Semaine de Fiac sans Fiac
Cette semaine aurait dû être la semaine de la Fiac et les pieds des amateurs d’art contemporain frétillaient à l’idée d’arpenter les allées du Grand Palais. Mais la Fiac a été annulée et les pieds sont donc frustrés. Pas complètement, toutefois, car autour de la Fiac s’organisent tout un certain nombre d’événements (foires parallèles, nocturnes des galeries, etc.) qui, répondant aux normes sanitaires, ont pu être maintenus. Dans le but de créer une effervescence artistique dans Paris, bien sûr, même si celle-ci peut paraître illusoire. C’est ainsi que de nombreux vernissages ont eu lieu, que certaines grandes enseignes, comme Perrotin, Almine Rech ou Kamel Mennour, ont même reconstitué dans leurs espaces les stands qu’elles avaient prévus pour la foire, que Paris internationale se tient pour partie en ligne pour partie dans un supermarché désaffecté du 9e arrondissement (www.parisinternationale.com) et que la foire Galeristes sera au rendez-vous du Carreau du Temple du 23 au 25 octobre (www.galeristes.fr). Trois expositions ont retenu notre attention.
La première se tient chez David Zwirner et elle est consacrée au jeune artiste anglais né en 1986 en Colombie, Oscar Murillo. C’est un artiste qu’on a peu vu en France (à part une exposition au Jeu de Paume), alors qu’il a été montré dans de nombreux musées et biennales (dont la dernière Biennale de Venise, où il présentait un projet qui sollicitait la participation d’enfants). Sa pratique comprend la peinture, mais aussi la sculpture, les installations, les actions, etc., l’ensemble visant à mettre l’accent sur les notions d’échanges culturels et sur la manière dont les idées, les langues et même les objets quotidiens circulent et s’échangent dans notre univers mondialisé. Il travaille beaucoup en collaboration et en particulier avec sa famille. C’est ainsi qu’elle l’aide à coudre les anciennes toiles qu’il recycle ou qu’il assemble avec d’autres matériaux comme le velours et le lin, dans l’idée de créer une sorte de collage qui crée une nouvelle surface et fédère toutes les énergies contenues dans celles-ci..
Les toiles qu’il présente actuellement dans l’espace parisien de la puissante galerie américaine ont été réalisées pendant le confinement, alors qu’il se trouvait dans sa ville natale colombienne, La Paila, où il a été contraint de passer plusieurs mois. Elles font partie d’une série « manifestation », qui veut témoigner d’un engagement politique et d’une manière de résister face au pouvoir (Oscar Murillo y inscrit les mots « power », « laws », « news », qu’il efface ensuite pour n’en laisser qu’une trace). Comme elles sont abstraites, elles ne renvoient pas spécifiquement à une cause plutôt qu’à une autre. Mais elles dégagent une énergie, une force, une violence qui traduisent immédiatement la fougue et la colère.
Pensés pour le magnifique espace qui fut jadis celui de la galerie Yvon Lambert, ces très grands formats interpellent d’emblée le visiteur. Dans un premier temps, l’artiste ne les a pas seulement cousus (on voit encore des fils qui pendent), mais il les a barbouillés rageusement de peinture sombre qu’il a associée à des objets trouvés ça et là. Ce qui fait que lorsqu’on s’approche des toiles, on est frappé par la multitude de détails, d’épaisseurs, de superpositions. Mais dès qu’on s’en éloigne, ce sont les traits tracés agressivement à l’aide de couleurs éclatantes (un bleu céruléen, un rouge flamboyant) qui prennent le dessus. Il se joue ainsi constamment un rapport d’échelle, on passe du micro au macro avec la même intensité et ce qui fait la force de la peinture d’Oscar Murillo, c’est qu’elle ne verse jamais dans le décoratif, qui est le danger qui guette souvent la peinture non figurative. Au-delà des revendications et de l’engagement physique qu’elle porte (ou sans doute grâce à eux), elle possède des qualités plastiques qui font penser à l’abstraction lyrique des années 50, mais dans une forme furieusement contemporaine.
Un autre artiste parvient à ne jamais verser dans le décoratif, alors que sa pratique pourrait l’y inciter : Pieter Vermeersch, qui expose actuellement chez Perrotin. Mais lui en grande partie grâce à son travail sur les matériaux qu’il renouvelle sans cesse. On avait découvert son travail (cf https://larepubliquedelart.com/de-limmateriel-au-charnel/) grâce à ses toiles contemplatives (qui partent toujours d’une photographie de paysage) où la lumière semble délicatement se décomposer. Puis il avait voulu y associer le marbre, soit en l’accolant à la toile (pour le contraste entre deux matériaux, deux temporalités, deux états de nature), soit en peignant dessus comme pour dialoguer avec le spectre de couleurs qui le compose. Aujourd’hui, il réutilise le marbre, mais le recouvre partiellement d’une sérigraphie de paysage largement agrandie et rendue méconnaissable, pour jouer là-encore sur l’abstrait et le figuratif, la matière naturelle et la matière composée, le léger et le lourd. Ou il a recours au bois fossilisé, que le temps a, selon lui, « minéralisé », pour y apposer en partie ses dégradés subtils. On peut être moins sensible à cette démarche un rien formaliste (en particulier celle avec les sérigraphies), mais force est de reconnaître que ce bel artiste sait se renouveler et innover constamment.
De même qu’on pourrait trouver répétitive la démarche de Stephan Balkenhol, qui consiste, selon la tradition germanique, à tailler directement ses sculptures au maillet et au couteau dans des troncs d’arbre en laissant à nu l’aspect brut du bois, puis à les peindre (Baselitz a travaillé dans le même esprit, mais à une plus grande échelle). Mais elles sont tellement pleines de charme, d’humanité (elles sont toujours à hauteur d’homme) et, au fond, de fausse ingéniosité qu’on ne se lasse pas de les regarder. Et l’artiste, qui a beaucoup répondu à des commandes publiques, conçoit ses expositions en fonction de l’espace qu’il a à investir. C’est le cas de celle qu’il présente actuellement, sous le commissariat de Caroline Smulders, au siège du Conseil économique et social conçu par Auguste Perret, cet architecte à qui on doit l’entière reconstruction de la ville du Havre, après la Seconde Guerre mondiale. Grand connaisseur de son œuvre, Stephan Balkenhol a installé ses sculptures en écho à l’alignement des colonnes tronconiques qui structurent le bâtiment. Il a ainsi constitué une sorte de forêt humaine dont les silhouettes se découpent dans les grandes fenêtres situées derrière elles et qui ouvrent sur le paysage environnant. C’est un monde de fantaisie, qui va la Marianne au bonnet phrygien au roi couronné, en passant par Venus ou l’Esclave, qui surgit devant nous, pour notre plus grand plaisir.
-Oscar Murillo, News, jusqu’au 19 décembre à la galerie David Zwirner, 108 rue Vieille-du-Temple 75003 Paris (www.davidzwirner.com)
-Pieter Vermeersch, jusqu’au 19 décembre à la galerie Perrotin 75003 Paris (www.perrotin.com)
-Stephan Balkenhol, Le Prévu et l’Imprévu, jusqu’au 30 octobre au Palais d’Iéna, 9 Place d’Iéna 75016 Paris
Images: Oscar Murillo: manifestation, 2019-2020, oil, oil stick, cotton thread and graphite on velvet, canvas and linen © Oscar Murillo, Courtesy the artist and David Zwirner: manifestation, 2019 (detail), oil, oil stick, cotton thread and graphite on velvet, canvas and linen © Oscar Murillo, Courtesy the artist and David Zwirner: Vue de l’exposition de Pieter Vermeersch à la Galerie Perrotin © Claire Dorn/ Courtesy of the artist & Perrotin; Stephan Balkenhol, Sklave, 2020, Douglas fir, dimensions tbc 180 x 80 x 40cm, approx. 150kg © Stephan Balkenhol/ADAGP, Paris, 2020, Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, London, Paris, Salzburg
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