Seules les galeries…
2021 commence de la même manière que 2020 s’est achevée, c’est-à-dire sans visibilité aucune sur la date de réouverture des musées et des lieux culturels. Il faudra donc attendre quelques jours, voire quelques semaines pour pouvoir découvrir l’exposition d’Edgar Sarin au Centre d’art de Clamart, celle de Mireille Blanc à l’Espace Lambert de Juvisy-sur-Orge, celle de Tarik Kiswanson au Carré d’art de Nîmes ou pour retrouver Matisse au Centre Pompidou ou Victor Brauner au Musée d’art moderne de la Ville de Paris…
En attendant, les seuls endroits qui nous permettent de voir de l’art en vrai sont les galeries, qui viennent de rouvrir après les Fêtes de Noël. Les plus grosses structures sont celles qui présentent les offres les plus alléchantes, bien sûr, parce qu’elles disposent de davantage de moyens. Chez Marian Goodman, par exemple, on peut voir jusqu’à la fin de la semaine les premières œuvres de Robert Smithson, réalisées bien avant ses grandes interventions en milieu naturel comme la « Spiral Jetty ». En fait il s’agit d’œuvres qui étaient dans la collection de Nancy Holt, l’épouse de l’artiste, morte en 2014 et qui a géré sa succession de 1973 à sa mort. De ce fait, elles ont été très peu montrées. Il s’agit de dessins ou de peintures qui, de manière prémonitoire, explorent l’impact des êtres humains sur notre planète. On y voit entre autres une série d’études sur les sculptures créées par le déversement de coulées de terre dans des environnements donnés (il en réalisa plusieurs en 1969-1970). Toutes les réflexions de Smithson sont passionnantes et trouvent un écho particulièrement puissant dans le contexte actuel.
Autre grande enseigne à proposer une exposition de qualité quasi muséale, la galerie Thaddaeus Ropac, qui fête cette année les 30 ans de son installation à Paris. A cette occasion, elle présente dans son immense espace de Pantin une exposition qui se déroulera en trois temps et qui et qui regroupera des œuvres historiques des artistes de la galerie. Dans ce premier accrochage, et pour rendre hommage à l’art américain qui constitua son programme d’origine (la vocation de la galerie de Salzbourg était de faire découvrir cette forme d’art au public européen), on trouve des œuvres de Warhol (des portraits de Beuys, dont Thaddaeus Ropac fut l’assistant), de Sol LeWitt, de Mapplethorpe ou d’Alex Katz, mais aussi des pièces majeures de Baselitz, de Kiefer, de Robert Longo, de Valie Export ou d’Antony Gormley. Bref, la crème de la crème, dans un lieu exceptionnel et dont l’entrée, rappelons-le, est gratuite.
Et en ces temps troubles et incertains, certaines galeries ouvrent même de nouveaux espaces (un regroupement s’opère actuellement autour de l’avenue Matignon). C’est le cas de Kamel Mennour, qui a déjà un pied dans le 8eme arrondissement et qui occupe désormais 600m2 supplémentaires 5 rue du Pont de Lodi, en face du 6, qu’il occupe toujours, sur la rive gauche. Pour cette exposition inaugurale, il a demandé à deux plasticiens-phares de son écurie, Daniel Buren et Philippe Parreno, de se réunir et de concevoir un projet ensemble. Les deux, qui ne se connaissaient pas, mais qui avaient l’un pour l’autre une admiration réciproque, ont imaginé une sorte d’immense installation qu’ils ont intitulée : Simultanément, travaux in situ et en mouvement. Le principe en est à la fois simple et extrêmement complexe et il a le mérite de mettre en valeur l’architecture même de la galerie : Phillipe Parreno a fait recouvrir de filtres colorés les fenêtres de celle-ci qui donnent sur la rue et il a relié les stores qui les découvrent ou les occultent à un capteur situé dans la Seine et qui réagit en fonction des mouvements. Ce sont donc les différents allers et venues sur le fleuve (une péniche qui passe lentement, une vedette qui fonce) qui règlent ce ballet incessant de stores qui se lèvent ou qui s’abaissent, éclairant ou assombrissant certains espaces de la galerie. Et cette lumière plus ou moins intense se reflète dans les colonnes en miroir que Buren a installées comme pour instaurer une perspective (il a « habillé » les colonnes déjà existantes et en a rajouté d’autres). Toute la question de l’apparition et du fantôme -des thèmes qui sont au cœur de la pratique de Parreno- hante bien sûr cette exposition et trouve une amplification dans le travail sur l’espace de Buren, qui a aussi fait en sorte qu’on ne voit une autre partie de la galerie qu’en transparence. C’est plutôt magique, même si on connaissait déjà cet aspect du travail du Parreno, cela rappelle la très belle exposition qu’il avait présentée au Palais de Tokyo et, du point de vue de Kamel Mennour, assez culotté, car le marchand aurait pu étendre son empire à l’étranger plutôt que de s’agrandir à Paris, où il occupe désormais quatre lieux.
Mais les structures plus légères ont encore leur mot à dire et leur travail de défrichage reste indispensable dans cette période de repli sur soi. C’est ainsi que Marcelle Alix présente une exposition collective, intitulée Dans la tiédeur de la nuit et dans laquelle le corps et les humeurs occupent une place importante. Aux côtés de deux figures déjà reconnues (Michael Dean, qui présentent des pièces en sable sur lesquels apparaissent des traces de pieds, et Mira Schor, une artiste autant connue pour sa peinture que pour son engagement féministe), sont présentés pour la première fois les dessins de la jeune Tirdad Hashemi (né en 1991), que l’on avait déjà remarquée lors du Prix Emerige de 2019 ( cf Je me souviens de 2019 – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). Il s’agit donc d’une artiste iranienne venue à Paris pour y vivre librement sa sexualité et son mode de vie alternatif. Ses dessins sont à cette image, sans distance aucune avec le privé : libres, immédiats, rapides, presque brutaux (on est d’ailleurs surpris en suivant l’artiste sur Instagram de voir à quel point les œuvres qu’elle poste se mélangent à ses photos personnelles). On pourrait n’y voir que maladresse ou laisser-aller, voire je-m’en-foutisme ou naïveté, s’il ne s’en dégageait une force vitale, une énergie et, pour tout dire, une sensualité qui forcent l’admiration. Il y a un côté punk dans ce travail où les corps se mélangent, où les déjections pleuvent, où la vie ne s’épargne jamais. Tout cela peut être les prémisses d’un grand œuvre brûlant (à la manière d’un Schiele ou d’un Basquiat) ou de rien du tout, en fonction de la manière dont l’artiste évoluera, mais sans juste milieu, sans alternative, sans modération. C’est ce qui fait l’intérêt de ce journal intime à quitte ou double que l’on va continuer de regarder avec attention et qui va d’ailleurs bientôt être montré chez gb agency, dans le cadre du cycle « Breeze » consacré aux talents émergents.
Enfin, je voudrais annoncer l’exposition d’œuvres sur papier, Varia, qui ouvre samedi à la galerie Jean Brolly. Outre les artistes de la galerie, comme Mathieu Bonardet ou Nicolas Chardon, on y trouvera des pièces d’artistes invités comme Odonchimeg Davaadorj, Barthélémy Toguo ou Yan Pei-Ming. Et pour la « vitrine », l’espace situé sur la rue, le galeriste a confié à Mathieu Cherkit le commissariat d’une exposition de petites peintures : Passage. Là, ce sont plein d’artistes qu’on aime bien qui se tiendront compagnie : entre autres, Bernard Aubertin, Julien Des Montiers, Thomas Lévy-Lasne, Eva Nielsen, Nazanin Pouyandeh. Bref, il serait étonnant que l’on ne trouve pas chaussure à son pied dans cet aréopage divers et brillant.
-Robert Smithson, Primordial Beginnings, jusqu’au 9 janvier à la galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple 75003 Paris (www.mariangoodman.com)
–30 Years in Paris, jusqu’au 26 juin à la galerie Thaddaeus Ropac, 69 avenue du Général Leclerc 93500 Pantin (www.ropac.net)
-Daniel Buren et Philippe Parreno, Simultanément, travaux in situ et en mouvement, jusqu’au 27 février à la galerie Kamel Mennour, 5 rue du Pont de Lodi 75006 Paris (www.kamelmennour.com)
–Dans la tiédeur de la nuit, jusqu’au 6 mars à la galerie Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020 Paris (www.marcellealix.com)
–Varia et Passage, jusqu’au 27 février à la galerie Jean Brolly, 16 rue de Montmorency 75003 Paris (www.jeanbrolly.com)
Images: Vue de l’exposition Daniel Buren–Philippe Parreno « Simultanément, travaux in situ et en mouvement », kamel mennour [5 rue du Pont de Lodi], Paris, 2020© Daniel Buren, Adagp© Philippe Parreno Photo. archives kamel mennour Courtesy the artists and kamel mennour, Paris/London ; Andy Warhol Joseph Beuys (Diamond Dust), 1980 Silkscreen ink and diamond dust on canvas 101,6 x 101,6 cm (40 x 40 in) (AW 1284) Courtesy Thaddaeus Ropac, London · Paris · Salzburg Photos: Charles Duprat © the artists ; Tirdad Hashemi, Champagne Showers, mixed-media, 18 x 28 cm Courtesy Marcelle Alix Photo Aurélien Mole ; Adam Adach, Sans titre, 2013, technique mixte sur papier, 40 x 32 cm
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