de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Dansons sur le Rocher

Dansons sur le Rocher

L’art et la danse contemporaine : une vieille histoire d’amour qui a souvent stimulé les artistes et donné lieu à de multiples et mémorables collaborations, depuis le Parade de Massine, Cocteau, Picasso, jusqu’au Daphnis et Chloé de Ravel vu par Benjamin Millepied et Daniel Buren à l’Opéra de Paris, en passant par les nombreux spectacles de Merce Cunningham ou de Trisha Brown dans des décors de Rauschenberg ou de Jasper Johns. Depuis quelques temps, certains chorégraphes comme Xavier Le Roy ou Anne Teresa de Keersmaeker (cf http://larepubliquedelart.com/les-arts-vivants-au-musee/ et http://larepubliquedelart.com/exposer-la-danse-et-la-musique/) ont même imaginé des propositions spécialement pour les musées. Et à l’inverse, certains artistes qui n’ont pas d’activité directe dans le spectacle vivant n’hésitent pas à utiliser la chorégraphie comme un élément constitutif de leur travail.

C’est plutôt à ces artistes que Benjamin Laugier et Mathilde Roman ont fait appel pour l’exposition qu’ils présentent actuellement au Nouveau Musée national de Monaco (Villa Paloma), sous le titre Danse, Danse, Danse. Une exposition en trois temps, puisque, outre la présentation d’oeuvres au sein du musée, un workshop a été réalisé avec les étudiants du Pavillon Bosio (Ecole Supérieure d’Arts Plastiques de la Ville de Monaco) pour engager une recherche sur les formats de danse exposée et un colloque, réunissant de nombreux artistes, chorégraphes et théoriciens (parmi lesquels Christian Rizzo, Michel Blazy et Stéphane Malphettes) aura lieu la semaine prochaine, dans le cadre du Monaco Danse Forum. On peut donc y voir le travail de Julien Prévieux, lauréat du Prix Marcel Duchamp 2014, What Shall We Do Next ?, un ensemble de vidéos qui interrogent l’écriture du geste et la manière dont il s’invente et se transforme. Une animation en 3D recense un certain nombre de gestes, reconnaissables ou mystérieux, et dans une vidéo et trois performances plus loin, des interprètes ont appris ces gestes et se les approprient  dans des mouvements énigmatiques, tandis qu’une voix off nous apprend comment ces gestes sont liés au monde du travail et à la logique capitaliste.

7 -Photo by Julia ShermanOu ceux d’Emily Mast et d’Emilie Pitoiset, la première à travers une vidéo qui fait intervenir sept performeurs de 8 à 68 ans pour montrer l’imprécision du langage et les multiples façons dont il peut être compris (B!RDBRA!N, 2012-2015), la seconde à travers une série de sculptures de mains et une vidéo dans laquelle on voit ces mains répéter inlassablement le même geste (La Répétition, 2012). Ou celui d’Aernout Milk et de Boris Charmatz (Daytime Movements, 2016), une installation vidéo 4 écrans qui est fruit d’un travail commun entre le chorégraphe et l’artiste et qui, là encore à partir de la répétition de gestes banals dans des lieux tels que des parkings ou des cafétérias, joue sur la fragmentation et l’ensemble, l’individuel et le groupe. Enfin, un ensemble de vidéos plus anciennes, comme celles de Bruce Nauman et d’Yvonne Rainer, permettent de voir des œuvres qui sont fondatrices de cette tendance et une série de performances (Nina Beier, Christodolous Panayiotou), en collaboration avec Les Ballets de Monte-Carlo, ponctuent l’exposition.

Autre manière d’exposer la danse : à la Villa Sauber, c’est une exposition plus historique qui est présentée, puisqu’elle est consacrée à Léon Bakst, le génial décorateur et costumier des Ballets Russes. Bakst, qui avait une formation de peintre, avait beaucoup voyagé en Grèce et en Afrique du Nord et son style opère une synthèse entre l’art oriental et l’art populaire russe. Appelé dès 1906 à travailler avec Diaghilev à Paris, mais aussi à Monte-Carlo, il créa les décors et costumes de quelques un des plus célèbres ballets des Ballets Russes (parmi lesquels Le Spectre de la rose et L’Après-midi d’un faune avec Nijinsky) et ce sont donc des maquettes de décors, des costumes, des dessins, des photographies et autres documents d’archives qui montrés ici, mais aussi des tissus, puisque Bakst s’est également illustré dans le domaine de la mode en travaillant avec des couturiers tels que Paul Poiret ou Jeanne Paquin (Yves Saint Laurent lui a à son tour rendu hommage en 1991 avec une collection inspirée de ses plus grandes créations, dont on peut voir des maquettes dans l’exposition).

BakstCelle-ci retrace brillament cette carrière exceptionnelle, mais elle bénéficie aussi de l’apport de l’artiste contemporain Nick Mauss, qui l’a mise en scène. Habitué à ce genre d’exercice (il avait déjà rendu hommage à Christian Bérard dans l’exposition Portraits d’intérieurs, présentée dans ce même musée en 2014), Mauss a choisi de la valorisée dans des espaces reprenant la mise en page et la typographie du célèbre journal, Comoedia Illustré, et en la faisant dialoguer avec ses propres oeuvres. Il s’agit donc du regard attendri d’un artiste d’aujourd’hui sur un monde qui n’est plus et qui n’existe qu’à travers de somptueux vestiges. C’est une sorte de « recherche du temps perdu » qui souligne, comme le dit le « programme » accompagnant l’exposition,  « combien ces ballets oniriques survivent à travers les images déformées qu’ils ont générées dans l’esprit de leur public ». Une autre preuve, si besoin était, que l’art et la danse se nourrissent mutuellement et que le dialogue subtil qu’ils ont engagé depuis de nombreuses années n’est pas prêt de s’arrêter.

 

Danse, Danse, Danse jusqu’au 8 janvier à la Villa Paloma, 56 boulevard du Jardin Exotique

Designing Dreams, A Celebration of Leon Bakst  jusqu’au 15 janvier à la Villa Sauber, 17 avenue de la Princesse Grace, Monaco (www.nmnm.mc)

Le colloque « La Place des corps » se tiendra les 13 et 14 décembre au Théâtre des Variétés.

 

Images : Julien Prévieux, What Shall We Do Next ?, (Séquence #2), 2014, Vidéo HD (photogramme), 16’47”, Danseurs: Rebecca Bruno, Kestrel  Leah, Jos McCain, Samantha Mohr, Andrew Pearson, Anna Martine Whitehead, Courtesy galerie Jousse entreprise ; Emily Mast, B!RDBRA!N (Addendum), 2012, video installation, Collection Frac Languedoc Roussillon, photo: Julia Sherman ; vue de l’exposition Designing Dreams, A Celebration of Leon Bakst à la Villa Sauber

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