de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Cristof Yvoré, Gilles Barbier, les Marseillais à Bruxelles

Cristof Yvoré, Gilles Barbier, les Marseillais à Bruxelles

Hasard de la programmation, deux artistes marseillais exposent en ce moment dans la capitale belge. Le premier, Cristof Yvoré, qui a les honneurs de la Verrière Hermès, est malheureusement décédé il y a déjà dix ans et c’est un artiste dont il a souvent été question dans ces colonnes (cf, par exemple : Cristof Yvoré ou la solitude en peinture – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Chantre de la solitude, du silence, de la contemplation, Cristof Yvoré est un des peintres les plus importants de sa génération, qui est trop longtemps resté dans l’ombre, mais à qui on restitue progressivement la place qui lui est due, surtout depuis ses expositions monographiques aux Frac Paca et Auvergne. Pour l’anecdote, rappelons que c’est lors d’une exposition d’artistes marseillais à Anvers que le travail de l’artiste a été remarqué par Frank Demaegd, le fondateur de la célèbre Zeno X Gallery , la galerie de Luc Tuymans et de Marlene Dumas, qui lui a aussitôt proposé de rejoindre son équipe. S’en est suivie une collaboration de vingt ans et une fidélité qui ne s’est pas démentie, même après la mort du peintre. On a appris récemment que la Zeno X Gallery, pour des raisons qui ne sont pas, semble-t-il, économiques, allait fermer ses portes à la fin de l’année. Cette exposition tombe donc à pic pour mettre en avant le travail de Cristof Yvoré et rappeler à quel point son héritage doit être valorisé.

La Verrière Hermès n’étant pas à proprement parler un lieu fait pour la peinture, son commissaire, Joël Riff, a fait un choix radical : il a sélectionné treize toiles de l’artiste qu’il a accrochées sur un seul mur, dans l’ordre chronologique -depuis le premier tableau acquis par Frank Demaegd jusqu’à ceux réalisés l’année de sa mort-, comme une fresque. Il y a une cohérence dans ce choix, mais on peut regretter que ces tableaux, qui vibrent tous d’une telle intensité, qui sont d’une telle richesse et d’une telle force, soient ainsi aussi rapprochés les uns des autres, au point parfois de se faire de l’ombre. Pour les autres murs, le commissaire a commandé à un duo, Noir Métal, une scénographie justement métallique (avec chaises et table). Et sur ces cimaises sombres, il a installé des œuvres d’artistes dont le travail entre en résonnance avec celui de Cristof Yvoré : Raoul de Keyser et Eugène Leroy, deux peintres dont il se sentait proche et qui prouvent bien son lien avec l’atmosphère du Nord, même si lui vivait dans le Sud (un des multiples paradoxes de sa brève carrière), Mireille Blanc, l’artiste qui l’a fait découvrir à Joël Riff, Loïc Raguénès, qui était son ami, et Mylène Sanchez, une jeune artiste qui prend elle aussi les fleurs comme motif à peinture. On pourrait discuter longtemps de la pertinence qu’il y a à choisir ces peintres-là plutôt que d’autres, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils y sont à leur place et qu’on ne se lasse pas de voir les toiles si belles et mélancoliques de Cristof Yvoré, que la mort a interrompues, alors qu’elles s’ouvraient encore vers de nouvelles directions.

L’autre marseillais qui expose à Bruxelles est lui, heureusement, bien vivant. Il s’agit de Gilles Barbier, qui s’est séparé de la galerie Vallois avec laquelle il travaillait depuis si longtemps pour tenter une nouvelle aventure avec Huberty & Breyne. Cette dernière, qui a aussi des espaces à Paris, est plutôt spécialisée dans les arts graphiques et la bande dessinée, mais elle cherche à s’ouvrir à des artistes que le neuvième art a influencés. Or Gilles Barbier a été nourri de bandes dessinées, dès son plus jeune âge à l’autre bout du monde, il en a consommé de nombreuses et il s’est constitué depuis une collection conséquente. Sa présence au sein de la galerie était donc légitime et il a bien sûr privilégié les œuvres qui ont un lien direct avec les bulles, mais en vérité, une bonne partie de son travail est dans ce cas et il a créé un certain nombre de pièces spécialement pour cette occasion.

L’exposition s’intitule Propriétaire ? Locataire ? C’est la question qu’il a posée à ChatGPT pour savoir si une moule était propriétaire ou locataire du rocher sur lequel elle s’accroche. Et comme la question est restée sans réponse précise, il en a fait un multiple, qui, Belgique oblige !, est constitué d’un plat de moules/frites sur lequel des bulles sont apposées, posant la question de l’appartenance. Ces fameuses bulles qui sont la marque de la BD, on les retrouve partout, dans des sculptures en acier et sous plexiglas qui font penser à des accumulations d’Arman, sur des toiles, puisque l’enjeu est de passer de la BD à la peinture, ou sur des collages réalisés pour l’exposition à base de feuilles d’or, comme pour en souligner le caractère religieux. Mais tout autour, et surtout compte tenu de l’importance de l’espace qui lui permet de montrer un nombre important d’œuvres, Gilles Barbier aura pu montrer quelques-uns de ses « Super-héros », issus de bandes dessinées et qui n’ont qu’un pouvoir, des planches de BD conçues en hommage à des auteurs avec lesquels il a été en contact et qu’il n’avait jamais pu sortir de leur caisse jusqu’à ce jour, une importante sculpture de Lucky Luke recouvert de plumes et de goudron ou toute une série de pièces intitulée « Ce qui est sorti du chapeau aujourd’hui » et qui est une série de dessins réalisés en un jour, qui ont pour point commun un chapeau, toujours différent, retourné et d’où sort tout ce qui est passé par la tête de l’artiste ce jour-là.

On peut être plus ou moins sensible au travail de Gilles Barbier, à son humour ravageur, parfois un peu potache, et qui ne manque jamais d’imagination. Mais force est de reconnaître que par les dimensions de la galerie et les possibilités qu’elle offre, l’exposition s’impose par sa cohérence et son renouvellement. En montrant tant d’aspects différents de la pratique de l’artiste, elle a presque valeur de monographie.

Coi, Cristof Yvoré, jusqu’au 4 novembre à la Verrière Hermès de Bruxelles, Boulevard de Waterloo 50 (www.fondationdentreprisehermes.com)

Propriétaire ? Locataire ?, Gilles Barbier, jusqu’au 10 Octobre à la galerie Huberty &Breyne, 33 place du Châtelain (www.hubertybreyne.com)

 Images : 1 et 2, vues de l’exposition Coi, avec , 1, des œuvres de Cristof Yvoré et, 2, des œuvres de Mireille Blanc et Raoul de Kayser  (© Isabelle Arthuis Fondation d’entreprise Hermès); 3 et 4, vues de l’exposition Propriétaire ? Locataire ? Gilles Barbier © Galerie Huberty & Breyne, Bruxelles

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