenade (s) des Anglais) : Odyssée, dont le commissariat a été confié à Benjamin Laugier. Et comme chaque année aussi, cette exposition est divisée en deux lieux, une partie étant présentée au centre d’art, tandis qu’une autre trouve refuge à la Galerie de la Marine, à deux pas de la Promenade. Mais pour cette édition, le commissaire ayant décidé de ne montrer à la Marine, dans un dispositif central très concentré, qu’une pièce emblématique du travail de chaque artiste, il est nécessaire d’arpenter les ateliers de la Villa pour se faire une idée plus précise des intentions de ces jeunes pousses (preuve peut-être que leur travail n’est pas encore assez fort pour être lisible en une seule œuvre).

Piette1On découvrira alors une promotion inventive, peut-être moins autocentrée, plus tournée vers l’autre que des promotions précédentes et dont le commissaire souligne la forte valeur collective (c’est d’une expérience collective réinterprétant des épisodes de L’Iliade et de L’Odyssée qu’est tiré le titre de l’exposition). Bien sûr, tous n’échappent pas à certaines facilités et à certains poncifs de l’art contemporain et, encore une fois, on peut y regretter le peu de goût pour la peinture. Mais dans l’ensemble, les présentations sont soignées, les œuvres abouties et on sent moins une volonté de trash, de brutalité dans les matériaux  que l’on a pu voir précédemment. De toutes ces propositions se détachent certaines et en premier lieu, à nos yeux, celle de Jérémy Piette. L’artiste réalise de grandes photos en noir en blanc de jeunes hommes qui font preuve d’une grande sensualité et qu’il accroche directement sur les murs, à la manière d’un Wolfgang Tillmans. Ou il fait des vidéos qui s’apparentent à des contes et dans lesquelles interviennent des éléments surnaturels. Partout le désir fuse, la construction de soi se fait essentielle, mais l’intérêt du travail est de les mettre à distance, de ne pas les aborder frontalement et d’en faire des présences fantomatiques, des spectres qui se manifestent parfois non sans humour.

D’autres propositions s’imposent avec force : celle de Magali Halter, par exemple, qui se crée un double ténébreux et forme comme une sorte de scène théâtrale ; celle de Marie Ouazzani, qui porte, à travers des documents trouvés, un regard subtil et sensible sur la notion d’exotisme ; celle de Benoit Barbagli qui n’hésite pas à s’offrir, nu, aux éléments et aux lois de la gravitation, un peu dans l’esprit d’un Philippe Ramette ; celle d’une Juliette Liautaud qui associe la musique à l’image dans une démarche poétique et intime ; celle d’Helena Gouveia Montero qui travaille aussi l’image photographique, mais plus pour revenir aux origines de sa production, dans une approche conceptuelle ; celle de Jeanne Berberiau Aubry qui détourne les objets de leur fonction initiale pour leur donner d’autres, que l’on ne soupçonnait pas : ou celle de Maxime Duveau qui, en hommage à la culture rock des années 50-70,  fait de grands dessins de paysages californiens vidés de présence humaine ou gratte même directement le papier sur le mur ou le sol pour obtenir des transferts des formes qu’il y trouve…

03@sidneyguilleminOn retrouve Maxime Duveau dans l’exposition Le Noir, le Blanc et le Truand présentée à la galerie Espace à vendre, qui a pour particularité, en cette période estivale, de ne montrer que des dessins en noir et blanc (ou presque). Aux côtés de ses grandes feuilles évoquant l’ambiance si particulière de la « route » américaine, sont accrochés des dessins ou des interventions sur cartes postales très surréalistes et fantaisistes de Karine Rougier, de troublants portraits d’enfants de Stéphane Protic, des fragments de ville, d’architecture ou de lieux de circulation réalisés à l’encre de Chine par Chourouk Hriech et de magnifiques dessins de ruines, à la fois présents et plein d’absence, comme dans l’attente d’une reconstruction ou d’une nouvelle catastrophe, d’Emmanuel Régent.

vue salle 2 (1)Mais si vous passez par Nice, vous devez faire un détour par la galerie Helenbeck, qui présente une exposition, Words…Words…Words…, dont le titre est tiré d’une réplique du Hamlet de Shakespeare et dont le principe, très littéraire, est de ne présenter que des œuvres – à une ou deux exceptions près – qui comportent des mots dans leurs compositions. Ainsi, une gouache d’Alberola voisine-t-elle avec une photo de Frédéric Meliani, un dessin de Christo avec une petite œuvre mécanique de Jean Dupuy, un tableau d’Hyber avec une photo de Terry Richardson ou une toile de Quentin Derouet , co-commissaire, avec Chantal Helenbeck, de l’exposition et artiste dont il a plusieurs fois été question dans ces colonnes (cf http://larepubliquedelart.com/quentin-derouet/), avec une « écriture » de Ben, le tout sans souci de hiérarchie, d’école ou de genre. Et l’on écrit ainsi, en allant de la gauche vers la droite, une sorte de poème dadaïste qui est affiché à l’entrée de la galerie. C’est drôle, frais, à la fois léger et subtil, avec plein de belles pièces, mais sans prétentions, et constitue typiquement le genre d’expositions ludiques avec lesquelles on a envie de se faire plaisir en été.

 

Nice 2015 – Promenade (s) des Anglais, jusqu’au 4 octobre dans 13 musées et galeries de Nice (www.nice.fr)
Odyssée, jusqu’au 21 septembre à la Villa Arson, 20 av. Stephen Liégeard, et jusqu’au 4 octobre à la galerie de la Marine, 59 quai des Etats-Unis, Nice (www.diplomes2015.villa-arson.org)

Le Noir, le Blanc et le Truand, jusqu’au 12 septembre à la galerie Espace à vendre, 10 rue Assalit, Nice (www.espace-avendre.com, la galerie sera fermée entre le 4 et le 29 août)

Words…Words…Words…, jusqu’au 15 août à la galerie Helenbeck, 6 rue Defly, Nice (www.helenbeck.org)

 

Images : Raoul Dufy, Le casino de la jetée-promenade aux deux calèches à Nice, 1927, Peinture, huile sur toile, 38,7 x 54 cm, Musée des Beaux-arts Jules Chéret Inv. : N.Mba 5607 MAH-7375 ; Fête Romaine, le Banquet du Proconsul, Hotel Ruhl, Nice, 30 janvier 1924
les Tissier et les Donadei, Studio Mosesco, Nice; vue de l’exposition Odyssée avec des œuvres de Jeremy Piette, photo : Jean Brasille / Villa Arson ; vue de l’exposition Le Noir, le Blanc et le Truand à la galerie Espace à vendre, avec, à gauche un dessin de Maxime Duveau et, au fond, des dessins de ruines d’Emmanuel Régent (photo : Sidney Guillemin) ; vue de l’exposition Words…Words…Words… à la galerie Helenbeck, avec, entre autres, une toile de Fabrice Hyber, une photo de Terry Richardson, deux toiles de Ben, une technique mixte d’Erik Dietman, deux œuvres à la rose rouge de Quentin Derouet.

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