De Mira Schor à Cyril Duret, grand écart
L’éclectisme étant une des règles de base de ce blog, je voudrais vous parler aujourd’hui de deux expositions qui se tiennent à peu près à l’opposé sur le plan esthétique et qui ne témoignent pas du tout des mêmes préoccupations, mais qui ont un médium commun, la peinture. Il s’agit de l’exposition de Mira Schor à la galerie Marcelle Alix et de celle de Cyril Duret à la galerie Loeve&Co Marais. Mira Schor est une artiste américaine que l’on ne connait quasiment pas en France. Pourtant, ce n’est plus une jeune artiste, puisqu’elle est née en 1950. Elle est issue d’une famille d’artistes juifs polonais qui a fui l’Europe pendant la Guerre pour immigrer aux Etats-Unis. Mira Schor, qui a étudié au Lycée français de New York et qui parle très bien notre langue, est peintre, mais elle est aussi autrice, critique d’art et éditrice. Elle a commencé sa carrière en tant qu’assistante de Red Grooms dans cette même ville. Puis, convertie au féminisme par sa sœur Naomi, elle est allée s’installer en Californie où elle a rejoint le fameux projet Woman House (cf Women House, paroles de femmes – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) et où elle a eu Miriam Shapiro et Judy Chicago pour professeurs. Elle le dit elle-même : les quelques mois passés dans le CalArts Feminist Art Program, qui incluait le project Woman House et partait du principe que, alors que l’espace public était dominé majoritairement par les hommes, le domestique restait celui des femmes, furent déterminants pour le reste de sa carrière, mais elle ne voulut pas s’y enfermer : tout en affirmant son militantisme, elle voulut l’exprimer de sa propre manière, qui n’est pas forcément celle qu’on attend en pareil cas.
En tant qu’éditrice, elle a co-fondé, avec la peintre Susan Bee, le journal M/E/A/N/I/N/G, dont la fonction était essentiellement de publier des écrits d’artistes (Mira Schor avait été étonnée de constater à quel point certains artistes parlaient bien eux-mêmes de leur travail). Elle s’y est d’ailleurs beaucoup exprimée et elle est l’autrice, en 1997, de Wet: On Painting, Feminism, and Art Culture ainsi que de nombreux essais sur l’art et le féminisme. Mira Schor est également professeur et pendant près de dix ans, elle a enseigné à la Parsons School of Design de New York. Peindre, écrire, enseigner ne sont pas des disciplines parallèles pour elle, mais des activités qui se complètent et se nourrissent les unes les autres.
L’exposition qu’elle propose chez Marcelle Alix, Orbs and eclipses, composée d’œuvres récentes, témoigne bien de cette hybridation. Elle s’ouvre par deux grandes peintures dans lesquelles est présent un personnage féminin, double de l’artiste, et qui font écho à une petite aquarelle de ses débuts qui semble encore sous l’influence du surréalisme. Dans les deux cas, une surface circulaire (la lune, l’orbe) apparait et semble traverser les murs de la chambre dans laquelle le personnage se tient enfermé. Plus loin, des toiles sont accrochées qui représentent des mots, car toute une partie du travail pictural de l’artiste est basé sur le langage et n’hésite pas à poser des questions ou à affirmer des propos en lien direct avec une forme d’existentialisme (I need a reason to live, My Trauma, Your Trauma, our Trauma). Les mots apparaissent aussi à l’intérieur d’autres toiles, coupés au milieu sur la double page d’un livre. Et dans d’autres toiles enfin, les larmes coulent, abondamment mais seules, comme une entité propre, sans qu’on sache d’où elles viennent. Le tout dans une grande cohérence formelle et des motifs que l’on retrouve d’une peinture à l’autre.
Au fond, au travers des images, des mots, des assertions, Mira Schor se raconte, elle dit ses peurs, son histoire, ses combats. Sa grande référence est Charlotte Salomon, cette artiste allemande qui mourut en déportation à l’âge de 26 ans et dont le travail a été redécouvert ces dernières années (cf Charlotte Salomon, retour aux sources – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Celle-ci a laissé une œuvre dans laquelle texte et images se combinent et qui a la forme d’un journal intime. Bien sûr, leurs esthétiques n’ont rien à voir, celle de Charlotte Salomon s’apparentant plutôt à un expressionisme un peu brut et Mira Schor étant beaucoup moins explicite dans son propos. Mais elles viennent de la même culture, celle de l’Europe centrale, où la pensée, aussi l’humour, jouent un rôle si important. En cela, Mira Schor est une artiste européenne : elle porte des revendications très actuelles, dans un langage qui ne l’est pas moins, mais ses références sont plus du côté de l’art moderne, d’une époque où le savoir livresque avait au moins autant d’importance que l’image.
A l’opposé, se situe le travail de Cyril Duret, ce jeune peintre qui a été l’élève de Nina Childress, et qui a sa première exposition personnelle à la galerie Loeve&Co Marais. Car son propos est la peinture mondaine, un genre auquel sont identifiés des artistes comme Boldini ou Jacques-Emile Blanche, qui peignit le fameux portrait de Proust, et plus près de nous Dali, Warhol ou encore Pierre et Gilles. Mondaine, parce qu’elle représente des gens le plus souvent célèbres ou puissants (le commissaire-priseur François de Ricqlès, l’expert Alain Weil, la chanteuse Barbara Carlotti, par exemple), dans leur environnement, c’est-à-dire avec leurs collections, les objets qui les caractérisent, l’ambiance dans laquelle ils évoluent. Ce sont parfois des portraits frontaux, où le modèle regarde dans la direction du spectateur, à la manière des portraits de familles aristocratiques italiennes que Patrick Faigenbaum réalisa il y a quelques années, parfois des scènes de genre, où les personnages, généralement en groupe, se livrent à leurs activités préférées, un peu comme les « Conversation pieces » du XVIIIe siècle. Mais la particularité de Cyril Duret est de ne jamais chercher l’ironie, le décalage, le commentaire critique : les portraits résultent soit de commandes, soit de choix délibérés, mais ils témoignent toujours d’un véritable respect du modèle, d’une empathie, d’une manière de vouloir le valoriser et le mettre en avant.
La force de ce travail -et, d’une certaine manière, sa modernité- est alors de jouer sur le genre, d’en assumer les règles et les contraintes. Car pour le reste, sa peinture, au demeurant très maîtrisée, pourrait sembler un peu désuète, avec sa palette sourde qui rappelle l’intimisme d’un Vuillard, ses clairs obscurs nostalgiques, ses compositions qui renvoient souvent aux maîtres du passé. Mais le dandy en joue et en rajoute même un peu dans la tradition. Une des clés de son travail (outre Nina Childress, qui est d’ailleurs représentée ici et avec qui il partage le goût des images de stars) se trouve sans doute dans la personne de Patrick Mauriès, auteur du Second manifeste camp, à qui deux toiles sont consacrées, chez lui, à Nice. Celui-ci a publié récemment un ouvrage sur les « Néo-romantiques », un groupe de peintres de l’entre-deux-guerres, qui privilégiaient la figure humaine, voulaient échapper aux diktats du modernisme et dont Christian Bérard faisait partie (cf Christian Bérard, la peinture masquée – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). C’est à une école de ce type (où officiaient aussi Pavel Tchelitchew et Eugene Berman) que souhaiterait appartenir Cyril Duret, une école de l’à-côté, qui ne va pas forcément dans le sens des aiguilles de la montre, qui joue de sa singularité et de son anachronisme. Mais là où le jeune homme est culotté, c’est quand il demande à des gens comme Colette Barbier, Vincent Honoré ou Nicolas Bourriaud, c’est-à-dire aux thuriféraires de l’art d’aujourd’hui de poser pour lui. Car on sait que, parmi eux, il n’y a pas que de grands défenseurs de la peinture, surtout de ce type !
-Mira Schor, Orbs and eclipses,, jusqu’au 27 octobre à la galerie Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020 Paris (www.marcellealix.com)
–Cyril Duret et le portrait mondain, jusqu’au 15 octobre à la galerie Loeve&Co Marais, 16 rue de Montmorency 75003 Paris (www.loeveandco.com)
Images : vues de l’exposition de Mira Schor à la galerie Macelle Alix avec ; 1, Time/spirit (New Red Moon Room), 2022 acrylic, acrylique, peinture à l’huile, pastel et encre sur toile 182,9 x 269,2 cm unique, 2 ; A life, 2020, Acrylique et encre sur toile 63,5 x 91,4 cm unique, photos Aurélien Mole ; vues de l’exposition de Cyril Duret à la galerie Loeve&Co Marais
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