Julian Charrière, l’écologie comme aventure
Dans un précédent post (cf Dans l’oeil de la nature – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), j’évoquais Daniel Steegmann Mangrané, ce très beau plasticien, dont l’œuvre tourne autour des questions écologiques, mais avec des moyens très simples, fragiles, presque minimaux. Ce sont les mêmes questions qui nourrissent le travail de Julian Charrière, qui présente sa première exposition à la galerie Perrotin, mais les manières d’y répondre sont à l’opposé, elles empruntent des chemins radicalement différents, même si elles participent d’une même curiosité de l’univers. On avait découvert cet artiste franco-suisse, ancien élève d’Olafur Eliasson, qui vit à Berlin et qui a été nominé pour le Prix Duchamp en 2021, il y a plusieurs années déjà, lorsqu’il faisait partie de feu la galerie Bugada-Cargnel. A l’époque, il montrait de grands tirages du site de Tchernobyl, sur lequel il était allé et où il avait illégalement subtilisé des morceaux de sol radioactifs, qu’il avait mis en contact des négatifs, provoquant ainsi des taches et des altérations sur les photos. Et lors d’une exposition au Centre culturel suisse, il avait imaginé une grande installation composée de mappemondes dont il avait gommé les frontières en les ponçant à l’aide de papier de verre fait à partir de sable provenant de pays reconnus par l’ONU.
Car l’artiste est un aventurier, qui va sur le terrain, rencontre les autochtones et n’hésite pas à mettre en jeu sa personne. C’est ainsi qu’on a pu le voir aussi attaquer un iceberg à l’aide d’un chalumeau ou parcourir le monde pour ramener divers matériaux dont il fait des œuvres qui se traduisent en différents médiums (photos, vidéos, sculptures, installations) et qui dénoncent toutes le danger des énergies fossiles et la catastrophe écologique qui nous menace. Volontiers baroudeur, Julian Charrière semble faire fi des difficultés.
Sa première exposition dans la puissante galerie française qui n’en finit pas d’ouvrir des espaces à l’international (surtout en Asie) s’intitule Panchronic Garden, du nom d’une installation qu’il a réalisée il y a deux ans et qui réactivée ici. Il s’agit d’une pièce sombre dans laquelle on pénètre et qui n’est éclairée que par une lumière infra-rouge. Elle est remplie de fougères ancestrales qui reconstituent un biotope du « Carbonifère », l’ère géologique correspondant à la période où a été formé le charbon. A l’époque, ces espaces, à partir desquels on a extrait les énergies fossiles, étaient des forêts luxuriantes qui formaient un écosystème et communiquaient entre elles. Des sons générés par des systèmes informatiques reproduisent, d’ailleurs, les bruits qu’on pouvait vraisemblablement y entendre. Avec cette œuvre dans laquelle on a tout le temps le sentiment de se perdre (les murs sont recouverts de papier miroitant), Julian Charrière reconstitue une sorte de paradis perdu, un monde vierge, avant l’intervention humaine, qui abolit le temps (le mot «panchronique» désignant un organisme animal ou végétal qui présente une forte ressemblance morphologique avec une espèce disparue.)
Dans les autres salles, on trouve d’autres œuvres anciennes de l’artiste, comme cette spectaculaire vidéo dans laquelle on voit une fontaine enflammée (And Beneath It All Flows Liquid Fire, 2019) et qui, en faisant cohabiter des éléments contraires, l’eau et le feu, symbolise le risque d’assèchement provoqué par le réchauffement climatique. Ou cette série de photos qui sublime les séquelles de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures en Californie (Buried Sunshines Burn, 2023), en les prenant depuis le ciel, sous un angle qui rappelle l’héliogravure – une technique ancestrale de la photographie -, et en les parant d’un éclat flamboyant qui cache, de manière psychédélique, la pollution liée au pétrole. Ou ces sculptures composées de roche volcanique, A Stone Dream Of You, hybridés avec des orbes d’obsidienne noire dont l’aspect vitreux s’apparente à des yeux qui nous regardent, comme pour nous ramener à l’origine des temps et nous rappeler les dégâts que nous avons fait subir à notre planète.
Bref, plus qu’à une exposition, Julian Charrière nous invite à une expérience, dont l’activisme est clairement revendiqué, mais qui ne manque pas ni de beauté ni de poésie pour autant.
-Julian Charrière, Panchronic Garden, jusqu’au 1er juin à la galerie Perrotin, 10 impasse Saint-Claude 75003 Paris (www.perrotin.com). A noter, dans cette même galerie, une très belle exposition de peintures et de dessins de Hernan Bas.
Images : Julian Charrière, Panchronic Garden, 2022, Installation view, Controlled Burn, Langen Foundation, Neuss, Germany, 2022, Copyright the artist; VG Bild-Kunst, Bonn, Germany, Photo by Till Bovermann; And Beneath It All Flows Liquid Fire, 2019, Video still, Copyright the artist; VG Bild-Kunst,, Bonn, Germany ; Vue de l’exposition Panchronic Gardens à la galerie Perrotin, Paris, 2024. © Photo: Claire Dorn. Copyright the artist; VG Bild-Kunst, Bonn, Germany. Courtesy Perrotin.
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