A Montrouge, on cultive son jardin
L’ouverture d’un nouveau lieu d’exposition est toujours une bonne nouvelle. Surtout lorsqu’il est parrainé par un artiste aussi talentueux et généreux que Fabrice Hyber. Les Jardiniers, à Montrouge, qui a été inauguré le week-end dernier, est une ancienne usine d’hélices devenue par la suite l’atelier des jardiniers de la ville. Ce bel espace de 600 m2 se veut un lieu hybride, qui propose surtout des expositions (au rythme de quatre par an, dont une en lien direct avec le Salon de Montrouge), mais permet aussi de satisfaire des envies plus matérielles dans un restaurant, La Cantine, qui privilégie les produits locaux, de saison et d’agriculture responsable. On peut aussi y lire, y flâner, y assister à des conférences, bref, c’est un lieu ouvert aussi bien aux habitants de Montrouge qu’aux parisiens voisins et qui incite à prendre son temps.
L’exposition inaugurale s’intitule NO FUTURE comme disaient les punks. Les commissaires en sont Adrien van Melle–Nehama, Henri van Melle et Titi M. Cerina, qui précisent qu’elle a pour thème le « rapport esthétique et critique qu’entretiennent les artistes avec les enjeux écologiques ». « Ce slogan “NO FUTURE”, caractéristique du mouvement punk, rappelle à une forme d’urgence, parfois enclin au nihilisme mais aussi à leur inventivité dans le désordre. La formule complète “no future .. for you!” s’adresse à la bourgeoisie, en s’opposant fermement à sa morale et ses mœurs. Par un renversement de l’ordre dominant, l’idée du beau convenu est questionné – ainsi le propose Paul B. Preciado dans son article Après la beauté », précisent-ils encore.
Bon, tout cela n’est pas d’une originalité folle et on ne compte plus les expositions qui prennent leur appui sur l’état du monde au regard de la catastrophe écologique (j’ai récemment rendu compte, par exemple, des expositions de Daniel Steegmann Mangrané Dans l’oeil de la nature – La République de l’Art (larepubliquedelart.com) et de Julian Charrière Julian Charrière, l’écologie comme aventure – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Mais elle réunit une liste d’artiste vraiment intéressante, qui interviennent dans des domaines aussi différents que la photo, la peinture, la vidéo ou la sculpture.
Il faudrait d’abord citer cette photo prémonitoire de l’artiste allemand HA Schult qui, dans les années 7O, n’a pas hésité, lors d’une performance, à remplir de détritus ce haut-lieu du tourisme mondial qu’est la Place Saint-Marc de Venise (et qui fait écho à la Biennale d’art qui s’y déroule actuellement). Elle renvoie aux poubelles calcinées d’Anita Molinaro ou à la vidéo sur les algues vertes de Julie Vacher. Mais c’est sans doute par la peinture que cet « état du désastre » s’illustre le plus amplement. Pauline Bazignan, qui bénéficie d’une exposition personnelle en ce moment à la galerie Praz-Dellavalade, signe un très beau triptyque, entre la figuration et l’abstraction, où des fleurs sont comme atomisées, où la violence éclate, mais sans que cela empêche le raffinement ou la délicatesse. Eva Nielsen joue aussi l’ambiguïté en mélangeant la peinture, la photo et la sérigraphie. Quant à Lucy Ivanova, sur des toiles libres, elle nous rappelle les horreurs et les ravages qui se produisent en Ukraine.
Les garçons ne sont pas en restent. Bruno Gadenne, dont on suit la carrière avec attention, est un grand voyageur qui ramène de ses périples des images qu’il retranscrit ensuite en les parant de couleurs étranges ou en les cadrant dans une symétrie qui rappelle le test de Rorschach. Jean-Baptiste Boyer, dans un réalisme troublant et des références à l’histoire de l’art, peint une station de métro après l’explosion. Et Louis Le Kim inscrit des scènes de fin du monde dans des architectures brutalistes.
Mais arrêtons-nous sur un cas, celui de Sacha Cambier de Montravel. Ce tout jeune artiste, que l’on avait remarqué lors de l’édition printanière de Private Choice et qui vient d’être diplômé des Beaux-Arts de Paris, peint de petits formats, comme des icônes, qui font références à l’art médiéval. Mais le sujet en est, lui, bien contemporain. Sur un panneau, par exemple, on voit un jeune homme, habillé comme pour une scène SM gay, faire signe à un chien qui le regarde fixement (le grand méchant loup ?). Derrière, le ciel est sombre et ce sont sous de grands nuages gris que tournent des éoliennes, tandis qu’au sol, une architecture futuriste rouge barre l’espace (une éolienne tombée ?). Tout est trouble dans le travail de ce garçon qui mêle le désir, la sexualité et la destruction dans ce qui pourrait faire penser à une danse infernale (à Private Choice, il avait montré une peinture intitulée La Mort de Marc-Antoine, qui, à travers des scènes d’excès et de débauche, marquait la fin de la période hellénistique et du culte de Dionysos, mais renvoyait aussi aux printemps arabes). Tout y est délibérément à double-sens et faussement naïf. Mais c’est aussi ce qui fait le charme de cette peinture dont il faut se rapprocher pour voir tous les détails et saisir toutes les subtilités. Un peu quand comme jadis il fallait soulever un voile ou se saisir d’une loupe pour discerner des images licencieuses. Avec la même jubilation et le même plaisir pervers.
– NO FUTURE comme disaient les punks, jusqu’au 21 juillet aux Jardiniers, 9/11 rue Paul Bert 92120 Montrouge (www.lesjardiniers.org)
Images : Pauline Bazignan, 20240124, 6.11.2023-24.01.2024, 2024, acrylique sur toile, 160×90 ; Bruno Gadenne, La clairière rouge, 2020, Courtesy de l’artiste ; Sacha Cambier de Montravel, Ils se toisèrent un jour de septembre, Peinture à l’huile sur panneau de bois 15×20 cm, courtesy de l’artiste
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