de Patrick Scemama

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La République de l'Art
A deux c’est encore mieux: Karina Bisch et Nicolas Chardon

A deux c’est encore mieux: Karina Bisch et Nicolas Chardon

Karina Bisch et Nicolas Chardon forment un couple et travaillent dans le même atelier. Ils conçoivent parfois des œuvres à quatre mains et ont toujours un œil sur le travail de l’autre, mais, la plupart du temps, leur pratique est individuelle. Nicolas, lui, fait de la peinture géométrique, mais en utilisant une trame déjà existante (très souvent un tissu vichy) et en suivant cette trame qui se déforme sous l’effet de la tension (l’idée lui en est venue en voyant des ballets de Merce Cunningham). Ainsi, ce qui devrait être droit et parfaitement dessiné devient courbe, imprécis, mou et perd volontairement toute l’autorité et la rigidité du projet original. Karina, elle, travaille sur la couleur, l’exubérance, la prolifération. Elle fait de la peinture, mais aussi de la sculpture, du collage, de la tapisserie, des vêtements, l’idée étant toujours de formes que l’on trouve aussi bien dans les hautes que dans les basses sphères de la culture et qui circulent, se recyclent, se transforment. Leur travail fait souvent référence à l’histoire de l’art (et en particulier aux mouvements avant-gardistes du début du XXe siècle comme Dada ou le Suprématisme), mais il est aussi plein d’humour, de fantaisie, de dérision.

L’exposition qu’ils présentent en commun actuellement au Mac Val de Vitry-sur-Seine, sous le commissariat de Franck Lamy, s’intitule Modern Lovers et on peut la traduire de différentes manières. S’agit-il « d’amoureux de la modernité », ce qui serait cohérent avec leurs goûts affichés, ou « d’amoureux modernes », ce qui pourrait être leur manière d’envisager la vie à deux ? Quoiqu’il en soit, elle s’ouvre par une grande photo rigolote, en noir et blanc, qui les représente devant une voiture un peu rétro, dans la cour de ce qui semble être un pavillon de banlieue, à la manière d’un couple d’américains dans les années 50. Plus loin, une salle présente d’un coté les peintures en forme de variations sur une frise de Nicolas et les patchworks et les sculptures modernistes de Karina. Une autre de très grandes tapisseries qu’ils ont réalisées tous les deux. Une autre encore met en abyme une grande photo, elle aussi en noir et blanc, de leur véritable atelier avec la présentation de ce qu’elle met en scène (une grande peinture qui se prolonge par une robe), pour de vrai, dans le musée. L’exposition se termine par une pièce qui s’apparente à la chambre à coucher et à l’intérieur de laquelle deux poupées en chiffon sont allongées qui représentent l’une un corps féminin, l’autre un corps masculin, sous le regard à la fois kitsch et ironique d’un pierrot peint qui fait office de lampe.

On l’aura compris : ce qu’ont cherché à reproduire Karina Bisch et Nicolas Chardon est aussi bien leur propre lieu d’habitation, qu’un espace mental ou qu’une maquette (de nombreux sièges ont d’ailleurs été disposés le long du parcours, qui invitent le spectateur à s’y installer). Une sorte de plateau de cinéma où tout se mêle, le vrai, le faux, la peinture, le décor, le travail sérieux et la fantaisie. « Le musée habite la maison, la peinture expose le décor, la maison décore la peinture, le décor peint le musée », s’amusent-ils à dire. Et c’est ce qui fait la force et l’originalité de leur exposition. Car on peut trouver un peu répétitif le travail de Nicolas Chardon qui, même s’il parvient à se renouveler, reste quand même sur un seul et même principe ; on peut juger amusantes et pleines de joies les œuvres de Karina Bisch, mais un rien superficielles, on ne peut que s’émerveiller de la façon dont ils ont conçu cette présentation et de l’intelligence de leurs choix. Du coup, c’est l’exposition elle-même qui devient une œuvre et non plus la confrontation de différentes pièces dans une même espace, c’est elle qui devient une proposition, une invitation, une expérimentation. Qu’on soit donc sensible ou pas à la pratique de ces « Modern Lovers », on ne peut qu’admirer l’art et la manière qu’ils ont de travailler et de se produire ensemble.

-Karina Bisch et Nicolas Chardon, Modern Lovers, jusqu’au 28 août au Mac Val  (Musée d’art contemporain du Val de Marne) de Vitry (www.macval.fr)

Images : Karina Bisch, Farbenfroh, 2021. Patchwork en tapisserie mécanique, 175 × 260 cm. Courtesy Karina Bisch. Production MAC VAL. Réalisation Atelier Néolice, Felletin. © Adagp, Paris 2022. ; Karina Bisch & Nicolas Chardon, Coeurs Feuilles Carrés, 2021. Tapisserie mécanique, 350 x 300 cm. Courtesy Karina Bisch & Nicolas Chardon. Production MAC VAL. Réalisation Atelier Néolice, Felletin. © Adagp, Paris 2022 ; Nicolas Chardon, Damier rouge et bleu, 1998. Acrylique sur tissu, 74 x 55 cm. Courtesy Nicolas Chardon. © Adagp, Paris 2022

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