de Patrick Scemama

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La République de l'Art
So British!, le Pinault anglais à Rouen

So British!, le Pinault anglais à Rouen

Fondé au début du XIXe siècle, le Musée des Beaux-Arts de Rouen est une des collections publiques les plus importantes de France, après Paris, qui réunit peintures, sculptures, dessins et objets d’art de toutes les époque, du XVe siècle à nos jours. La peinture du XIXe siècle y est particulièrement bien représentée, avec des toiles de Géricault, Delacroix, Corot ou Gustave Moreau. Mais celle du siècle précédent n’est pas en reste (Fragonard, Boucher, Hubert Robert), ni celle du Grand Siècle (Rubens, un somptueux Caravage, Poussin, Velasquez, etc.). Et bien sûr, les Impressionnistes y ont une place particulière, eux qui firent de la Normandie leur terre d’accueil.

Mais depuis quelques années, le Musée, qui a su -sous l’impulsion de son directeur, Sylvain Amic, et de manière très novatrice- se constituer en une structure qui rassemble sept autres musées de la Métropole Rouen Normandie, s’est ouvert au contemporain et, l’an passé, par exemple, il a présenté une formidable exposition consacrée à Marcel Duchamp, un autre enfant du pays (cf http://larepubliquedelart.com/duchamp-de-z/). Cette année, il s’est tourné vers la Collection Pinault et a demandé à son directeur, Jean-Jacques Aillagon, le prêt de quelques œuvres. Qu’on soit clair : il ne s’agit d’une grande exposition d’œuvres de la Collection Pinault, comme ce fut le cas l’an passé, au Couvent des Jacobins de Rennes, mais bien de l’emprunt, pour une durée d’une année, d’œuvres qui trouvent leur place au sein des collections. Peu. Une dizaine seulement. Et qui sont toutes le fruit d’artistes anglais, parce qu’on connaît les liens de la Normandie avec la Grande-Bretagne (d’où le titre de l’exposition : So British !).

L’entreprise pourrait sembler anecdotique si, d’une part, il ne s’agissait d’œuvres importantes, et si, de l’autre, leur présence ne faisait pas vraiment sens au sein des collections. Or ce n’est pas le cas. Et c’est ce qui rend la confrontation stimulante, parce qu’elle ouvre un vrai dialogue avec les œuvres en place. Elle commence par une grande pièce de Gilbert & George, Cry, qui fait écho au Jugement dernier, un vitrail du XVe siècle, car le travail de l’excentrique duo anglais reprend les codes de l’art qui permet de traduire les textes sacrés dans une composition simple et efficace (grille, cercle noir qui délimite les formes, couleurs franches en nombre limité). Plus loin, une grande peinture de Damien Hirst, Dark Soul, qui inclut, comme de nombreuses autres œuvres de l’artiste,  un vrai papillon (le symbole de la libération de l’âme après l’existence terrestre) se révèle particulièrement en phase avec la salle des Vanités du XVIIIe siècle et lui rend sa véritable signification. Plus loin, c’est une magnifique forme en bois évidé de David Nash qui répond à un Christ en croix d’Adrien Sacquespée ou une impressionnante sculpture représentant un Christ sur une chaise électrique de Paul Fryer (un compagnon de route de Hirst) qui fait écho, entre autres, à un Saint-André mis au tombeau de Jean-Baptiste Deshays de 1758. Au total, dix œuvres qui provoquent la surprise et conversent avec les chefs-d’œuvre du passé, parmi lesquelles celles de Thomas Houseago, Nigel Cook ou Keith Tyson.

Mais si une seule justifiait le voyage à Rouen, ce serait le sublime triptyque de Lynette Yiadom-Boakye, Uncle of The Garden, qui trouve sa place dans la galerie des portraits du XIXe siècle. Lynette Yiadom-Boakye, on l’avait découverte à Venise, il y a quelques années, puis on avait vu ses expositions à la Serpentine Gallery de Londres ou à la Haus der Kunst de Munich. Cette année, alors qu’elle est devenue célèbre, elle fait partie des artistes représentant le Ghana, dont le pavillon a été souvent cité pour le Lion d’Or, dans la Biennale de la Sérénissime. Car même si elle est née et vit à Londres, l’artiste est originaire du Ghana et elle s’est fait une réputation en ne peignant, au rythme d’une toile par jour -mais pas tous les jours-, que des personnages noirs, mais selon les codes de la peinture occidentale classique et comme pour souligner à quel point celle-ci était conçue, particulièrement sur le plan chromatique, pour des sujets blancs (elle utilisait, par exemple, des fonds sombres pour mieux faire ressortir la carnation de la peau).

A Rouen, son triptyque prend pour point d’appui un portait d’ouvrier noir que Géricault peignit comme étude pour son gigantesque Radeau de la Méduse (la passionnante exposition sur le « modèle noir » qui se tient actuellement au Musée d’Orsay nous apprend que, dans le fait divers authentique du Radeau de la Méduse, il n’y avait pas d’hommes noirs, mais que c’est le peintre qui a tenu à en rajouter). A côté des œuvres de tous ces artistes célèbres, il semble corriger l’histoire avec une qualité d’exécution qui ne leur est pas inférieure et on reste longtemps à l’admirer.

Pour elle, donc, mais aussi pour l’ensemble des œuvres présentées ou pour l’autre très belle exposition qui se tient actuellement au Musée (autour de Braque, Miro, Calder et Nelson, artistes qui se retrouvèrent et travaillèrent dans le village proche de Varangéville), il faut aller sur les traces de Madame Bovary dans la capitale normande.

So British, jusqu’au 11 mai 2020 au Musée des Beaux-Arts de Rouen, entrée gratuite (www.musees-rouen-normandie.fr)

 

Images : Lynette Yiadom-Boakye, Uncle of The Garden, 2014, © Photo Marcus Leith, London, Courtesy of Corvi-Mora, London and Jack Shainman Gallery, New York © Collection Pinault; Paul Fryer, Pieta (The Empire Never Ended), 2007 © Photo Dan Colen, © Collection Pinault, Paul Fryer, 2019, vue d’exposition “Lo Spirito Vola”, Gucci Museo, 17 mars-4 septembre 2012

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commentaire

Une Réponse pour So British!, le Pinault anglais à Rouen

Gascon dit :

Je confirme: Lynette Yadom-Boakye est une magnifique artiste!

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